La pacifique conquête
Les Césars n'étaient plus qu'un souvenir,
Mais les devins tremblaient d'évoquer l'avenir.
Les Vandales, les Huns, les Francs et les Burgondes
Déchaînaient leurs instincts de hordes vagabondes,
Chassaient les empereurs, assassinaient les rois,
Ecrasaient sous le joug barbare tous les droits.
Appuyés sur le fer de leurs longues framées,
Ils allaient au butin. Leurs sinistres armées
Sur les blanches villas passaient en tourbillons,
Et la mort moissonnait dans de rouges sillons.
Le Crime chevauchait sur les routes romaines
En rêvant de gibets, de torches et de chaînes.
Tuer, piller, brûler : vaillants et fiers travaux !
L'herbe ne poussait plus où passaient les chevaux.
Clovis et Genséric, Clotaire et Frédegonde
D'atrocités sans nom épouvantaient le monde.
Les opprimés souffraient, pleuraient, criaient en vain…
Et voilà que fleurit le miracle divin.
Des inconnus chétifs, pieds nus, vêtus de bures,
Affrontèrent les rois aux longues chevelures,
Et parlèrent d'un homme autrefois mort en croix,
Mort pour tous, pour les Francs, les Belges, les Gaulois.
Les yeux extasiés sous des pâleurs austères,
Ils allaient, pèlerins de sublimes mystères,
Parcouraient les coteaux, les plaines et les monts,
Ressuscitaient des morts et chassaient les démons.
Ils prêchaient la pitié, le pardon, la souffrance,
Et semaient lumineux l'éternelle espérance…
Or, faibles, désarmés, ils furent les plus forts :
Les divines moissons bénirent leurs efforts.
Les peuples se courbaient sous les voix solennelles
Qui racontaient le Dieu des gloires éternelles,
La splendeur des pardons, l'horreur des châtiments.
Et l'écho des forêts écoutait leurs serments :
« Tout ce que j'adorais, ô Christ, hier encore,
» Je le brûle, et ce que j'ai brûlé, je l'adore. »
Et l'on vit s'écrouler sur leurs honteux autels
Thor, Mercure, Wotan, les dieux vains et cruels.
Et des cortèges blancs, triomphes du Baptême,
Que la Foi couronnait de son pur diadème,
Cheminèrent sans fin vers les temples vivants
Où le ciel se penchait sur des hymnes fervents.
C'était sur le Pays comme un souffle de brise :
Des renouveaux profonds, les printemps de l'Eglise,
Elargissant sous les soleils leurs horizons,
Sous l'arbre de la Croix jetaient leurs floraisons.
Amand, Hubert, Eloi, Landelin, Eleuthère,
A l'ombre du palais, autour du monastère,
Sous leur geste inclinant les sauvages fiertés,
Enseignaient le travail et ses mâles beautés.
Des leudes de grand nom et de haute lignée
Suspendaient la francisque et prenaient la cognée,
Des princes abritaient leur vertu sous le froc,
Les grands bois reculaient sous la hache et le soc…
Gloire à ces pionniers aux gestes de lumière!
L'âme belge naquit de leur sainte poussière,
Et Charlemagne et son grand siècle allaient venir,
Car c'est sur le passé que germe l'avenir !
MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le centenaire. Carlsbourg, Édition de la revue belge de pédagogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, couverture rempliée. Avec les illustrations du F. Mabin-Joseph.
"F." signifie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chrétiennes (au Congo depuis 1910) comptait en leur rang le frère Mélage, premier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canonisé par l'église catholique (30 janvier).
En savoir plus, sur la documenta…
Infos qualité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | contributeur : Patrick Thonart.
Dans ce recueil :
- MELAGE (00) : L’âme belge, Poèmes pour le centenaire (recueil, 1930)
- MELAGE (01) : "L'aube sanglante" (1930)
- MELAGE (02) : "La pacifique conquête" (1930)
- MELAGE (03) : "Les Croisés" (1930)
- MELAGE (04) : "Jacques van Artevelde" (1930)
- MELAGE (05) : "La cloche du beffroi" (1930)
- MELAGE (06) : "Les Primitifs" (1930)
- MELAGE (07) : "Les Gueux" (1930)
- MELAGE (08) : "La science" (1930)
- MELAGE (09) : "La Vendée belge" (1930)
- MELAGE (10) : "1830" (1930)
- MELAGE (11) : "A l'ombre du drapeau" (1930)
- MELAGE (12) : "Ceux qui sont morts" (1930)