MELAGE (00) : L’âme belge, Poèmes pour le centenaire (recueil, 1930)

Rome avait mis son pied tri­om­phant sur le monde.
Rome jetait sa force orgueilleuse et pro­fonde
A l'assaut des Gaulois, à l'assaut des Ger­mains.
Le génie et la gloire ouvrent tous les chemins :
Les aigles s'éployaient sur l'Asie et l'Afrique,
Les légions touchaient aux grèves d'Armorique,
Et les peu­ples vain­cus fuyaient de toute part
Devant ce nom divin et ter­ri­ble : César.
Qui donc pou­vait encor, dressé comme une cible,
Braver le demi-dieu, affron­ter l'invincible !
C'est alors que jail­lit, sec­ouant les forêts,
Sec­ouant le som­meil frigide des marais,
Le for­mi­da­ble cri, le cri rauque et sauvage
De ceux qui préféraient la mort à l'esclavage,
Le cri sub­lime qui, vibrant comme l'airain,
Ebran­la les échos de la mer jusqu'au Rhin.
Et les chênes mous­sus sous leurs vieilles ramures,
Et les huttes croulant sous les noires ver­dures,
Virent pass­er, casqués de leurs cornes d'aurochs,
Fran­chissant les four­rés, les riv­ières, les rocs,
Héris­sés, mus­culeux, dar­d­ant toute leur force
Sous la nudité mate et rude de leur torse,
Les cent mille guer­ri­ers, suprêmes défenseurs
Du sol belge insulté par les envahisseurs […]

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

LOGIST : Si tu me disais viens et autres poèmes (recueil, 2007)

[LECARNETETLESINSTANTS, n°149] Il y a, chez Karel Logist, quelque chose d’un Apol­li­naire post­mod­erne. Il donne à ses poèmes un rythme entre com­plainte et comp­tine, avec une ten­dresse et une mélan­col­ie prime­sautières. Ici, la sim­plic­ité chante et enchante, mais la musi­cal­ité n’exclut pas le réal­isme. Si tu me dis­ais viens, c’est, évidem­ment, un pro­gramme de ren­con­tre (amoureuse), c’est un pro­jet auquel le «je» – dis­ons Logist – souscrit avec ent­hou­si­asme, mal­gré les périls qu’il recou­vre, et surtout «je prendrais ça très bien / que ce soit aujourd’hui / que tu me le pro­pos­es». Il y a ain­si, tout à la fois, une forme de l’attente et une de l’urgence; autant dire que les poèmes s’enthousiasment à l’idée de la ren­con­tre et s’y pré­par­ent, mais que l’initiative devra venir de l’autre car, de ce côté, le monde fait le point sur lui-même, comme pour mieux savoir ce qu’il aura à pro­pos­er au moment de répon­dre à l’appel. Et ce monde, c’est aus­si celui de «six heures du matin / quand les men­di­ants sont endormis / dans les park­ings / sous des car­tons», où «les toxs ont des chiens / jaunes qui les tirent en ville», et dans lequel «les pho­tographes s’y enten­dent / pour ren­dre belles les princess­es». Logist ne se laisse pas abuser par les divers­es facettes de la réal­ité, mais «on veut croire à l’amour / pour soi, pour l’autre, pour tous les autres». Aus­si, entre obser­va­tion et réflex­ion tient-il «la chronique de nos tour­ments / de jours qui coulent en couleur / dans le sens des heures à venir», sachant qu’«on t’abrite de la nuit / jamais de ses démons». Le désir l’emporte toute­fois sur les désil­lu­sions et le recueil trace une quête du bon­heur, mais le poème ne s’écrit pas que dans les livres puisque «c’est écrit là entre tes yeux / que tu es tombé amoureux». Il faut recom­man­der Logist, surtout à ceux qui pensent que la poésie est her­mé­tique (ils ver­ront ain­si com­bi­en c’est faux), mais aus­si parce qu’il parvient à renou­vel­er, en ter­mes sim­ples, l’expression des émo­tions que cha­cun tra­verse quo­ti­di­en­nement.

Jack Keguenne

LOGIST, Karel : Si tu me dis­ais viens et autres poèmes (Erce, 2007)
ISBN‎ 9782871450115 – Français (Bel­gique)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (10) : "1830" (1930)

1830

Ô som­met lumineux et rouge de l'histoire,
Que la postérité, d'un geste osten­ta­toire,
   Mon­tre à la fierté des enfants !
Quand le peuple~martyr en eut gravi le faîte,
Libre de tous les jougs, ivre de sa con­quête,
Quel délire sans fin sous les cieux tri­om­phants !

   Mais, ô Lib­erté, vierge altière !
   Pour tiss­er ta sainte ban­nière,
   Com­bi­en de siè­cles dépen­sés !
   Com­bi­en d'opiniâtres batailles,
   Com­bi­en, hélas ! de funérailles
   Et de cadavres entassés !

Après l'Espagne, après l'Autriche, après la France,
Qui sont les noms hon­nis de ta longue souf­france
   Voici le nom le plus hon­ni :
Les fils des vieux Croisés devien­dront des Bataves,
Le pays de Calvin forg­era des entrav­es
Pour ce peu­ple qu'il hait et qui lui fut uni !

