BRATHWAITE, Edward Kamau (1930–2020) : "Ark" (2004, trad. Christine Pagnoulle)

Le dernier Body_Soul de Hawk
chez Ron­nie Scott à Lon­dres
11 sep­tem­bre 1968 _ suite

Hawk

dans un linceul de miroirs. ondées. han­té par les Jumelles
. voix de câbles croulants. Tours terr
-assées longtemps avant son temps ici fulg. urant l'avenir

  Rollins Bridge is fallin down

à lon­dres . où il arrive
ce tournoy-
ant temps doré

 arbres cédant leurs feuilles

tôt comme ceci . cette sai­son trot­toir pré­coce automne crissant
esprits vol.ants blancs comme chute
de neige chute de cha­grin

 dans le froid

embras­sant l’air ten­dre qui ne peut te
soutenir pas
de chaude pirogue mon sonû­gal

 qui ne peut . qui ne peut te soutenir
o mon amour mes pétales fra-
giles fanés flétris

 pétales d’amour de toi ce temps doré à lon-
dres pré­coce automne du pre­mier temps  s’effeuil-
lant brû-
lant les

traît­toirs
et les mar­ronniers. et tourn­er
le dernier coin s’engouffrer chez Ron­nie Scott

les lumières bais­sées déjà même au bar
la salle bondée ten­due serveurs silen­cieux
ce soir. là toutes ces années

un son jamais vu
jusqu’ici . monte sur scène aux applaud­isse­ments frémis­sants
sous le choc pour toutes les fois où nous ten­dons

nos oreilles à sa force fruitée, au ton­nerre
le saut
sou­ple du Mis­souri stomp en do dièse

                                                                                          au
blues coun­try uptem­po. la grâce
brune con­va­in­cante insoucieuse de Hawk qui approche

qui main­tenant se dresse len. tement sous les spots de Lon­dres
dégin­gandé et frêle . crinière clairsemée et grise
la musique qu’il com­mence à bal­ancer si im-

per­cep­ti­ble juste un rêve sur
ses lèvres . les pre­mières notes chu-
chotant quelque chose comme la mort

de toutes les cer­ti­tudes con­nues .
nos usages . notre force
fonçant à tombeau ouvert les tombereaux

de notre avenir caram.
bolent et soudain dans cette intim­ité inau­gu­rale
il sem­ble ne pou­voir jouer les créa­tures de dieu petites et grandes

pour­raient ne pas avoir la force de faire swinguer
son souf­fle dans cette embouchure courbe de plas­tique placide
la faire respir­er

et sûr . et la faire fris­son­ner vivace comme les tours
de sa métro­pole ouvrant nos oreilles pour nous clore les yeux aux sourires
et nous rassem­bler en un moment

mag­ique que lui seul pour­rait calmerde myrrhe et de sel d’anageda & de can­nelle sur notre
chair

Et alors le souf­fle revient . lent . vac­ill-
ant d’abord
et puis il sem­ble cham­bouler incon­nue dan­gereuse

une lumière
bien loin à l’horizon  . frais
vols clign/otants, une grande flotte tra­ver­sant la flu­ide

nuit & l’air là-haut
une grande marée mon­tant mon­tant osti­na­to  vers lui sur le
podi­um grand

main­tenant . le saxo s’étirant argen­té jusqu’à envelop­per
l’or du cor . et c’est à nou­veau Hawk
et nou­veau . le doux cri soule­vant les plumes de tous les sons

autour de lui .  pli-
é et déployé comme le chœur presque chant
du coq nous atteint  dans cet air dis­tant de New

York par delà ce que nous appelons vieil­lesse . infir­mité . la perte
de l’el dora­do le para. box du para. dés . vie
dans ce petit jeu roulant de pirogue chau­vi­rant au hasard.

Car ceci est quelque chose d’autre . autre autre
chose . loin loin au-delà de ce que jamais nous auri­ons conçu . anti-
cipé quand com­mence la muse

ique. croyons
que nous con­nais­sons de la muse
douce­ment rageuse piège et image et col­lage . croyons
que nous parta­geons l’homme qui fait cette mus . ante musique

et que avec la folie faite hommes en cette sai­son
d’été indi­en et pas­toral il n’y aurait pas déclin de pou­voirs .
nos han­ti. cipa­tions là en plein éveil et presque toutes ac-
com­plies . pas encore l’hésitation en sus­pens . cuiv­rée . coupable

les yeux liq­uides séduisent  bercent scin­til­lent la pause
avant que les clés ne com­men­cent à tourn­er
le coin du globe . et ain­si mal­gré la chute
des pétales de prière – rien ne se fan­erait – ne se flétri­rait.

