THIRY, Marcel (1897–1977) : "Les wagons de troisième" (1968)

Les wag­ons de troisième étaient pleins de poètes,
De tabacs matin­aux, de dis­tances défaites,
Et, sin­u­ant par­mi les paliers des fumées,
D'un par­fum d'orange angélique et mis­éreux.
Il en est qui met­taient leur man­teau sur leurs yeux
Pour mieux pour­suiv­re, au lent tox­ique des fumées,
Leur nuit, comme un jardin per­du, dans l'encoignure.
De leurs genoux glis­sait le jour­nal défloré ;
Au dehors, sur l'ennui d'un pays ignoré
De lour­deur laboureuse et d'âpre agri­cul­ture,
La vitesse roulait son long mur de fumée.
Les poètes savaient l'échelle des salaires,
La date du loy­er, les tar­ifs, les horaires,
Ils savaient qu'au zénith calme de l'infortune
La Mer de la Tran­quil­lité est dans la lune,
Que Tir­lemont pas­sait dans le mur de fumée,
Que nous tournons en roue avec la Voie Lac­tée,
Que l'univers s'espace en mitraille éclatée ;
Et leur siè­cle, et leurs dols, leurs trafics, leurs brevets,
Leur nuit loin­taine au flanc des tiédeurs fab­uleuses
Et Tir­lemont dans la fumée, ils les savaient
S'ouvrir dans l'éventail sans fin des nébuleuses.

Paru dans…
recueil Tra­ver­sées (Espace Nord, 2002)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Tra­ver­sées (2002) | con­tribu­teur : Karel Logist