   Subir ce tyran minus­cule !
   Eh bien ! non, c'est trop ridicule !
   Le pays qui fut le berceau
   Des Gode­froid, des Charle­magne,
   Qui doit vain­cre un jour l"Allemagne,
   Ne peut pas subir le Nas­sau.

Nous étions à Poitiers, à Nicée, à Pavie,
Notre épée arbi­tra les des­tins de l'Asie,
   Nos lions et nos lion­ceaux
De leur griffe ont gravé ces noms : Cour­trai, Lépante,
Et leur postérité, pour trem­bler d'épouvante,
Attend d'autres domp­teurs que les pâles Nas­saux.

   Guil­laume a tué la jus­tice,
   Mais voici que le précipice
   S'ouvre sous son pied, Dieu mer­ci!
   Le vol­can pop­u­laire fume,
   Et c'est ton geste qui l'allume,
   Ô Muette de Por­ti­ci!

Jours fameux de Sep­tem­bre ! exploits des bar­ri­cades,
Où se mêlent, bra­vant mitrailles, fusil­lades,
   Tous les rangs et tous les dra­peaux !
A moi ! La lib­erté retrou­ve enfin son glaive !
Les temps sont révo­lus ! elle vivra le rêve
Qui lui prit tant de fois son sang et son repos.

   Pour des com­bats cent con­tre mille,
   Défer­lent du champ, de la ville,
   Ouvri­ers, nobles et bour­geois,
   Et le Parc rav­agé fris­sonne
   Quand paraît la bande wal­lonne
   Et Char­li­er, la Jambe~de~bois.

Quinze mille héros hol­landais sont en fuite !
Merode et ses huit cents leur fer­ont une suite
   A tra­vers la gloire et la mort !
Deux ou trois points d'arrêt : Vieux-Dieu, Berchem et Lierre,
Et déjà le lion rugit à la fron­tière,
Tri­om­phal et sanglant, l'oeil fixé sur le Nord !

   Et des mil­lions de voix loin­taines,
   Echos des coteaux et des plaines,
   Clameur d'un grand peu­ple indomp­té,
   Clameur de joie et de démence,
   Jail­lisse­ment d'une âme immense,
   L'acclament dans l'immensité.

Les cités, les hameaux, les vieilles citadelles,
Les clochers, les pignons, les don­jons, les tourelles,
   Orgueilleux de ces flo­raisons,
Bran­dis­sent dans le vent leurs dra­peaux tri­col­ores
Qui chantent, procla­mant les nou­velles aurores,
Chantent leur hymne alti­er à tous les hori­zons.

   L'Europe a par­lé d'équilibre:
   C'est bien, mais la Bel­gique est libre,
   Libre de suiv­re ses des­tins !
   Son esquif, armé d'endurance,
   Appareille vers l'espérance
   Des bon­heurs proches et loin­tains,

Salut, obscurs sol­dats de la lutte héroïque !
Le dernier d'entre vous, indompt­able, stoïque,
   Met sur nos fronts de la fierté !
Et c'est pourquoi vos fils seront unis quand même
Pour défendre sans fin le sanglant diadème
Qui couronne depuis cent ans la Lib­erté.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (09) : "La Vendée belge" (1930)

La Vendée belge

Nous n'avons pas con­nu dans notre longue his­toire
De tyrans plus abjects, d'histrions plus sanglants
Que ces fameux héros du fameux Direc­toire,
Assas­sins des pays désar­més et trem­blants !

Leur lib­erté, mégère aux men­songes canailles,
N'apporta dans les plis de ses vieux ori­peaux
Que le crime et le vol de mon­stres sans entrailles
Et l'ordure à plein jets, sur ses hon­teux dra­peaux.

Ban­dits stipendiés pour des for­faits énormes,
Habiles à piller, à créer des déserts,
Ils aimaient à souiller l'honneur des uni­formes,
De tri­om­phes sans gloire et de crimes per­vers.

Des palais somptueux, de vieilles cathé­drales
S'écroulent, menaçant leurs hum­bles défenseurs,
Et dans l'air endeuil­lé mon­tent par­mi des râles,
Les rires des soudards et des démolis­seurs.

Des cloîtres que le temps de sa gloire irradie
Jonchent de leurs débris la colline et le val ;
Leur nom rouge de sang et rouge d'incendie
N'est plus qu'un son plain­tif : Aulne, Villers, Orval.

Joy­aux de l'art, tré­sor unique des ancêtres,
Reli­quaires, émaux, chan­de­liers, osten­soirs,
Où serez~vous demain, chefs‑d'oeuvre des vieux maîtres,
Dans quels creusets loin­tains ou dans quels antres noirs !

Il faut ali­menter les sanglantes lux­u­res :
Vingt-neuf chars ont traîné l'or belge vers Paris,
Il faut ali­menter les pris­ons, les tor­tures :
Les inno­cents, traqués, ne trou­vent plus d'abris.

