OLIVER, Mary (1935–2019) : "Les oies sauvages" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Pourquoi dois-tu faire le bien ?
Pourquoi veux-tu faire péni­tence
Et tra­vers­er des déserts à genoux ?
Laisse plutôt le doux ani­mal dans ton corps
Aimer ce qu’il aime.
Par­le-moi du dés­espoir, du tien, et je te par­lerai du mien,
Pen­dant que le monde con­tin­ue de tourn­er.
Pen­dant que le soleil et les per­les claires de la pluie
Bal­aient les paysages,
Les prairies, les arbres bien enrac­inés,
Les mon­tagnes et les riv­ières.
Pen­dant que les oies sauvages, dans le ciel ouvert,
S’en retour­nent encore, comme chaque fois.
Qui que tu sois et quelle que soit ta soli­tude,
Le monde s’offre à ton imag­i­na­tion,
Il t’appelle du cri des oies sauvages, âpre et atti­rant.
Sans cesse, il te répète que ta place
Est là, dans la grande famille des choses qui sont.

Wild Geese

You do not have to be good.
You do not have to walk on your knees
for a hun­dred miles through the desert repent­ing.
You only have to let the soft ani­mal of your body
love what it loves.
Tell me about despair, yours, and I will tell you mine.
Mean­while the world goes on.
Mean­while the sun and the clear peb­bles of the rain
are mov­ing across the land­scapes,
over the prairies and the deep trees,
the moun­tains and the rivers.
Mean­while the wild geese, high in the clean blue air,
are head­ing home again.
Who­ev­er you are, no mat­ter how lone­ly,
the world offers itself to your imag­i­na­tion,
calls to you like the wild geese, harsh and excit­ing –
over and over announc­ing your place
in the fam­i­ly of things.

Paru dans…
Dream Work (1986)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Dream Work (1986) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Bruno Lil­je­fors (1860–1939)

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Rage" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Tu es le chant ténébreux
du matin ;
sérieux et lent,
tu te ras­es, tu t’habilles,
tu descends les escaliers
dans tes habits publics
puis tu prends la route, tu deviens
le sage, le puis­sant,
qui rend chaque jour
pos­si­ble dans le monde.
Mais tu étais aus­si ce chant pour­pre
dans la nuit,
trébuchant à tra­vers la mai­son
jusqu’au lit de l’enfant,
jusqu’à la rose humide de son corps,
pour y laiss­er ton goût amer.
Et pour tou­jours ces nuits gron­dent sous
la machiner­ie déli­cate des jours.
Quand la mère de l’enfant sourit
tu vois sur ses pom­mettes
une vérité que tu ne con­fesseras jamais ;
et tu vois com­ment l’enfant grandit–
timide­ment, accroupie dans les coins de mur.
Quelque­fois dans la nuit pro­fonde
tu entends les larmes les plus désolantes,
un moment de viol et de ter­reur.
Dans tes rêves, elle est un arbre
qui n’aura jamais de feuilles–
dans tes rêves, elle est une mon­tre
que tu as jetée sur des pier­res som­bres
et dont per­son­ne ne retrou­vera tous les frag­ments–
dans tes rêves tu as souil­lé et tué,
et les rêves ne mentent jamais.

Rage

You are the dark song
of the morn­ing;
seri­ous and slow,
you shave, you dress,
you descend the stairs
in your pub­lic clothes
and dri­ve away, you become
the wise and pow­er­ful one
who makes all the days
pos­si­ble in the world.
But you were also the red song
in the night,
stum­bling through the house
to the child’s bed,
to the damp rose of her body,
leav­ing your bit­ter taste.
And for­ev­er those nights snarl
the del­i­cate machin­ery of the days.
When the child’s moth­er smiles
you see on her cheek­bones
a truth you will nev­er con­fess;
and you see how the child grows–
timid­ly, crouch­ing in cor­ners.
Some­times in the wide night
you hear the most mourn­ful cry,
a rav­ished and ter­ri­ble moment.
In your dreams she’s a tree
that will nev­er come to leaf–
in your dreams she’s a watch
you dropped on the dark stones
till no one could gath­er the frag­ments–
in your dreams you have sul­lied and mur­dered,
and dreams do not lie.

Paru dans…
Dream Work (1986)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Dream Work (1986) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Conséquences" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Par après,
J’ai sen­ti sous mon épaule gauche
la plus curieuse des blessures.
Comme si je m’étais appuyée
sur un objet vibrant trop fort,
elle saig­nait secrète­ment.
Per­son­ne ne con­naît son nom.

Par après,
par droi­ture plutôt que par rai­son,
j’ai repen­sé à ce gros Alle­mand
dans son pardessus mal ajusté,
dans les bois, près de Vienne, réal­isant
que les oiseaux s’éloignaient encore et encore, et
que même en marchant plus vite
il ne les rat­trap­erait jamais.

Com­ment vivons-nous cha­cun dans ce monde ?
Chaque chose en com­pense une autre, je sup­pose.
Quelque­fois un mal­heur ne fait pas de tort du tout,
mais au con­traire

brille comme la lune nou­velle.

Je pense sou­vent à Beethoven
se lev­ant, quand il ne pou­vait dormir,
trébuchant dans la pous­sière et les par­ti­tions frois­sées,
bail­lant, s’asseyant au piano,
traçant rapi­de­ment note après note après note.

Consequences

After­ward,
I found under my left shoul­der
the most curi­ous wound.
As though I had leaned against
some whirring thing,
it bleeds secret­ly.
Nobody knows its name.

After­ward,
for a rea­son more right than ratio­nal,
I thought of that fat Ger­man
in his ill-fit­ting over­coat
in the woods near Vien­na, real­iz­ing
that the birds were going far­ther and far­ther away, and
no mat­ter how fast he walked
he couldn’t keep up.

How does any of us live in this world?
One thing com­pen­sates for anoth­er, I sup­pose.
Some­times what’s wrong does not hurt at all, but rather
shines like a new moon.

I often think of Beethoven
ris­ing, when he couldn’t sleep,
stum­bling through the dust and crum­pled papers,
yawn­ing, set­tling at the piano,
ink­ing in rapid­ly note after note after note.

Paru dans…
Dream Work (1986)

Affich­er le recueil dans la poet­i­ca…
Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Dream Work (1986) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.