NORGE, Géo (1898–1990) : "La Faune" (1950)

Et toi, que manges-tu, grouil­lant ?
– Je mange le velu qui digère le
pulpeux qui ronge le ram­pant.

Et toi, ram­pant, que manges-tu ?
– Je dévore le trot­ti­nant, qui bâfre
l’ailé qui croque le flot­tant.

Et toi, flot­tant, que manges-tu ?
– J’engloutis le vul­veux qui suce
le ven­tru qui mâche le sautil­lant.

Et toi, sautil­lant, que manges-tu ?
– Je happe le gazouil­lant qui gobe
le bigar­ré qui égorge le galopant.

Est-il bon, chers mangeurs, est-il
bon le goût du sang ?
– Doux, doux ! Tu ne sauras jamais
comme il est doux, her­bi­vore !

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recueil Remuer ciel et terre (Espace Nord, 2019)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Remuer ciel et terre (2019) | con­tribu­teur : Karel Logist

THIRY, Marcel (1897–1977) : "Les wagons de troisième" (1968)

Les wag­ons de troisième étaient pleins de poètes,
De tabacs matin­aux, de dis­tances défaites,
Et, sin­u­ant par­mi les paliers des fumées,
D'un par­fum d'orange angélique et mis­éreux.
Il en est qui met­taient leur man­teau sur leurs yeux
Pour mieux pour­suiv­re, au lent tox­ique des fumées,
Leur nuit, comme un jardin per­du, dans l'encoignure.
De leurs genoux glis­sait le jour­nal défloré ;
Au dehors, sur l'ennui d'un pays ignoré
De lour­deur laboureuse et d'âpre agri­cul­ture,
La vitesse roulait son long mur de fumée.
Les poètes savaient l'échelle des salaires,
La date du loy­er, les tar­ifs, les horaires,
Ils savaient qu'au zénith calme de l'infortune
La Mer de la Tran­quil­lité est dans la lune,
Que Tir­lemont pas­sait dans le mur de fumée,
Que nous tournons en roue avec la Voie Lac­tée,
Que l'univers s'espace en mitraille éclatée ;
Et leur siè­cle, et leurs dols, leurs trafics, leurs brevets,
Leur nuit loin­taine au flanc des tiédeurs fab­uleuses
Et Tir­lemont dans la fumée, ils les savaient
S'ouvrir dans l'éventail sans fin des nébuleuses.

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recueil Tra­ver­sées (Espace Nord, 2002)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Tra­ver­sées (2002) | con­tribu­teur : Karel Logist

THONART, Patrick (né en 1961) : "Christiane part, comme par Henri" (2024)

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as vécu cachée,
comme une pen­sée
au pied du tour­nesol.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as chan­té colère,
comme un moineau
face aux cor­beaux.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as marché cassée,
comme le jonc brisé
dans trop de tem­pêtes.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as aimé goulu,
comme la grenouille
au pied du bœuf.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as fêté la nuit,
mal­gré les rats
quand ils débor­daient.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as aimé les tiens,
comme le rami­er
les bour­geons petits.

Mais, quand l'horizon
a frap­pé à la porte,
tu as pris con­gé,
comme la fleur blanche
qui se retire…

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non pub­lié (2024), écrit à l'occasion de la dis­pari­tion de Chris­tiane Ste­fan­s­ki, le 6 mai 2024, par­tie le même jour que le paroli­er-con­teur Hen­ri Gougaud.

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Chris­tiane Ste­fan­s­ki.

AYANOGLOU, Anna (née en 1985) : "Ces drôles de liens" (2022)

 

Le père appelait la famille par le nom du pays
Tous les trois, qua­tre mois, la Grèce téléphonait

Loin de m'imaginer, je décrochais
— m'arrivait une affec­tion d'aîné, sans vis­age
apeu­rante — mes oreilles en brûlaient de gêne

Vite, j'allais trou­ver mon père
en chu­chotant un nom, un lien
lui refour­guais le com­biné

Au pre­mier mot en grec
lui venait cette voix cuiv­rée de quand il par­lait fort
croy­ant cou­vrir l'éloignement

Cha­touil­lée par l'agacement, la jalousie
je retour­nais vaquer, lais­sant mon père
hurler avec la Grèce

lui à ces instants étranger — ou moi.