Il faut ali­menter la république infâme :
Vides ses mag­a­sins ! vides ses ate­liers !
Pour nour­rir ses petits qu'elle haît, qu'elle affame,
La Bel­gique offrira de rich­es rate­liers.

Il faut… Force à la loi! Mais non, c'est trop inique !
Les Belges qu'on n'a point tués, tous des con­scrits ?
Tous voués aux autels du régime cynique?
Non, non ! assez d'horreurs, de morts et de pro­scrits !

Trop de prêtres mar­tyrs pour­ris­sent à Cayenne,
Trop d'hommes sont tombés sous les balles des Bleus ;
Debout, hum­bles lut­teurs ! Une aube vendéenne
Va jeter de l'espoir sous vos ciels nébuleux !

Et voici, défer­lant des huttes et des granges,
De Mae­s­ey­ck à Tour­nai, de Ter­monde à Cler­vaux,
D'étranges révoltés, munis d'armes étranges :
Des blous­es, des sabots, des bâtons et des faulx.

Sous leur dra­peau vain­queur, la Flan­dre, la Campine
Fer­ont trem­bler les assas­sins des lib­ertés,
Et c'est dans cet enfer comme une heure divine :
0 volup­té de vivre et d'être red­outés !

Ils devront affron­ter la sci­ence et le nom­bre,
Mais les périls plus grands font les exploits plus beaux :
Le mas­sacre est au bout de la bataille som­bre,
la croix des mar­tyrs luira sur les tombeaux.

Mar­tyrs, ceux qui suiv­aient Cor­beels, Waha, Loupoigne,
Qui lut­taient en pri­ant et qui savaient mourir !
Mar­tyrs, ceux de Has­selt, de Stavelot, de Soigne,
Et ceux~là qui dis­aient : « Je ne sais pas men­tir » !

Mais le geste écla­tant des hum­bles épopées
Souf­flette le tri­om­phe igno­ble des bour­reaux,
Et les charniers sanglants faits de têtes coupées
Devi­en­nent des autels où mon­tent les héros ;

Et c'est un fier tombeau que la bruyère ardente,
Où rêve longue­ment le sou­venir béni,
Où se recueil­llerait le coeur pro­fond du Dante
En regar­dant prier l'horizon infi­ni.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (08) : "La science" (1930)

La science

Le Pays chante et bruit comme une ruche immense :
Le champ, le bois, le port, la forge, le chantier ;
Méprisant le veau d'or et sa morne opu­lence,
L'Esprit pour­suit le Vrai dans son roy­aume alti­er.

Sur son prob­lème abstrus Stévin songe en silence,
Mer­ca­tor, sous ses doigts, tient l'univers entier,
Sur les pas des anciens Juste-Lipse s'élance,
La grâce perd Baïus dans son obscur sen­tier.

Le vol de la pen­sée ardente et soli­taire,
Dans l'insondable nuit où règne le mys­tère,
Inter­roge sans fin les bornes du savoir ;

Et sur la mer d'erreur qui défer­le et qui gronde,
Lou­vain ray­onne au loin sa lumière pro­fonde,
Phare de vérité debout sous le ciel noir.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (07) : "Les Gueux" (1930)

Les Gueux

Les souf­fles de l'erreur ont semé des tem­pêtes,
Et le crime fer­mente et bout dans les cerveaux,
Et l'hérésie appelle à des bon­heurs nou­veaux
Tous les trou­peaux de gueux, tous les instincts de bêtes.

Et l'enfer déchaîné se rue à ses travaux :
L'on saccage et l'on pille, et l'on coupe des têtes,
Et pour mieux attester la beauté des con­quêtes,
Dans les tem­ples détru­its s'abreuvent les chevaux.

L'épouvante et l'horreur étreignent la Bel­gique :
Ver­ra-t-on s'allonger sur le sol catholique
L'ombre du Tac­i­turne ou l'ombre de la Croix ?

Chré­tiens, vive le Christ ! Alexan­dre Farnèse
Sous son pied tri­om­phal étouf­fa la four­naise :
Et Dieu res­ta le chef des cités et des rois !

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (06) : "Les Primitifs" (1930)

Les Primitifs

Dans l'art prodigieux des vieilles cathé­drales,
Reta­bles et vit­raux, voûtes et pen­den­ti­fs,
Pâle extase des saints dans les splen­deurs flo­rales,
Tout vibre en racon­tant l'âme des Prim­i­tifs.

Mer­veilles du pinceau, den­telles sculp­turales
Tri­om­phes ruti­lants des par­adis naïfs,
Nimbes d'or couron­nant les pâmoi­sons, les râles,
Reflets divins éclos dans les drames plain­tifs !

Sur les corps décharnés la pen­sée éter­nelle
A mis, hum­ble et puis­sant, tout l'essor de son aile,
Et Dieu, dans l'oeuvre entier, s'installe comme un roi.