Mais ceci est quelque chose d’autre . autre autre
hose
autre autre chose au-delà du par­a­digme
loin loin au-delà de la lim­ite

            du para .
dés . que ce que nous faisons . faisons bien pour­rait bien
dur­er longtemps longtemps après que le pre­mier souf­fle dé-

faille . après la chute des dernières feuilles des dernières graines
à tra­vers cet air de Lon­dres la mince
et creuse image de Hawk

seul enc­los dans la lumière
comblant lente­ment son ombre  au pied du
micro. le pre­mier pas

gauche, tout tout pre­mier pas. pre­mière
attaque con­fi­ante de notes leg­ba . écar-
tant le silence pour que l’homme se remette à marcher sur

la fraîche eau laconique . ploy-
ant les genoux pour saluer la sen­sa­tion
du pou­voir qui revient

les pétales . accordages . les som­bres ros­es de mag­no­lias
les change­ments . riffs
flam­boy­ants

ain­si le bassiste  peut repren­dre sa pose voûtée son sourire habi.
tuel . cuiv­re betcha betcha des cym­bales et radar glous­sant tzi
ing aper. cevant où nous sommes
à avancer ensem­ble vers le Nil fer­tile

nous sou­venant rede­venant entiers & puis­sants
les paniers de bol­gatan­ga débor­dants & oranges
généreuses & radeaux de canne à sucre . jus

frais sirop de tamarinier. à mi chemin de l’allée
le sax­o­phone axe + axé mijotant la salle d’obscurité enfumée
avec une gaie. té que nous savons main­tenant ravie à nos yeux par

trop d’inattention . lour­deur langueur las­si­tude morne
dés­espoir impuis­sant ravageur
le clapo­tis brisé de l’eau qui s’infiltre dans notre unique pirogue
. peut-être notre dernier bon temps à lon­dres

mais un jour cer­tain de l’avenir de new
york.  sa majesté mag­ique énig­ma­tique fleuris-
sant la salle . la lueur de son

corps le seul mot que nous ayons pour ce qui est – cet éber-
lue­ment autour de ces tours futures de son chef d’œuvre solo
se dres­sant à nou­veau sonore vers la croix d’argent

d’un jet qui approche . dis­séquant dans le bleu
la pleine mosquée et présages blancs de la lune
juste des après-midis avant . haut au-dessus de Berke­ley Square .
au-dessus de

Heroes Square . au dessus de Wash­ing­ton Square. Wall Street
Canal. Le cimetière des nègress. corps . corps . corps . corps
se déver-

sant de ce som­bre strom­boli de Man-
hat­tan dans de con­fus­es cat­a­combes de dis-
pari­tion d’amour et grâce et douleur & brûlure per­sis­tante .

le cénote de cristal effon­dré . les
tôles styrées fendues éclatées spi­ralant du vol­can
muet en cloche de fumée

leurs vit­res . éparpil­lées en mélopées étran­glées
vers la valence mas­ca­rade d'un sol loin­tain.   le chant
brumeux mon­tant des puits du car­nage . quelque part .  quelque

pesant don-
jon errant par­fum loin­tain échec de l’ibis
cette nour­ri­t­ure & promesse d’un mir­a­cle . mais pas encore pas

encore. même si nous le savons en route tan­dis que nous comp­tons
les maux les morts les mutilés le grince­ment le coût écra.sant
les débris les petits les aveu­gles tombant de l’air car­bone