 

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recueil Sen­sa­tions du com­bat (Gal­li­mard, 2022)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Sen­sa­tions du com­bat (2022) | con­tribu­teur : Karel Logist

WOUTERS, Liliane (1930–2016) : "La fille d'Amsterdam" (1983)


Elle avait dit : « En Ams­ter­dam
nous ne vivrons qu'une aven­ture,
Je n'y lais­serai pas mon âme.
Amour tou­jours jamais ne dure. »

Hélas ! Je ne la croy­ais pas.
Sous les pignons à cols, à cloches,
quand se mêlaient nos mains, nos pas,
quand j'espérais, dur comme roche.

L'eau verte suiv­ant son chemin
aurait dû me dire : « Tout passe. »
Mais je ne sen­tais que sa main
ser­rant la mienne dans l'impasse.

Ams­ter­dam suait ses bor­dels
et ses putains aux cuiss­es fortes
tan­dis que je mar­chais près d'elle
sans présager nos amours mortes.

Peine plus dure que le dam
et sel des larmes que je pleure,
pour cette fille d'Amsterdam
que ne don­nerais-je à cette heure ?

Les cloches de Saint-Nico­las,
le quai aux plantes les dix mille
pilo­tis de la gare et la
riv­ière Ams­tel, avec ses îles.

C'était un jour du mois de mai.
Elle me dis­ait : « Rien ne dure. »
Moi je pen­sais que je l'aimais
beau­coup trop pour une aven­ture.

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recueil L'aloès (Luneau Ascot, 1983)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil L'aloès (1983) | con­tribu­teur : Karel Logist

NIZET, Marie (1859–1922) : "La bouche" (1923, posth.)

La bouche

Ni sa pen­sée, en vol vers moi par tant de lieues,
Ni le ray­on qui court sur son front de lumière,
Ni sa beauté de jeune dieu qui la pre­mière
Me ten­ta, ni ses yeux – ces deux caress­es bleues ;

Ni son cou ni ses bras, ni rien de ce qu'on touche,
Ni rien de ce qu'on voit de lui ne vaut sa bouche
Où l'on meurt de plaisir et qui s'acharne à mor­dre,

Sa bouche de fraîcheur, de délices, de flamme,
Fleur de volup­té, de lux­u­re et de désor­dre,
Qui vous vide le coeur et vous boit jusqu'à l'âme…

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recueil Pour Axel de Mis­sié (1923)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Pour Axel de Missie (2000) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : CORREGGIO Anto­nio (1490–1534), Por­trait d'un jeune homme © arthive.com.

GOFFETTE, Guy (1947–2024) : "Dimanche de poissons" (1995)

   

Et puis un jour vient encore, un autre jour,
allonger la corde des jours per­dus
à reculer sans cesse devant la mon­tagne
des livres, des let­tres ; un jour
pro­pre et net, ouvert comme un lit, un quai
à l'heure des adieux – et le mou­choir qu'on tire
est le même qu'hier, où les larmes ont séché
- un lit de pier­res, et c'est là où nous sommes,
occupés à nous taire longue­ment,
à con­tem­pler par cœur la mer au pla­fond
comme les pois­sons rouges du bocal,
avec une fois de plus, une fois encore
tout un dimanche autour du cou.

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recueil Le pêcheur d'eau (Gal­li­mard, 1995)

Et dans wal­loni­ca…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Le pêcheur d'eau (1995) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © Philippe MATSAS/Opale/Leemage.