0 siè­cle mer­veilleux de force et de génie !
Artistes de la Flan­dre et de la Wal­lonie !
Quel fut votre secret ? – Le secret, c'est la Foi.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (05) : "La cloche du beffroi" (1930)

La cloche du beffroi

Dans l'aérienne demeure
Où rêvent les jours d'Autrefois,
La cloche qui chante et qui pleure
Eveille des mil­liers de voix :
Témoin du temps et de l'espace,
A tout ce qui naît et qui passe
Elle rend un écho pro­fond,
Car elle écoute, mater­nelle,
L'hymne de la voûte éter­nelle
Et le bruit que les hommes font.

Tous les grands remous de l'histoire
Autour du bef­froi sou­verain,
L'élan, la lutte, la vic­toire,
Dor­ment dans son âme d'airain.
Ah ! ces tri­om­phes pop­u­laires
Où dans les gloires jubi­laires
On proclame les lib­ertés !
Ah ! ces gens de Flan­dre et de Liége
Révoltés que leur prince assiège
Et sont tou­jours des révoltés !

Voici le Prince-Evêque en fuite:
Son­nez pour la rébel­lion !
L'armée étrangère est détru­ite
Cloche son­nez! Flan­dre au lion !
Demain la lib­erté sacrée
Va faire sa joyeuse entrée !
Voici la Male Saint-Mar­tin,
Voici les Matines bru­geois­es,
Voici les vic­toires bour­geois­es :
Son­nez le tri­om­phe hau­tain !

Chantez, cloche, les moissons blondes
Qui débor­dent sur les sen­tiers,
Et chantez les nefs vagabon­des
Le long des quais et des chantiers !
Les marteaux dansent sur l'enclume,
Les métiers chantent dans la brume :
Pau­vre homme en sa mai­son est roi !
Chantez pour toute la richesse,
Chantez pour toute l'allégresse,
Chantez, cloche du vieux bef­froi.

Quand les prin­cières cav­al­cades,
Ruti­lantes sous le soleil,
Sur les routes, dans les bour­gades,
Pas­saient dans un brouil­lard ver­meil.
Quand le cortège des prières
Déroulait au vent ses ban­nières,
Reine des car­il­lons joyeux,
La vieille cloche par volées,
Par delà les monts, les val­lées,
Jetait sa gloire à tous les cieux.

Oui, la cloche a chan­té les fêtes
Et tous les jours que Dieu bénit,
Mais lorsque l'ombre des défaites
ijtreignait sa tour de gran­it,
Lorsque les rageuses batailles
Fai­saient de rouges funérailles,
Lorsque les crimes,
S'ajoutaient à l'épidémie,
La cloche, douloureuse amie,
pleu­rait à longs san­glots.

Jours des sin­istres hécatombes,
Où Lié­geois, Dinan­tais, Gan­tois,
S'écroulaient sanglants dans les tombes
Tan­dis que flam­baient tous les toits !
Jours des atro­ces repré­sailles
Où le pays, jusqu'aux entrailles,
Trem­blait au seul nom des bour­reaux !
Grands d'Espagne ou ducs de Bour­gogne,
Soudards sans âme et sans ver­gogne,
0 buveurs du sang des héros !…

Vieille cloche, ô con­tem­po­raine
De tant de siè­cles révo­lus,
Dont la voix dolente et sere­ine
Fait songer des ais ver­moulus !
Vieille cloche, son­nez quand même,
Puisque c'est votre loi suprême
De par­ler de mort et d'espoir !
Vieille cloche, son­nez encore,
Puisque vous con­nûtes l'aurore
Puisque vous con­naîtrez le soir !

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (04) : "Jacques van Artevelde" (1930)

Jacques van Artevelde

Le peu­ple est un enfant dont les colères folles
Brisent pour un caprice absurde les idol­es
   Qui furent sa vie un moment.
Et l'histoire est un drame immense où l'on assiste
A l'éternel com­plot éter­nelle­ment triste
   Du crime inutile et dément.

Le masque impérieux, qu'un éclair illu­mine,
Debout dans son des­tin, le vieux Ruwaert domine
   L'horizon d'un siè­cle agité.
Son coeur était si grand qu'il con­te­nait la Flan­dre
Son des­tin fut si beau que l'on n'a pu lui ren­dre
   Jamais l'hommage mérité.

La Flan­dre se mourait: la France et l'Angleterre
Etouf­faient dans l'étau meur­tri­er de leur guerre.
   Son opu­lente activ­ité ;
Mais l'homme en qui bat­tait tout le coeur d'une race
Appuyant son génie à sa tran­quille audace
   Sau­va le peu­ple et la cité.

Il était né seigneur, mais de som­bres colères
Fer­men­taient sour­de­ment dans les flots pop­u­laires ;
   Le pays était aux abois ;
Les Leli­aerts per­daient la cause com­mu­nale,
Nev­ers la trahis­sait, la lutte était fatale :
   D'Artevelde se fit bour­geois.

Et l'on vit se dress­er, pen­nons con­tre ban­nières,
En face des métiers, les nobless­es altières :
   Sous le branle~bas des toc­sins,
Le Tri­bun entraî­na dans des luttes épiques
Les mas­sifs com­mu­niers à la fête des piques,
   Au nom de la Vierge et des Saints.

