BECKETT, Samuel (1906–1989) : "Que ferais-je" (1978)

que ferais-je sans ce monde sans vis­age
sans ques­tions
où être ne dure qu'un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l'oubli d'avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensem­ble s'engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouf­fre des mur­mures
hale­tant furieux vers le sec­ours vers l'amour
sans ce ciel qui s'élève
sur la pous­sière de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd'hui
regar­dant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à vir­er loin de toute vie
dans un espace pan­tin
sans voix par­mi les voix
enfer­mées avec moi

Extrait de…
Poèmes, suivi de mir­li­ton­nades (1978)

Et dans wallonica.org…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Poèmes, suivi de mir­li­ton­nades (1978) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © ozkok-sipa.

SORTET, Gaëtan (né en 1974) : "Les feuilles et les rires s'envolent, je crois…" (2023)

Les feuilles et les rires s'envolent, je crois. La cloche sonne, je crois. J'aime bien croire. Je crois ain­si que je croîs.

C'est la messe en si. Si la tour de Pise était droite. Si les paris sportifs étaient en bouteille. Si maman scie.

Je dors tou­jours sur le dos. C'est une manière de pro­téger mes arrières… pen­sées.

Tu sais, j'aime bien ton hon­nêteté. Même si je ne t'y oblige pas. Mais j'aime bien.

Tu dois être ren­trée main­tenant. Ou pas pas pas pas pas pas pas. Ou pas pas pas.

Un jour, j'irai à New Del­hi avec toi.

On y mangera un Dal makhani.

Paru dans…
inédit (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : inédit | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © gaetansortet-art.be.

LECLERCQ, Pascal (né en 1975) : "J'ai mis l'été sur la banquette arrière…" (2018)

     J'ai mis l'été sur la ban­quette arrière, avec un saucis­son, une bouteille à peine entamée de whisky, un demi bac de bière, puis j'ai lancé l'auto sur la route des Ardennes, jusqu'au vil­lage où je l'ai ren­con­trée quelques années plus tôt – elle por­tait l'habit tra­di­tion­nel, jupe longue, busti­er de gitane, un voile de tulle anthracite cachait son vis­age à hau­teur des lèvres.
Au bout de trois canettes, je me suis couché ten­drement sous elle, la fer­me­ture éclair de sa robe imprimée ouverte à mes caress­es ; au bout de six, elle avait dis­paru, me lais­sant seul avec les charmes et les ormes du pré du père Gal­lé. J'ai bu encore, des coups de gnôle entre­coupés de chopes.
Au réveil, mon crâne avait la dureté d'une cage et mon cerveau bat­tait sur ses bar­reaux, furieux d'avoir été piégé. Je me suis sou­venu de ses doigts qui pas­saient pour des pétales et guéris­saient, rien qu'en les effleu­rant, mes joues. Puis le vent s'est mis à souf­fler.

Paru dans…
recueil Analyse de la men­ace (2018)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Analyse de la men­ace (2018) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © DR.