FRANÇOIS, Rose-Marie (née en 1939) : "Sur le passage de Leiah" (1997)

   Jolis tis­sus lignés brû­lent la main qui les palpe, usurpatrice hon­teuse de l’innommable. Toi, tu portes rayures trans­vers­es, le fil de l’écriture.
   Il y avait place sur la planète, tu mon­tais l’escalier tour­nant, boule de feu, jar­retières éclos­es, sirène fendue à l’écart des becs de la plume ; épanouie ou absorbée, pleine ou gracile, la boucle cal­ligraphe.
   Pour châ­ti­ment la dis­tance, par­fois dis­soute en rêve quand le matin veut bien atten­dre le jardin. Alors, tu vas, lichen algues aux tem­pes, touffes de nuit sur les paroles, les for­mules tal­is­man­es. Deux garçons mon­tent la garde, filet sur l’épaule, ils comptent les stèles, font tomber les galets, nour­ris­sent les ser­pents des vires.

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recueil Répéter sa mort (1997)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Répéter sa mort (1997) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © Jean Poucet.

PIROTTE, Jean-Claude (1939–2014) : "Je ne parlerai qu'à voix basse" (2004)

je ne par­lerai qu'à voix basse
à mes fan­tômes fam­i­liers
et de nos pas dans les allées
incer­taines du vieux vieux temps
nul ne pour­ra suiv­re la trace

les reflets au bord des étangs
de nos mis­érables car­cass­es
s'évanouissent comme passent
les frêles amours les nuées

les étin­celles de la grâce
je ne par­lerai qu'à voix basse
et le cœur à peine bat­tant
à mes ombres dépos­sédées
par le mirage des années
incer­taines du vieux vieux temps

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recueil La boîte à musique (2004)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil La boîte à musique (2004) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © AFP

DEMOULIN, Laurent (né en 1966) : "Génération perdue" (1998)

À mon âge, mon père avait déjà quit­té ma mère et épousé sa sec­onde femme.
Plusieurs enfants por­taient son nom.
Tan­dis que je vais seul sur la vieille route, sans descen­dance et sans avenir.
À mon âge, mon grand-père avait déjà conçu le plan de livres
Dont je ne com­prends même pas le titre et qui se vendent tou­jours,
Trente ans après sa mort, dis­crète­ment, sur la terre, à des uni­ver­si­taires con­scien­cieux.
Et je traîne ma vie entre deux bières avec amis qui, comme moi, écrivent sans pro­jet,
Jouent de la musique sans con­naître le solfège et font trop peu l'amour.
À mon âge, mon père en était à son troisième méti­er.
Il avait claqué la porte, comme le vent la voile, au large de plusieurs boîtes.
À mon âge, mon fils aimera déjà la femme qui pleur­era à son enter­re­ment,
Comme le père de mon père à celui de la mère de mon père.
Et, je vais seul de loy­er en loy­er, homme neuf, fils de per­son­ne, sans descen­dance et sans avenir.
À mon âge, mon grand-père impo­sait déjà le respect
Son des­tin était gravé dans son cœur de mar­bre
Et le monde était un livre où il ne lui restait plus qu'à recopi­er à la plume
Un texte écrit avant sa nais­sance.
Tan­dis que mon cœur est grif­fé
Et que le monde tout autour ressem­ble plus à des cartes que l'on bat sans cesse
Qu'à un livre blanc.
À mon âge, mon grand-père avait déjà été sacré roi
Et mon père avait déjà pris la Bastille,
À mon âge, mon grand-père réc­i­tait des iambes grecs solide­ment ryth­més.
Mon père les pre­miers poèmes libérés de la rime.
À mon âge, mon fils et ses amis réin­ven­teront enfin la poésie,
Elle remon­tera au Par­nasse dans leur sil­lage vic­to­rieux.
Je n'ai plus qu'à les atten­dre.

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Nou­velle poésie en pays de Liège (antholo­gie, 1998)

Et dans wal­loni­ca…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Nou­velle poésie en pays de Liège (Antholo­gie, 1998) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © ULiège – B. Bouck­aert.

LISON-LEROY, Françoise (née en 1951) : "C'est pas un jeu" (2008)

Elle fait le ménage chez un cou­ple dont elle aime l'homme, en secret. C'est la femme qui la paie après la tasse de café partagée. Elle a volé une pho­to de lui, une clé de sa moto, quelques enveloppes à son nom.