Vêtu du mail­lot rouge et du sur­cot de laine,
Il réc­on­cil­ia par le mont, par la plaine,
   Les farouch­es inim­i­tiés ;
Il cimen­ta partout les coeurs de ses mains fo r tes,
Dis­ci­plina le peu­ple et ses hum­bles cohort­es.
   Fit pleu­voir l'or sur les métiers.

L'égoïsme hau­tain, ni l'ambition vile
N'effleurèrent jamais de leur ombre servile
   La vail­lance de ses des­seins,
Mais il avait ouï dans la nuit rouge un râle :
Il se dres­sait vengeur de la terre natale,
   Héros, devant des assas­sins

Avec l'autorité superbe d'un vieux sage
Son verbe fla­gel­lait, fou­et cinglant, au vis­age
   Les tyrans de la lib­erté ;
Mais le songe pro­fond de son regard trag­ique,
Mais la force d'airain de son coeur paci­fique
   Ne con­te­naient que la bon­té.

Le pou­voir appar­tient à qui le ciel le donne,
Et les hum­bles, con­quis à ce roi sans couronne,
   Embras­saient en pleu­rant ses mains ;
Et le géant, les yeux au loin, comme un prophète,
Achevait puis­sam­ment de pouss­er à son faîte
   L'édifice des lende­mains.

Il pou­vait, d'un seul mot, sur la foule pro­fonde,
Sus­citer à son gré la tem­pête qui gronde
   Ou l'espoir qui chante et qui luit ;
Son grand geste ten­du sem­blait porter la Flan­dre:
Ceux qu'il fal­lait venger, ceux qu'il fal­lait défendre,
   Sans trêve se tour­naient vers lui.

Et c'est pourquoi dans l'ombre il ren­con­tra l'émeute :
Sub­lime comme un dieu qui méprise une meute,
   Sachant qu'il revivrait bien­tôt,
Car le crime par­tois regrette sa démence,
Car le sang pur est une gloire qui com­mence,
   Il s'écroula sous le couteau.

Or l'avenir grandit ceux que l'envie immole :
Jacques van Artevelde est beau comme un sym­bole.
   Par­mi les clochers, les bef­frois,
Debout sur les hau­teurs des luttes com­mu­nales,
Il appelle à ses pieds les gloires tri­om­phales,
   Car il fut plus grand que les rois.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (03) : "Les Croisés" (1930)

Les croisés

L'Orient est trop loin sur les routes du monde :
Nous ne ver­rons jamais les portes du Saint-Lieu.
- Mais c'est Dieu qui fait signe à l'Occident qui gronde:
   Frères, Dieu le veut! Dieu le veut !

Le soleil des déserts nous tuera de ses fièvres :
Qui calmera la soif des marcheurs aux abois ?
- Mais l'eau pure tou­jours abreuvera vos lèvres,
   Celle qui jail­lit de la Croix.

Nous tomberons là-bas par cen­taines de mille :
Les Sul­tans sont des dieux, les Turcs sont des démons.
- Mais le sang des mar­tyrs n'est jamais inutile,
   Mais la Foi trans­porte les monts !

Alors, l'épée au flanc et la croix sur l'épaule,
Un peu­ple de guer­ri­ers s'ébranla tout puis­sant,
Car ce tombeau loin­tain l'aimantait comme un pôle,
   Le tombeau cap­tif du Crois­sant.

Les tours, les minarets, à la voix des prophètes,
Se héris­saient en vain sous le choc des béliers :
Les assauts de géants étaient les rouges fêtes
   Où tri­om­phaient les cheva­liers.

Ils se jetaient bardés dans la sainte bataille,
Rail­laient les Sar­razins, provo­quaient leur fureur,
Joyeux, sous le haubert et la cotte de maille,
   D'être sans reproche et sans peur.

L'éclair des duren­dals, sans repos et sans trêve,
Fauchait les rangs paiëns comme on fauche des blés
Et les faucheurs, four­bus, ne sus­pendaient leur glaive
   Que sur les rem­parts écroulés.

Escortés de cap­tifs aux soumis­sions viles,
Ter­ri­bles, à grand coups d'estoc et d'étriers,
Ils fai­saient se courber les tentes et les villes
   Sous le pas des lourds destri­ers.

Anti­oche, Byzance, Ascalon, Tyr, Edesse,
Gloires de Mahomet, croulaient de toutes parts,
Et l'étendard du Christ, mes­sager d'allégresse,
   Fai­sait fuir tous les éten­dards.

Mais leurs chefs, Gode­froid, Bau­douin, Thier­ry d'Alsace,
Le front dans la pous­sière, implo­raient des par­dons,
Ajoutaient Dieu lui-même à l'incroyable audace
   Des lances et des espadons ;

Et lorsqu'ils tri­om­phaient dans la lutte suprême
Lorsque Jérusalem ouvrait ses portes d'or,
Ils voulaient que le Christ fût le seul diadème
   Qui nim­bât leur sanglant effort.

Ô siè­cles mer­veilleux, dont la haute épopée
Jeta de tels reflets qu'ils tra­versent les temps !
Prodigieux guer­ri­ers dont la pesante épée
   Fai­sait trem­bler tous les sul­tans !