& claque­ments lacéra­tions des blessés
amassés . odeur de car­nage
de chair tor­due et imprimée sur les fers . chair

dev­enue sel . sel de-
venu bran­don gru­au car­bon­isé cen­dres cen­dres éclair de
larmes . les larmes au bout des doigts comme goudron

le noir col­lant  brouil­lages brûlés bom­bardés
lacérés le dia­mant
les gens marchent sur leur cœur en bouil­lie & vivent ds la lune

et d’autres s’arrêtent écartelés à demi vivants atten­dent
mon­tée d’une bur­ka de pous­sière & mon­stre tout autour
de nous dans ces vagues rugis­santes et ven­tre de rage qui chu­chote main­tenant

un al-quai­da lové noyé devant nous et sous nous
bien-aimés descen­dus  dans les arêtes de ton­nerre démo­ni­aque
descen­dus dis­parus dans la ruée as . pirée d’air
hurlant de lave et de cimetière mes petites filles chéries chéries

o hurlez héros . Hiroshi­ma . au quelle dom­mage
. quel Agent Ornage kora

 souf­flées avec leurs rubans . pré­cip­itées dans le caniveau
leurs douces huiles rouges
tachent le silence de park­ing et sif­fle­ment de minu­it nucléaire
éveil­lant lente­ment les larges trot­toirs blan­chissant s’élargissant

toc toc à la porte des cieux

mon oncle du Coin des Bonnes Affaires chez Filene
n’ira plus jamais y acheter ni là ni nulle part si mer­veilleuse­ment .
sa lèvre de titane cell.ulaire si affamée naguère de don­ner des
nou­velles ne se plain­dra plus du 92e étage

on n’a pas trou­vé son corps . on n’a pas trou­vé son télé­phone
quelque part dans le vaste fleuve béant des pléni­tudes de la
blessure de la ville . il est aveu­gle lig­oté et béd.ouin échoué

on ne peut même pas partager le chu­chote­ment sans voix sans
fil de son des­tin . pas savoir s’il a sauté ou brûlé
pas savoir s’il est encore là-haut s'il est tombé

Et ain­si ce matin veille de sans lumière ni choix
je ne puis nag­er
la pierre . je ne puis m’accrocher à l’eau . je me noie
j’avale aban­don­né . je tourne et dé-

vale dans la peur suf­fo­cante . une nuit si pro­fonde qu’elle fait
tourn­er et pleur­er la file d’araignées de l’avenir que l’on voit fil-
ant ici leur voix d’argent
de larmes . les bijoux de leurs yeux sans . paupières ni éclat

à tra­vers les coups de cette éter­nité . je me débats, je brûle
et quand j’émerge léviathan des pro­fondeurs .
noire luit ma peau
de phoque . de noirs galets é . den­tés minent la rive

han­tée par pous­sière et brome
mon­tres bracelets sans marée
ni son
com­mu­nion sans mains

brisées   x-
plo­sions de frus­tra­tions . drones .
transsub­stan­ti­a­tion de la sueur
de haine . les lèvres rubis absentes

sur le bord trem­blant
du vin . je m’éveille au top
pour te dire que dans ces eaux sonores de mon pays

il n’y a ni racine ni espoir ni nuage ni rêve ni bar­que à voile
ni mir­a­cle ten­ta­teur . bonjour ne peut com
penser mau­vaise nuit  nos dents rica­nent mor­dent

même l’acier en fusion
des ren­con­tres vespérales d’anges sans défense
dans ce nou­veau jardin fer­mi­er des délices de la terre

cet incon­nu d’injustices vac­il­lant
descen­dant brin­que­bal­lant la roue et cime-
tière du vent . les rues étroites comme des en faux

air clair pour un moment . claire
inno­cence où nous courons si si si si nom­breux . la foule
qui coule

sur le pont de Brook­lyn . si si nom­breux . je ne pen­sais pas que la
mort en avait défait autant
. se fond dans ce qui devient soupir
fanal lumineux de l’avenue vide à jamais

notre âme par­fois déjà loin devant nos apparences
et notre vie se retourne
sel comme à Bhuj à Grenade . Guer­ni­ca . Amrit­sar . Tad­jik­istan

les cités hagardes frap­pées par le soufre des plaines
de l’Etna . Pelée . Naples et Kraka­toa
les jeunes mères enfants veuves à la vit­re pros­ti­tuées

revoient le passé comme en Bosnie . au Soudan . à Tch­er­nobyl
Oax­a­ca ter­re­mo­to incom­pre­hende . al’fata el Janin . à Bhopal
bébés tètent le lait tox­ique . nos langues empâtées alour­dies

s’habituent à quel est le mot qu’il n’y a pas en français
au-delà de Schaden­freude pas pas du tout
comme fado dodona ou duende  ce moment sur un pic à Darien

