MELAGE (01) : "L'aube sanglante" (1930)

L'aube sanglante

Rome avait mis son pied tri­om­phant sur le monde.
Rome jetait sa force orgueilleuse et pro­fonde
A l'assaut des Gaulois, à l'assaut des Ger­mains.
Le génie et la gloire ouvrent tous les chemins :
Les aigles s'éployaient sur l'Asie et l'Afrique,
Les légions touchaient aux grèves d'Armorique,
Et les peu­ples vain­cus fuyaient de toute part
Devant ce nom divin et ter­ri­ble : César.
Qui donc pou­vait encor, dressé comme une cible,
Braver le demi-dieu, affron­ter l'invincible !
C'est alors que jail­lit, sec­ouant les forêts,
Sec­ouant le som­meil frigide des marais,
Le for­mi­da­ble cri, le cri rauque et sauvage
De ceux qui préféraient la mort à l'esclavage,
Le cri sub­lime qui, vibrant comme l'airain,
Ebran­la les échos de la mer jusqu'au Rhin.
Et les chênes mous­sus sous leurs vieilles ramures,
Et les huttes croulant sous les noires ver­dures,
Virent pass­er, casqués de leurs cornes d'aurochs,
Fran­chissant les four­rés, les riv­ières, les rocs,
Héris­sés, mus­culeux, dar­d­ant toute leur force
Sous la nudité mate et rude de leur torse,
Les cent mille guer­ri­ers, suprêmes défenseurs
Du sol belge insulté par les envahisseurs.
Tréviriens, Eburons, Nerviens, Adu­a­tiques,
Tous, jusqu'aux Ménapi­ens, farouch­es, mag­nifiques,
Trem­pant dans leur cour­roux la flèche des car­quois,
Bran­dis­sant vers les cieux leurs boucliers de bois,
Au hasard des sen­tiers, guidés par leurs colères,
Sous le geste obéi des grands chefs pop­u­laires,
Ils mar­chaient, ils couraient vers le sanglant com­bat,
Parce qu'on avait dit que César était là.
Boduog­nat, Ambior­ix, Induciomare,
Tumultueux héros ! votre glaive bar­bare,
Mieux que les druides, mieux que tous les vains par­leurs,
Sut faire l'union des races et des coeurs…
Ils tombèrent pour­tant. Mais leur mort fut leur gloire,
Car leur sang, qui rougit l'aube de notre his­toire,
De siè­cle en siè­cle à tous leurs fils a racon­té
Com­ment on meurt en défen­dant la lib­erté.
Au large des dol­mens, des rochers, des clair­ières,
Leurs cadavres loin­tains ont des voix de prières
Que berce le fris­son des guis mys­térieux.
0 voix des vieux tombeaux ! voix graves des aïeux !
Vous répétez sans fin : « Veillez à vos fron­tières,
Car c'est un crime affreux de se bat­tre entre frères,
Quand un dan­ger nou­veau sur­git chaque matin,
Et qu'on voit se lever la hache du des­tin ! »

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.