C'est la chan­son du fer qui son­nait dans les âmes,
Et lorsque, proche ou loin, appa­rais­sait la Croix,
L'héroïsme exal­tait les hommes et les femmes :
  Mais ce temps se nomme Autre­fois.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (02) : "La pacifique conquête" (1930)

La pacifique conquête

Les Césars n'étaient plus qu'un sou­venir,
Mais les devins trem­blaient d'évoquer l'avenir.
Les Van­dales, les Huns, les Francs et les Bur­gondes
Déchaî­naient leurs instincts de hordes vagabon­des,
Chas­saient les empereurs, assas­si­naient les rois,
Ecra­saient sous le joug bar­bare tous les droits.
Appuyés sur le fer de leurs longues framées,
Ils allaient au butin. Leurs sin­istres armées
Sur les blanch­es vil­las pas­saient en tour­bil­lons,
Et la mort moisson­nait dans de rouges sil­lons.
Le Crime chevauchait sur les routes romaines
En rêvant de gibets, de torch­es et de chaînes.
Tuer, piller, brûler : vail­lants et fiers travaux !
L'herbe ne pous­sait plus où pas­saient les chevaux.
Clo­vis et Gen­séric, Clotaire et Fréde­gonde
D'atrocités sans nom épou­van­taient le monde.
Les opprimés souf­fraient, pleu­raient, cri­aient en vain…
Et voilà que fleu­rit le mir­a­cle divin.
Des incon­nus chétifs, pieds nus, vêtus de bures,
Affron­tèrent les rois aux longues chevelures,
Et par­lèrent d'un homme autre­fois mort en croix,
Mort pour tous, pour les Francs, les Belges, les Gaulois.
Les yeux extasiés sous des pâleurs austères,
Ils allaient, pèlerins de sub­limes mys­tères,
Par­couraient les coteaux, les plaines et les monts,
Ressus­ci­taient des morts et chas­saient les démons.
Ils prêchaient la pitié, le par­don, la souf­france,
Et semaient lumineux l'éternelle espérance…
Or, faibles, désar­més, ils furent les plus forts :
Les divines moissons bénirent leurs efforts.
Les peu­ples se cour­baient sous les voix solen­nelles
Qui racon­taient le Dieu des gloires éter­nelles,
La splen­deur des par­dons, l'horreur des châ­ti­ments.
Et l'écho des forêts écoutait leurs ser­ments :
« Tout ce que j'adorais, ô Christ, hier encore,
» Je le brûle, et ce que j'ai brûlé, je l'adore. »
Et l'on vit s'écrouler sur leurs hon­teux autels
Thor, Mer­cure, Wotan, les dieux vains et cru­els.
Et des cortèges blancs, tri­om­phes du Bap­tême,
Que la Foi couron­nait de son pur diadème,
Chem­inèrent sans fin vers les tem­ples vivants
Où le ciel se pen­chait sur des hymnes fer­vents.
C'était sur le Pays comme un souf­fle de brise :
Des renou­veaux pro­fonds, les print­emps de l'Eglise,
Elar­gis­sant sous les soleils leurs hori­zons,
Sous l'arbre de la Croix jetaient leurs flo­raisons.
Amand, Hubert, Eloi, Lan­delin, Eleuthère,
A l'ombre du palais, autour du monastère,
Sous leur geste incli­nant les sauvages fiertés,
Enseignaient le tra­vail et ses mâles beautés.
Des leudes de grand nom et de haute lignée
Sus­pendaient la fran­cisque et pre­naient la cognée,
Des princes abri­taient leur ver­tu sous le froc,
Les grands bois rec­u­laient sous la hache et le soc…

Gloire à ces pio­nniers aux gestes de lumière!
L'âme belge naquit de leur sainte pous­sière,
Et Charle­magne et son grand siè­cle allaient venir,
Car c'est sur le passé que germe l'avenir !

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (01) : "L'aube sanglante" (1930)

