MELAGE (09) : "La Vendée belge" (1930)

La Vendée belge

Nous n'avons pas con­nu dans notre longue his­toire
De tyrans plus abjects, d'histrions plus sanglants
Que ces fameux héros du fameux Direc­toire,
Assas­sins des pays désar­més et trem­blants !

Leur lib­erté, mégère aux men­songes canailles,
N'apporta dans les plis de ses vieux ori­peaux
Que le crime et le vol de mon­stres sans entrailles
Et l'ordure à plein jets, sur ses hon­teux dra­peaux.

Ban­dits stipendiés pour des for­faits énormes,
Habiles à piller, à créer des déserts,
Ils aimaient à souiller l'honneur des uni­formes,
De tri­om­phes sans gloire et de crimes per­vers.

Des palais somptueux, de vieilles cathé­drales
S'écroulent, menaçant leurs hum­bles défenseurs,
Et dans l'air endeuil­lé mon­tent par­mi des râles,
Les rires des soudards et des démolis­seurs.

Des cloîtres que le temps de sa gloire irradie
Jonchent de leurs débris la colline et le val ;
Leur nom rouge de sang et rouge d'incendie
N'est plus qu'un son plain­tif : Aulne, Villers, Orval.

Joy­aux de l'art, tré­sor unique des ancêtres,
Reli­quaires, émaux, chan­de­liers, osten­soirs,
Où serez~vous demain, chefs‑d'oeuvre des vieux maîtres,
Dans quels creusets loin­tains ou dans quels antres noirs !

Il faut ali­menter les sanglantes lux­u­res :
Vingt-neuf chars ont traîné l'or belge vers Paris,
Il faut ali­menter les pris­ons, les tor­tures :
Les inno­cents, traqués, ne trou­vent plus d'abris.

Il faut ali­menter la république infâme :
Vides ses mag­a­sins ! vides ses ate­liers !
Pour nour­rir ses petits qu'elle haît, qu'elle affame,
La Bel­gique offrira de rich­es rate­liers.

Il faut… Force à la loi! Mais non, c'est trop inique !
Les Belges qu'on n'a point tués, tous des con­scrits ?
Tous voués aux autels du régime cynique?
Non, non ! assez d'horreurs, de morts et de pro­scrits !

Trop de prêtres mar­tyrs pour­ris­sent à Cayenne,
Trop d'hommes sont tombés sous les balles des Bleus ;
Debout, hum­bles lut­teurs ! Une aube vendéenne
Va jeter de l'espoir sous vos ciels nébuleux !

Et voici, défer­lant des huttes et des granges,
De Mae­s­ey­ck à Tour­nai, de Ter­monde à Cler­vaux,
D'étranges révoltés, munis d'armes étranges :
Des blous­es, des sabots, des bâtons et des faulx.

Sous leur dra­peau vain­queur, la Flan­dre, la Campine
Fer­ont trem­bler les assas­sins des lib­ertés,
Et c'est dans cet enfer comme une heure divine :
0 volup­té de vivre et d'être red­outés !

Ils devront affron­ter la sci­ence et le nom­bre,
Mais les périls plus grands font les exploits plus beaux :
Le mas­sacre est au bout de la bataille som­bre,
la croix des mar­tyrs luira sur les tombeaux.

Mar­tyrs, ceux qui suiv­aient Cor­beels, Waha, Loupoigne,
Qui lut­taient en pri­ant et qui savaient mourir !
Mar­tyrs, ceux de Has­selt, de Stavelot, de Soigne,
Et ceux~là qui dis­aient : « Je ne sais pas men­tir » !

Mais le geste écla­tant des hum­bles épopées
Souf­flette le tri­om­phe igno­ble des bour­reaux,
Et les charniers sanglants faits de têtes coupées
Devi­en­nent des autels où mon­tent les héros ;

Et c'est un fier tombeau que la bruyère ardente,
Où rêve longue­ment le sou­venir béni,
Où se recueil­llerait le coeur pro­fond du Dante
En regar­dant prier l'horizon infi­ni.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.