Ce matin elle saisit un cheveu bouclé dans le lavabo, le glisse dans sa boîte à tré­sors. Ren­trée chez elle, elle fera l'inventaire des trou­vailles, depuis le pre­mier revolver.

Paru dans…
recueil C'est pas un jeu (2008)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil C'est pas un jeu (2008) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © Serge Lison.

DANNEMARK, Francis (1955–2021) : "Ce vin de lune" (2000)

Ce vin de lune

(Cool Cat Blues)

Tout per­du, plus d'une fois, bu le lait
du chat, dor­mi sur des lits avec des
femmes chauves. Et tout per­du encore.
on eût dit galerie des glaces brisées
- et je crois que si des rêves durent,
c'est qu'ils vien­nent de Mars
en droite ligne, avec les anges.
Ne me plains pas, non, un matin clair
efface la nuit entière, je voulais
juste dire qu'il y a des choses dont
on ne meurt pas, en tout cas pas
néces­saire­ment. J'aurai mille ans hier
- et demain encore le cœur d'un clown,
qui a tout per­du, plus d'une fois, et bu
le lait du chat, ce vin de lune.

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recueil La longue course (2000)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil La longue course (2000) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © Bernard Kerg­er.

DELAIVE, Serge (né en 1965) : "Peser l'aube" (2022)

Peser l'aube

Amour com­bi­en pèse l'aube
ce matin où elle incendie
tes iris à peine éveil­lés
lunes d'eau ambrées qui dilu­ent
ton corps et ses per­fec­tions de fes­tin
dans les par­tic­ules char­nues de lumière
arrimées à la brise nénuphar

Amour com­bi­en pèse l'aube
ce matin sur les brais­es
de mon implaca­ble soli­tude
que solid­i­fient mon ven­tre et mes entrailles
rongés par un rat aux dents jaunes
sous les travées lour­des de lumière
aus­si menaçantes que le futur

Amour com­bi­en pèse l'aube
ce matin quand je défie le miroir
qui te retient ou t'efface
sur sa sur­face ocre et sans tain
selon la con­stel­la­tion que tu favoris­eras
une source uni­voque de lumière
m'assignant à la nausée des ape­san­teurs.

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recueil Lacu­naires (2022)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Lacu­naires (2022) | con­tribu­teur : Karel Logist | Pho­to de cou­ver­ture par Serge Delaive.

SAVITZKAYA, Eugène (né en 1955) : "Au printemps…" (1986)

Au print­emps, dans le linge pur, le cœur de Jean
ou celui du tau­reau, le mon­stre dans les fleurs,
le fleuri, le pour­ri, le puant et ses feuilles,
ses plantes cul­tivées, trèfle d'épines et palmi­er
de ros­es, et du mon­stre le cinquième
quarti­er, la cervelle, le foie, les yeux et l'ivoire,
du print­emps la géhenne, la boucherie,
couleurs mêlées aux fontes, à la fontaine,
à la roue, au linge autour du cœur, du mon­stre
mort dans le sang et l'eau blanche que vom­it,
garçon de fleurs et d'entrailles, bouch­er
de pre­mier print­emps, le pein­tre des machines.

Paru dans…
recueil Bufo bufo bufo (1986)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Bufo bufo bufo (1986) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © Marie André.

AVENTIN, Christine (née en 1975) : "Des jours longs comme un siècle" (2021)

   

Des jours longs comme un siè­cle
Les nuits durent mille ans
Ces îlots d'un quart d'heure
De vis­ites alternées
Où se règ­lent les comptes
De ton cœur insolv­able

Des spec­tres dans tes rêves
qu'interrompt à l'instant
où tu t'endors enfin
une pose de sonde
une prise de sang
Tu voudrais voir ton fils

Si les coups de ton père
dans ce loin­tain passé
dont tu fais ton his­toire
ne l'avait fis­surée
l'infection aurait-elle
franchi la masse osseuse ?