L'aube sanglante

Rome avait mis son pied tri­om­phant sur le monde.
Rome jetait sa force orgueilleuse et pro­fonde
A l'assaut des Gaulois, à l'assaut des Ger­mains.
Le génie et la gloire ouvrent tous les chemins :
Les aigles s'éployaient sur l'Asie et l'Afrique,
Les légions touchaient aux grèves d'Armorique,
Et les peu­ples vain­cus fuyaient de toute part
Devant ce nom divin et ter­ri­ble : César.
Qui donc pou­vait encor, dressé comme une cible,
Braver le demi-dieu, affron­ter l'invincible !
C'est alors que jail­lit, sec­ouant les forêts,
Sec­ouant le som­meil frigide des marais,
Le for­mi­da­ble cri, le cri rauque et sauvage
De ceux qui préféraient la mort à l'esclavage,
Le cri sub­lime qui, vibrant comme l'airain,
Ebran­la les échos de la mer jusqu'au Rhin.
Et les chênes mous­sus sous leurs vieilles ramures,
Et les huttes croulant sous les noires ver­dures,
Virent pass­er, casqués de leurs cornes d'aurochs,
Fran­chissant les four­rés, les riv­ières, les rocs,
Héris­sés, mus­culeux, dar­d­ant toute leur force
Sous la nudité mate et rude de leur torse,
Les cent mille guer­ri­ers, suprêmes défenseurs
Du sol belge insulté par les envahisseurs.
Tréviriens, Eburons, Nerviens, Adu­a­tiques,
Tous, jusqu'aux Ménapi­ens, farouch­es, mag­nifiques,
Trem­pant dans leur cour­roux la flèche des car­quois,
Bran­dis­sant vers les cieux leurs boucliers de bois,
Au hasard des sen­tiers, guidés par leurs colères,
Sous le geste obéi des grands chefs pop­u­laires,
Ils mar­chaient, ils couraient vers le sanglant com­bat,
Parce qu'on avait dit que César était là.
Boduog­nat, Ambior­ix, Induciomare,
Tumultueux héros ! votre glaive bar­bare,
Mieux que les druides, mieux que tous les vains par­leurs,
Sut faire l'union des races et des coeurs…
Ils tombèrent pour­tant. Mais leur mort fut leur gloire,
Car leur sang, qui rougit l'aube de notre his­toire,
De siè­cle en siè­cle à tous leurs fils a racon­té
Com­ment on meurt en défen­dant la lib­erté.
Au large des dol­mens, des rochers, des clair­ières,
Leurs cadavres loin­tains ont des voix de prières
Que berce le fris­son des guis mys­térieux.
0 voix des vieux tombeaux ! voix graves des aïeux !
Vous répétez sans fin : « Veillez à vos fron­tières,
Car c'est un crime affreux de se bat­tre entre frères,
Quand un dan­ger nou­veau sur­git chaque matin,
Et qu'on voit se lever la hache du des­tin ! »

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (12) : "Ceux qui sont morts" (1930)

Ceux qui sont morts

Ne les oublions pas ! les oub­lis sont des crimes !
Oubli­er des héros, oubli­er des vic­times,
Quand on voit sur leurs os ger­mer tout l'avenir !
Puisqu'ils ont su mourir, ils ont le droit de vivre,
Et si notre des­tin ne fut pas de les suiv­re,
   Sachons du moins nous sou­venir.

Quand un peu­ple détru­it les autels de la gloire,
Quand il chas­se les morts, hélas ! de sa mémoire,
Quand son passé, dont l'univers fut ébloui,
Sous les pieds du pro­grès n'est plus que de la cen­dre,
C'est qu'il rampe si bas qu'il ne peut plus descen­dre,
   Et quelque chose est mort en lui.

Que les vils trafi­quants, cha­cals aux dents avides,
N'aient vu dans nos exploits que leurs prof­its sor­dides.
Qu'ils aient pu, l'âme sourde aux appels élo­quents,
Mon­nay­er le mal­heur, rançon­ner la détresse,
Et bâtir le bien-être épais qui les engraisse,
   Eh bien ! ce sont des trafi­quants !

Mais nous, nous avons vu sur les sanglants abîmes
L'idéal qui cinglait, éployé, vers les cimes :
Ayant pris aux maisons, aux champs, aux ate­liers,
Ses légions de preux qui l'adoptaient pour maître,
Il mon­tait, délivré des chaînes du bien~être,
   Entraî­nant tous ses cheva­liers.

Ils par­taient, hasardeux, pour la grande aven­ture,
Où, pal­adins du droit con­tre la for­fai­ture,
Sachant bien que pour vain­cre il faut savoir souf­frir,
A l'ombre des dra­peaux qui vengeaient notre cause,
Ils allaient sim­ple­ment accom­plir cette chose :
   Lut­ter pour elle, et puis mourir.

Ils sont morts. Mais au bruit des fan­fares guer­rières
Qui jetaient à l'assaut leurs lignes meur­trières,
Ils gravèrent au ciel des exploits si nou­veaux,
Ces héros qu'exaltaient les hautes équipées
Firent son­ner si clair la chan­son des épées
   Qu'on se sou­vint de Ron­ce­vaux.

Ils sont morts. Mais déjà, nar­guant les aigles noires,
Monte, sur le vieux sol tout pavé de leurs gloires,
Un tem­ple de beauté que rien ne peut ternir :
Plus le soc meur­tri­er fit leur tombe pro­fonde,
Plus haut dans la splen­deur, monte, éton­nant le monde,
    La Bel­gique de l'avenir.

Ils sont morts. Mais les jours d'éternelle jus­tice
Ont déjà couron­né devant Dieu leur sup­plice,
Et, con­sacrés deux fois par l'immortalité,
Leurs tombeaux sont fleuris de cette joie immense :
Dans les coeurs de seize ans leur race recom­mence :
   Ils ont une postérité.

