Tu veux pleurer bruyamment sur tes
fautes. Mais – à dire vrai – le monde
n'a plus besoin de ce bruit-là.
Alors, si tu veux quand même le faire, que tu ne peux
t'en empêcher, si ta belle bouche ne peux
rester fermée, au moins, va marcher seul dans
les quarante prairies et les quarante vallons sombres
où coulent les rochers, et l'eau ; va jusqu'à l'endroit où
les chutes explosent de leurs draps blancs
comme des folles, et trouve la caverne qui se cache derrière
toute cette jubilation, toutes ces eaux en folie et tu pourras
rester là, par dessous, et hurler tout
ton saoul et rien n'en sera dérangé ; tu pourras
déverser ta peine pendant tout l'après-midi et, pourtant,
sur une branche verte, l'aile à peine effleurée par
le brouillard léger des gouttelettes, la grive musicienne,
bombant sa poitrine tachetée, va chanter
la beauté dure et parfaite de toute chose.
The Poet with His Face in His Hands
You want to cry aloud for your
mistakes. But to tell the truth the world
doesn’t need anymore of that sound.
So if you’re going to do it and can’t
stop yourself, if your pretty mouth can’t
hold it in, at least go by yourself across
the forty fields and the forty dark inclines
of rocks and water to the place where
the falls are flinging out their white sheets
like crazy, and there is a cave behind all that
jubilation and water fun and you can
stand there, under it, and roar all you
want and nothing will be disturbed; you can
drip with despair all afternoon and still,
on a green branch, its wings just lightly touched
by the passing foil of the water, the thrush,
puffing out its spotted breast, will sing
of the perfect, stone-hard beauty of everything.
Paru dans…
New and Selected Poems, Volume 2 (1992)
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Une Ourse dans le jardin (2023) et aussi…
Mais la femme, la femme ; elle était tout entière tombée en elle-même, en avant, dans ses mains. C’était à l’angle de la rue Notre-Dame-des-Champs. Dès que je la vis, je me mis à marcher doucement. quand de pauvres gens réfléchissent, on ne doit pas les déranger. Peut-être finiront-ils par trouver ce qu’ils cherchent.
La rue était vide ; son vide s’ennuyait, retirait mon pas de sous mes pieds et claquait avec lui, de l’autre côté de la rue, comme avec un sabot. La femme s’effraya, s’arracha d’elle-même. Trop vite, trop violemment, de sorte que son visage resta dans ses deux mains.
Je pouvais l’y voir, y voir sa forme creuse. cela me coûta un effort inouï de rester à ces mains, de ne pas regarder ce qui s’en était dépouillé. je frémissais de voir ainsi un visage du dedans, mais j’avais encore bien plus peur de la tête nue, écorchée, sans visage.
RILKE Rainer-Maria, Les cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)
Infos qualité…
Statut : validé | mode d’édition : traduction, édition et iconographie | source : New and Selected Poems, Volume 2 (1992) | traducteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Bénédicte Wesel.
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