MELAGE (02) : "La pacifique conquête" (1930)

La pacifique conquête

Les Césars n'étaient plus qu'un sou­venir,
Mais les devins trem­blaient d'évoquer l'avenir.
Les Van­dales, les Huns, les Francs et les Bur­gondes
Déchaî­naient leurs instincts de hordes vagabon­des,
Chas­saient les empereurs, assas­si­naient les rois,
Ecra­saient sous le joug bar­bare tous les droits.
Appuyés sur le fer de leurs longues framées,
Ils allaient au butin. Leurs sin­istres armées
Sur les blanch­es vil­las pas­saient en tour­bil­lons,
Et la mort moisson­nait dans de rouges sil­lons.
Le Crime chevauchait sur les routes romaines
En rêvant de gibets, de torch­es et de chaînes.
Tuer, piller, brûler : vail­lants et fiers travaux !
L'herbe ne pous­sait plus où pas­saient les chevaux.
Clo­vis et Gen­séric, Clotaire et Fréde­gonde
D'atrocités sans nom épou­van­taient le monde.
Les opprimés souf­fraient, pleu­raient, cri­aient en vain…
Et voilà que fleu­rit le mir­a­cle divin.
Des incon­nus chétifs, pieds nus, vêtus de bures,
Affron­tèrent les rois aux longues chevelures,
Et par­lèrent d'un homme autre­fois mort en croix,
Mort pour tous, pour les Francs, les Belges, les Gaulois.
Les yeux extasiés sous des pâleurs austères,
Ils allaient, pèlerins de sub­limes mys­tères,
Par­couraient les coteaux, les plaines et les monts,
Ressus­ci­taient des morts et chas­saient les démons.
Ils prêchaient la pitié, le par­don, la souf­france,
Et semaient lumineux l'éternelle espérance…
Or, faibles, désar­més, ils furent les plus forts :
Les divines moissons bénirent leurs efforts.
Les peu­ples se cour­baient sous les voix solen­nelles
Qui racon­taient le Dieu des gloires éter­nelles,
La splen­deur des par­dons, l'horreur des châ­ti­ments.
Et l'écho des forêts écoutait leurs ser­ments :
« Tout ce que j'adorais, ô Christ, hier encore,
» Je le brûle, et ce que j'ai brûlé, je l'adore. »
Et l'on vit s'écrouler sur leurs hon­teux autels
Thor, Mer­cure, Wotan, les dieux vains et cru­els.
Et des cortèges blancs, tri­om­phes du Bap­tême,
Que la Foi couron­nait de son pur diadème,
Chem­inèrent sans fin vers les tem­ples vivants
Où le ciel se pen­chait sur des hymnes fer­vents.
C'était sur le Pays comme un souf­fle de brise :
Des renou­veaux pro­fonds, les print­emps de l'Eglise,
Elar­gis­sant sous les soleils leurs hori­zons,
Sous l'arbre de la Croix jetaient leurs flo­raisons.
Amand, Hubert, Eloi, Lan­delin, Eleuthère,
A l'ombre du palais, autour du monastère,
Sous leur geste incli­nant les sauvages fiertés,
Enseignaient le tra­vail et ses mâles beautés.
Des leudes de grand nom et de haute lignée
Sus­pendaient la fran­cisque et pre­naient la cognée,
Des princes abri­taient leur ver­tu sous le froc,
Les grands bois rec­u­laient sous la hache et le soc…

Gloire à ces pio­nniers aux gestes de lumière!
L'âme belge naquit de leur sainte pous­sière,
Et Charle­magne et son grand siè­cle allaient venir,
Car c'est sur le passé que germe l'avenir !

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

En savoir plus, sur la doc­u­men­ta…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.