Tant qu'un peu­ple d'enfants, sur les bancs des écoles,
Faisant taire le bruit de leurs rêves friv­o­les,
Sur les voix du passé se pencheront ravis,
Tant qu'ils ver­ront briller sur la carte du monde
La tache de couleur que tant de sang inonde
   Et qu'ils appel­lent: « Mon Pays » ;

Tant que sur nos forêts, sur nos moissons jau­nies,
L'été promèn­era ses lentes sym­phonies,
Tant que la mer bat­tra la dune de ses flots,
Et que le vent d'Ouest, en pas­sant sur nos plaines,
Redi­ra nos orgueils, nos douleurs et nos haines
   Dans ses clameurs, dans ses san­glots ;

Tant que des coeurs vivront dans des poitrines fières,
Tant que nos vieux lions dresseront leurs crinières,
Tant que, les yeux fixés sur nos grands livres d'or,
L'Histoire, en traits de feu, dira nos grandes Gestes,
Et que l' Art, aux élans sub­limes ou mod­estes,
   Ira pren­dre là son essor,

Toutes nos voix, ô morts ! diront vos gloires fières :
Voix pieuses des deuils, des bronzes et des pier­res,
Voix des cloches qui font s'émouvoir les val­lons,
Voix des chantiers hurlants où la fièvre tra­vaille,
Voix de la terre qui d'honneur encor tres­saille,
   Voix des Fla­mands, voix des Wal­lons !

Du fond du sol qui fut pétri par les mitrailles,
Du fond des coeurs, encor saig­nants de leurs entailles,
Sous les lam­beaux troués qui furent ses dra­peaux,
Le grand peu­ple mar­tyr, frémis­sant jusqu'aux moelles,
Fera vibr­er jusqu'à l'azur, jusqu'aux étoiles,
   Le cri tri­om­phal des tombeaux !

Et les aïeux, ceux qui, créant nos renom­mées,
Bran­dis­saient puis­sam­ment goe­dendags et framées,
Voy­ant qu'on meurt encore pour l'immortalité,
Que, devant l'univers ému qui le regarde,
Le Pays de l'honneur monte tou­jours la garde
   Pour le droit et la lib­erté.

Dénom­brant nos héros qui dor­ment sous la terre
Pour avoir cru que les ser­ments sont chose austère,
Tous les aïeux diront pour, celui qui com­prend :
« 0 Pays qui lut­tas quand il fal­lait se ren­dre,
» Pays qu'on peut broy­er, mais qu'on ne peut pas ven­dre,
   » Par tes morts, Pays ! tu fus grand ! »

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.

MELAGE (11) : "A l'ombre du drapeau" (1930)

A l'ombre du drapeau

L'ombre du dra­peau tri­col­ore
Dans ce grand siè­cle fit éclore
Toutes les fleurs et tous les fruits :
L'Art, la Sci­ence et l'industrie
Ont mis au front de la Patrie
Leur Guir­lande jamais flétrie,
OEu­vre des jours, oeu­vre des nuits.

Obstiné­ment penchés sur leurs sables revêch­es,
Raidis­sant tout l'effort de leurs bras mus­culeux,
Les Flan­driens têtus poussent pro­fond leurs bêch­es
Autour des hauts moulins dressés sous les ciels bleus.

L'Ardenne défend mal sa cuirasse de schiste
Qu'entament le labeur savant et le pro­grès,
La sci­ence dis­sout l'obstacle qui résiste,
Et la cognée abat la toi­son des forêts.

0 Campine ! tristesse auguste de la lande !
Rêve de la bruyère où rit le feu fol­let !
Pour vous insér­er mieux dans la vaste Guir­lande,
Hélas ! Dumont noircit l'horizon vio­let.

Le Con­droz, la Hes­baye ont leurs plaines immenses
Où l'éclair de la faulx zèbre l'or des moissons,
Où le semeur qui songe en jetant ses semences
Ecoute bruire au loin la vie et ses chan­sons.

   Probes tra­vailleurs de la terre,
   Pour­suiv­ez votre tâche austère
   Qui fait du pain pour nos enfants :
   L'ombre du dra­peau tri­col­ore,
   A chaque soir, à chaque aurore,
   Pro­tège de sa gloire encore
   Le labeur de la paix des champs.

Il faut que l'idéal se fiance à la force :
L'honneur de l'opulence est de mon­ter plus haut,
Il faut oeu­vr­er du poing, et du bras, et du torse,
Mais il faut ce bla­son : le labeur du cerveau.

L'oeil du savant sonde la vie et ses mys­tères,
Le chercheur hale­tant veut hâter le pro­grès,
L'astronome pour­suit dans leurs orbes les sphères,
Et le penseur pour­suit ses prob­lèmes abstraits.

Voici les écrivains, les tri­buns, les poètes,
Qui sont rois au pays du verbe tri­om­phant.
Et voici les semeurs qui se font d'humbles fêtes
D'ensemencer le coeur du peu­ple et de l'enfant.

Pour achev­er enfin la Guir­lande splen­dide
Qui te fait, ô Patrie ! un renom exalté,
Toutes les voix de l'Art, hymne large ou can­dide,
Autour des trois grands rois chantent dans la beauté.

C'est une âme qui chante et qui vibre ;
L'âme d'un petit peu­ple libre
Vengé de ses mal­heurs loin­tains,
Et tan­dis qu'un chan­cre dévore
Plus d'un géant au nom sonore,
L'ombre du dra­peau tri­col­ore
Abrite la vigueur de nos jeunes des­tins.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.