MELAGE (10) : "1830" (1930)

1830

Ô som­met lumineux et rouge de l'histoire,
Que la postérité, d'un geste osten­ta­toire,
   Mon­tre à la fierté des enfants !
Quand le peuple~martyr en eut gravi le faîte,
Libre de tous les jougs, ivre de sa con­quête,
Quel délire sans fin sous les cieux tri­om­phants !

   Mais, ô Lib­erté, vierge altière !
   Pour tiss­er ta sainte ban­nière,
   Com­bi­en de siè­cles dépen­sés !
   Com­bi­en d'opiniâtres batailles,
   Com­bi­en, hélas ! de funérailles
   Et de cadavres entassés !

Après l'Espagne, après l'Autriche, après la France,
Qui sont les noms hon­nis de ta longue souf­france
   Voici le nom le plus hon­ni :
Les fils des vieux Croisés devien­dront des Bataves,
Le pays de Calvin forg­era des entrav­es
Pour ce peu­ple qu'il hait et qui lui fut uni !

   Subir ce tyran minus­cule !
   Eh bien ! non, c'est trop ridicule !
   Le pays qui fut le berceau
   Des Gode­froid, des Charle­magne,
   Qui doit vain­cre un jour l"Allemagne,
   Ne peut pas subir le Nas­sau.

Nous étions à Poitiers, à Nicée, à Pavie,
Notre épée arbi­tra les des­tins de l'Asie,
   Nos lions et nos lion­ceaux
De leur griffe ont gravé ces noms : Cour­trai, Lépante,
Et leur postérité, pour trem­bler d'épouvante,
Attend d'autres domp­teurs que les pâles Nas­saux.

   Guil­laume a tué la jus­tice,
   Mais voici que le précipice
   S'ouvre sous son pied, Dieu mer­ci!
   Le vol­can pop­u­laire fume,
   Et c'est ton geste qui l'allume,
   Ô Muette de Por­ti­ci!

Jours fameux de Sep­tem­bre ! exploits des bar­ri­cades,
Où se mêlent, bra­vant mitrailles, fusil­lades,
   Tous les rangs et tous les dra­peaux !
A moi ! La lib­erté retrou­ve enfin son glaive !
Les temps sont révo­lus ! elle vivra le rêve
Qui lui prit tant de fois son sang et son repos.

   Pour des com­bats cent con­tre mille,
   Défer­lent du champ, de la ville,
   Ouvri­ers, nobles et bour­geois,
   Et le Parc rav­agé fris­sonne
   Quand paraît la bande wal­lonne
   Et Char­li­er, la Jambe~de~bois.

Quinze mille héros hol­landais sont en fuite !
Merode et ses huit cents leur fer­ont une suite
   A tra­vers la gloire et la mort !
Deux ou trois points d'arrêt : Vieux-Dieu, Berchem et Lierre,
Et déjà le lion rugit à la fron­tière,
Tri­om­phal et sanglant, l'oeil fixé sur le Nord !

   Et des mil­lions de voix loin­taines,
   Echos des coteaux et des plaines,
   Clameur d'un grand peu­ple indomp­té,
   Clameur de joie et de démence,
   Jail­lisse­ment d'une âme immense,
   L'acclament dans l'immensité.

Les cités, les hameaux, les vieilles citadelles,
Les clochers, les pignons, les don­jons, les tourelles,
   Orgueilleux de ces flo­raisons,
Bran­dis­sent dans le vent leurs dra­peaux tri­col­ores
Qui chantent, procla­mant les nou­velles aurores,
Chantent leur hymne alti­er à tous les hori­zons.

   L'Europe a par­lé d'équilibre:
   C'est bien, mais la Bel­gique est libre,
   Libre de suiv­re ses des­tins !
   Son esquif, armé d'endurance,
   Appareille vers l'espérance
   Des bon­heurs proches et loin­tains,

Salut, obscurs sol­dats de la lutte héroïque !
Le dernier d'entre vous, indompt­able, stoïque,
   Met sur nos fronts de la fierté !
Et c'est pourquoi vos fils seront unis quand même
Pour défendre sans fin le sanglant diadème
Qui couronne depuis cent ans la Lib­erté.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.