La Vendée belge
Nous n'avons pas connu dans notre longue histoire
De tyrans plus abjects, d'histrions plus sanglants
Que ces fameux héros du fameux Directoire,
Assassins des pays désarmés et tremblants !
Leur liberté, mégère aux mensonges canailles,
N'apporta dans les plis de ses vieux oripeaux
Que le crime et le vol de monstres sans entrailles
Et l'ordure à plein jets, sur ses honteux drapeaux.
Bandits stipendiés pour des forfaits énormes,
Habiles à piller, à créer des déserts,
Ils aimaient à souiller l'honneur des uniformes,
De triomphes sans gloire et de crimes pervers.
Des palais somptueux, de vieilles cathédrales
S'écroulent, menaçant leurs humbles défenseurs,
Et dans l'air endeuillé montent parmi des râles,
Les rires des soudards et des démolisseurs.
Des cloîtres que le temps de sa gloire irradie
Jonchent de leurs débris la colline et le val ;
Leur nom rouge de sang et rouge d'incendie
N'est plus qu'un son plaintif : Aulne, Villers, Orval.
Joyaux de l'art, trésor unique des ancêtres,
Reliquaires, émaux, chandeliers, ostensoirs,
Où serez~vous demain, chefs‑d'oeuvre des vieux maîtres,
Dans quels creusets lointains ou dans quels antres noirs !
Il faut alimenter les sanglantes luxures :
Vingt-neuf chars ont traîné l'or belge vers Paris,
Il faut alimenter les prisons, les tortures :
Les innocents, traqués, ne trouvent plus d'abris.
Il faut alimenter la république infâme :
Vides ses magasins ! vides ses ateliers !
Pour nourrir ses petits qu'elle haît, qu'elle affame,
La Belgique offrira de riches rateliers.
Il faut… Force à la loi! Mais non, c'est trop inique !
Les Belges qu'on n'a point tués, tous des conscrits ?
Tous voués aux autels du régime cynique?
Non, non ! assez d'horreurs, de morts et de proscrits !
Trop de prêtres martyrs pourrissent à Cayenne,
Trop d'hommes sont tombés sous les balles des Bleus ;
Debout, humbles lutteurs ! Une aube vendéenne
Va jeter de l'espoir sous vos ciels nébuleux !
Et voici, déferlant des huttes et des granges,
De Maeseyck à Tournai, de Termonde à Clervaux,
D'étranges révoltés, munis d'armes étranges :
Des blouses, des sabots, des bâtons et des faulx.
Sous leur drapeau vainqueur, la Flandre, la Campine
Feront trembler les assassins des libertés,
Et c'est dans cet enfer comme une heure divine :
0 volupté de vivre et d'être redoutés !
Ils devront affronter la science et le nombre,
Mais les périls plus grands font les exploits plus beaux :
Le massacre est au bout de la bataille sombre,
la croix des martyrs luira sur les tombeaux.
Martyrs, ceux qui suivaient Corbeels, Waha, Loupoigne,
Qui luttaient en priant et qui savaient mourir !
Martyrs, ceux de Hasselt, de Stavelot, de Soigne,
Et ceux~là qui disaient : « Je ne sais pas mentir » !
Mais le geste éclatant des humbles épopées
Soufflette le triomphe ignoble des bourreaux,
Et les charniers sanglants faits de têtes coupées
Deviennent des autels où montent les héros ;
Et c'est un fier tombeau que la bruyère ardente,
Où rêve longuement le souvenir béni,
Où se recueilllerait le coeur profond du Dante
En regardant prier l'horizon infini.
MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le centenaire. Carlsbourg, Édition de la revue belge de pédagogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, couverture rempliée. Avec les illustrations du F. Mabin-Joseph.
"F." signifie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chrétiennes (au Congo depuis 1910) comptait en leur rang le frère Mélage, premier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canonisé par l'église catholique (30 janvier).
En savoir plus, sur la documenta…
Infos qualité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | contributeur : Patrick Thonart.
Dans ce recueil :
- MELAGE (00) : L’âme belge, Poèmes pour le centenaire (recueil, 1930)
- MELAGE (01) : "L'aube sanglante" (1930)
- MELAGE (02) : "La pacifique conquête" (1930)
- MELAGE (03) : "Les Croisés" (1930)
- MELAGE (04) : "Jacques van Artevelde" (1930)
- MELAGE (05) : "La cloche du beffroi" (1930)
- MELAGE (06) : "Les Primitifs" (1930)
- MELAGE (07) : "Les Gueux" (1930)
- MELAGE (08) : "La science" (1930)
- MELAGE (09) : "La Vendée belge" (1930)
- MELAGE (10) : "1830" (1930)
- MELAGE (11) : "A l'ombre du drapeau" (1930)
- MELAGE (12) : "Ceux qui sont morts" (1930)