MELAGE (03) : "Les Croisés" (1930)

Les croisés

L'Orient est trop loin sur les routes du monde :
Nous ne ver­rons jamais les portes du Saint-Lieu.
- Mais c'est Dieu qui fait signe à l'Occident qui gronde:
   Frères, Dieu le veut! Dieu le veut !

Le soleil des déserts nous tuera de ses fièvres :
Qui calmera la soif des marcheurs aux abois ?
- Mais l'eau pure tou­jours abreuvera vos lèvres,
   Celle qui jail­lit de la Croix.

Nous tomberons là-bas par cen­taines de mille :
Les Sul­tans sont des dieux, les Turcs sont des démons.
- Mais le sang des mar­tyrs n'est jamais inutile,
   Mais la Foi trans­porte les monts !

Alors, l'épée au flanc et la croix sur l'épaule,
Un peu­ple de guer­ri­ers s'ébranla tout puis­sant,
Car ce tombeau loin­tain l'aimantait comme un pôle,
   Le tombeau cap­tif du Crois­sant.

Les tours, les minarets, à la voix des prophètes,
Se héris­saient en vain sous le choc des béliers :
Les assauts de géants étaient les rouges fêtes
   Où tri­om­phaient les cheva­liers.

Ils se jetaient bardés dans la sainte bataille,
Rail­laient les Sar­razins, provo­quaient leur fureur,
Joyeux, sous le haubert et la cotte de maille,
   D'être sans reproche et sans peur.

L'éclair des duren­dals, sans repos et sans trêve,
Fauchait les rangs paiëns comme on fauche des blés
Et les faucheurs, four­bus, ne sus­pendaient leur glaive
   Que sur les rem­parts écroulés.

Escortés de cap­tifs aux soumis­sions viles,
Ter­ri­bles, à grand coups d'estoc et d'étriers,
Ils fai­saient se courber les tentes et les villes
   Sous le pas des lourds destri­ers.

Anti­oche, Byzance, Ascalon, Tyr, Edesse,
Gloires de Mahomet, croulaient de toutes parts,
Et l'étendard du Christ, mes­sager d'allégresse,
   Fai­sait fuir tous les éten­dards.

Mais leurs chefs, Gode­froid, Bau­douin, Thier­ry d'Alsace,
Le front dans la pous­sière, implo­raient des par­dons,
Ajoutaient Dieu lui-même à l'incroyable audace
   Des lances et des espadons ;

Et lorsqu'ils tri­om­phaient dans la lutte suprême
Lorsque Jérusalem ouvrait ses portes d'or,
Ils voulaient que le Christ fût le seul diadème
   Qui nim­bât leur sanglant effort.

Ô siè­cles mer­veilleux, dont la haute épopée
Jeta de tels reflets qu'ils tra­versent les temps !
Prodigieux guer­ri­ers dont la pesante épée
   Fai­sait trem­bler tous les sul­tans !

C'est la chan­son du fer qui son­nait dans les âmes,
Et lorsque, proche ou loin, appa­rais­sait la Croix,
L'héroïsme exal­tait les hommes et les femmes :
  Mais ce temps se nomme Autre­fois.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.