MELAGE (05) : "La cloche du beffroi" (1930)

La cloche du beffroi

Dans l'aérienne demeure
Où rêvent les jours d'Autrefois,
La cloche qui chante et qui pleure
Eveille des mil­liers de voix :
Témoin du temps et de l'espace,
A tout ce qui naît et qui passe
Elle rend un écho pro­fond,
Car elle écoute, mater­nelle,
L'hymne de la voûte éter­nelle
Et le bruit que les hommes font.

Tous les grands remous de l'histoire
Autour du bef­froi sou­verain,
L'élan, la lutte, la vic­toire,
Dor­ment dans son âme d'airain.
Ah ! ces tri­om­phes pop­u­laires
Où dans les gloires jubi­laires
On proclame les lib­ertés !
Ah ! ces gens de Flan­dre et de Liége
Révoltés que leur prince assiège
Et sont tou­jours des révoltés !

Voici le Prince-Evêque en fuite:
Son­nez pour la rébel­lion !
L'armée étrangère est détru­ite
Cloche son­nez! Flan­dre au lion !
Demain la lib­erté sacrée
Va faire sa joyeuse entrée !
Voici la Male Saint-Mar­tin,
Voici les Matines bru­geois­es,
Voici les vic­toires bour­geois­es :
Son­nez le tri­om­phe hau­tain !

Chantez, cloche, les moissons blondes
Qui débor­dent sur les sen­tiers,
Et chantez les nefs vagabon­des
Le long des quais et des chantiers !
Les marteaux dansent sur l'enclume,
Les métiers chantent dans la brume :
Pau­vre homme en sa mai­son est roi !
Chantez pour toute la richesse,
Chantez pour toute l'allégresse,
Chantez, cloche du vieux bef­froi.

Quand les prin­cières cav­al­cades,
Ruti­lantes sous le soleil,
Sur les routes, dans les bour­gades,
Pas­saient dans un brouil­lard ver­meil.
Quand le cortège des prières
Déroulait au vent ses ban­nières,
Reine des car­il­lons joyeux,
La vieille cloche par volées,
Par delà les monts, les val­lées,
Jetait sa gloire à tous les cieux.

Oui, la cloche a chan­té les fêtes
Et tous les jours que Dieu bénit,
Mais lorsque l'ombre des défaites
ijtreignait sa tour de gran­it,
Lorsque les rageuses batailles
Fai­saient de rouges funérailles,
Lorsque les crimes,
S'ajoutaient à l'épidémie,
La cloche, douloureuse amie,
pleu­rait à longs san­glots.

Jours des sin­istres hécatombes,
Où Lié­geois, Dinan­tais, Gan­tois,
S'écroulaient sanglants dans les tombes
Tan­dis que flam­baient tous les toits !
Jours des atro­ces repré­sailles
Où le pays, jusqu'aux entrailles,
Trem­blait au seul nom des bour­reaux !
Grands d'Espagne ou ducs de Bour­gogne,
Soudards sans âme et sans ver­gogne,
0 buveurs du sang des héros !…

Vieille cloche, ô con­tem­po­raine
De tant de siè­cles révo­lus,
Dont la voix dolente et sere­ine
Fait songer des ais ver­moulus !
Vieille cloche, son­nez quand même,
Puisque c'est votre loi suprême
De par­ler de mort et d'espoir !
Vieille cloche, son­nez encore,
Puisque vous con­nûtes l'aurore
Puisque vous con­naîtrez le soir !

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.