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recueil Scalp (2021)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Scalp (2021) | con­tribu­teur : Karel Logist | Cou­ver­ture de Ben­jamin Mon­ti.

SORTET, Gaëtan (né en 1974) : "Les feuilles et les rires s'envolent, je crois…" (2023)

Les feuilles et les rires s'envolent, je crois. La cloche sonne, je crois. J'aime bien croire. Je crois ain­si que je croîs.

C'est la messe en si. Si la tour de Pise était droite. Si les paris sportifs étaient en bouteille. Si maman scie.

Je dors tou­jours sur le dos. C'est une manière de pro­téger mes arrières… pen­sées.

Tu sais, j'aime bien ton hon­nêteté. Même si je ne t'y oblige pas. Mais j'aime bien.

Tu dois être ren­trée main­tenant. Ou pas pas pas pas pas pas pas. Ou pas pas pas.

Un jour, j'irai à New Del­hi avec toi.

On y mangera un Dal makhani.

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inédit (2023)

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LECLERCQ, Pascal (né en 1975) : "J'ai mis l'été sur la banquette arrière…" (2018)

     J'ai mis l'été sur la ban­quette arrière, avec un saucis­son, une bouteille à peine entamée de whisky, un demi bac de bière, puis j'ai lancé l'auto sur la route des Ardennes, jusqu'au vil­lage où je l'ai ren­con­trée quelques années plus tôt – elle por­tait l'habit tra­di­tion­nel, jupe longue, busti­er de gitane, un voile de tulle anthracite cachait son vis­age à hau­teur des lèvres.
Au bout de trois canettes, je me suis couché ten­drement sous elle, la fer­me­ture éclair de sa robe imprimée ouverte à mes caress­es ; au bout de six, elle avait dis­paru, me lais­sant seul avec les charmes et les ormes du pré du père Gal­lé. J'ai bu encore, des coups de gnôle entre­coupés de chopes.
Au réveil, mon crâne avait la dureté d'une cage et mon cerveau bat­tait sur ses bar­reaux, furieux d'avoir été piégé. Je me suis sou­venu de ses doigts qui pas­saient pour des pétales et guéris­saient, rien qu'en les effleu­rant, mes joues. Puis le vent s'est mis à souf­fler.

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recueil Analyse de la men­ace (2018)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Analyse de la men­ace (2018) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © DR.

NOUGÉ, Paul (1895–1967) : "Ne vous lamentez plus…" (1925)

NOUGÉ, Paul (1895–1967) : "Vos oreilles vous écoutent…" (1925)

HENRARD, Agnès (né en 1959) : "Si tu me troues les ailes…" (1992)

Si tu me troues les ailes, je garderai ouverts tous
mes yeux indompt­a­bles, ceux qui fouil­lent les
déserts, nar­guent les marécages, rassem­blent les
forêts en-dessous des riv­ières. Si tu me fends les
ailes, je ferai danser l'ange plié sous mes paupières.

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recueil veiller sous les riv­ières (2002)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil veiller sous les riv­ières (2002) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DR.

ROSI, Rossano (né en 1962) : "L'algue mordue" (1991)

Il n'y a rien que tu ne devines
en marchant nue et sel sur le sable
lorsqu'autour de ta cheville
s'enroule verte de mer une algue.

Dans la chair fri­able j'enracine
de ton cou une à une les let­tres
minus­cules de ton nom que salive
et bais­er comme une vaguelette

vien­dront léch­er dès que tu auras
tourné l'horizon de ta pupille
vers ce grand clin d’œil au ras
de l'eau forte de la mer qui plie

peu à peu sous le plomb cré­pus­cule :
sec et mat par ma langue le talc
d'écume est sucé, creux petit cul,
descen­due prête à mor­dre cette algue.

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Nou­velle poésie en pays de Liège (antholo­gie, 1998)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Nou­velle poésie en pays de Liège (Antholo­gie, 1998) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © lesoir.be.