MELAGE (04) : "Jacques van Artevelde" (1930)

Jacques van Artevelde

Le peu­ple est un enfant dont les colères folles
Brisent pour un caprice absurde les idol­es
   Qui furent sa vie un moment.
Et l'histoire est un drame immense où l'on assiste
A l'éternel com­plot éter­nelle­ment triste
   Du crime inutile et dément.

Le masque impérieux, qu'un éclair illu­mine,
Debout dans son des­tin, le vieux Ruwaert domine
   L'horizon d'un siè­cle agité.
Son coeur était si grand qu'il con­te­nait la Flan­dre
Son des­tin fut si beau que l'on n'a pu lui ren­dre
   Jamais l'hommage mérité.

La Flan­dre se mourait: la France et l'Angleterre
Etouf­faient dans l'étau meur­tri­er de leur guerre.
   Son opu­lente activ­ité ;
Mais l'homme en qui bat­tait tout le coeur d'une race
Appuyant son génie à sa tran­quille audace
   Sau­va le peu­ple et la cité.

Il était né seigneur, mais de som­bres colères
Fer­men­taient sour­de­ment dans les flots pop­u­laires ;
   Le pays était aux abois ;
Les Leli­aerts per­daient la cause com­mu­nale,
Nev­ers la trahis­sait, la lutte était fatale :
   D'Artevelde se fit bour­geois.

Et l'on vit se dress­er, pen­nons con­tre ban­nières,
En face des métiers, les nobless­es altières :
   Sous le branle~bas des toc­sins,
Le Tri­bun entraî­na dans des luttes épiques
Les mas­sifs com­mu­niers à la fête des piques,
   Au nom de la Vierge et des Saints.

Vêtu du mail­lot rouge et du sur­cot de laine,
Il réc­on­cil­ia par le mont, par la plaine,
   Les farouch­es inim­i­tiés ;
Il cimen­ta partout les coeurs de ses mains fo r tes,
Dis­ci­plina le peu­ple et ses hum­bles cohort­es.
   Fit pleu­voir l'or sur les métiers.

L'égoïsme hau­tain, ni l'ambition vile
N'effleurèrent jamais de leur ombre servile
   La vail­lance de ses des­seins,
Mais il avait ouï dans la nuit rouge un râle :
Il se dres­sait vengeur de la terre natale,
   Héros, devant des assas­sins

Avec l'autorité superbe d'un vieux sage
Son verbe fla­gel­lait, fou­et cinglant, au vis­age
   Les tyrans de la lib­erté ;
Mais le songe pro­fond de son regard trag­ique,
Mais la force d'airain de son coeur paci­fique
   Ne con­te­naient que la bon­té.

Le pou­voir appar­tient à qui le ciel le donne,
Et les hum­bles, con­quis à ce roi sans couronne,
   Embras­saient en pleu­rant ses mains ;
Et le géant, les yeux au loin, comme un prophète,
Achevait puis­sam­ment de pouss­er à son faîte
   L'édifice des lende­mains.

Il pou­vait, d'un seul mot, sur la foule pro­fonde,
Sus­citer à son gré la tem­pête qui gronde
   Ou l'espoir qui chante et qui luit ;
Son grand geste ten­du sem­blait porter la Flan­dre:
Ceux qu'il fal­lait venger, ceux qu'il fal­lait défendre,
   Sans trêve se tour­naient vers lui.

Et c'est pourquoi dans l'ombre il ren­con­tra l'émeute :
Sub­lime comme un dieu qui méprise une meute,
   Sachant qu'il revivrait bien­tôt,
Car le crime par­tois regrette sa démence,
Car le sang pur est une gloire qui com­mence,
   Il s'écroula sous le couteau.

Or l'avenir grandit ceux que l'envie immole :
Jacques van Artevelde est beau comme un sym­bole.
   Par­mi les clochers, les bef­frois,
Debout sur les hau­teurs des luttes com­mu­nales,
Il appelle à ses pieds les gloires tri­om­phales,
   Car il fut plus grand que les rois.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.