Bal­boa ü Mai Lai

Ain­si donc quel est le mot
pour cette haute poutre de sui­cide . la colombe de la corde
étouf­fant la gorge qui roucoule douce­ment des prêtres de la                                                                                                      réus­site

le choc

de votre mort dans la fis­sion du bour­bier
de la dette. gâchis . vif-argent virant à sable
mou­vant et déver­soir . boy­aux mous de sida de Mon Frère . les

jeunes sat­urés du goût de la mort dans le chau­dron d’eau bosselé
quel prophète ma langue
avec la perte tsuna­mi de Ma Mère le Nom, l’é-

chec de l’espoir d’angéliques tombées. les alpha­bets s’entassent
à l’envers dans ma bouche
de mélass­es . ban­dalou . babel. et l’écrou-

lement du plâtre sur ces voix ces par­ti­tions
dub rap hip-hop scouse . la chaîne
qui barre les marchés de Mar­rakech

mijotant de vieilles blessures de verbes dis­parus qui peu­vent guérir
. de bap­têmes dis­parus qui hurleront
ton nom du som­met du désas­tre. adjec­tifs déjà en-

volés en tin­ta­marre . flâ­nant dans la honte . le silence de pour­ri­t­ure
des non-cieux tor­rides . les hor­ri­bles fours de kapo de la bête
sur l’aire à rat de ta syphilis. pied

plat de la peur . l’animal incon­nu avide
qui est ta sœur sybille à la porte
du par­adis les qua­tre

petites filles xplosées de Bir-
ming­ham cette ku-
klux chré­ti­enne nuit de taber­na­cle à Sodome & Herero Alaba­ma

flim

& ter­reur volant au vent Nya­ma­ta Rwan­da . les pau­vres de bom-
fin gouges de pierre et failles de nos pa-
lais décorés . la veuve aux ros­es à la vit­re à . jamais cher-

chant dans la frus.tration sur le siège arrière criblé
de balles de sa lim­ou­sine son héros héros de prési­den­tiel époux et
son cer-

veau éclaté en con­fet­ti à Dal­las . le champignon fulig­ineux de la
Mort Noire de Dieu à Nagasa­ki . les exploits de Pol Pot
la Grande Pyra­mide de Crânes du Roi Léopold au cœur du Con­go

belge

comme Judas venu au Chriss . comme le léopard venu à l’agneau
juste sur ce som­bre sol in.égal de cat­a­stro­phe où bien­tôt
les vis­ages sauriens dévastés des morts nous dévis­ageront

de leurs orbites cli­que­tants . le ten­dre lan­gage irie
de leurs prières
douces lames d’yeux chan­delles en psaumes de douleur et                                                                                                         inno­cence irie

de pho­tos de ruines et jeunes cœurs clig­no­tants d’ours
en peluche d’enfance con­tre l’encens des grilles noires
et luisantes des parcs . tous leurs oiseaux

par­tis
esprits de feuilles de céré­monies de verte végé­ta­tion
par­tis

Rita Lasar Joseph O’Reilly Masu­da wa.Sultan . ses neuf enfants
par­tis
Fitzroy St Rose l’Echelle de 16 mètres tant de mil tant de mil­liers

par­tis
il sem­ble que presque tous ceux mon­tés tra­vailler là ils sont
par­tis

comme le jour où tu m’as fait avaler le bout de ma langue
dans les vil­lages. en suiv­ant les traces
de pas de moi-même moi-même . la détresse

de mes pro­pres fleuves de cette chair
qui le ressent le sait Seigneur !
ma pro­pre cen­dre mon pro­pre alpha . mes pro­pres lim­ites de cri

com­ment tu m’as fait chanter ces étranges meschants dans un                                                                                                             étrange pays

si loin de musique sexe et saxo
& rien rien rien de neuf

tout naufrage
tout épave . et
tombant du bleu vers des champs sonores
Iran Irak Colom­bus Ayi­ti Colom­bo Bey­routh Man­hat­tan                                                                          Afghanistan et toi

<

J’étais sur les march­es du City Hall – dans toute cette pous­sière
et je savais que Ter­ry [son mari, le cap­i­taine de l’Equipe] devait être

… à un des étages, aus­si haut qu’il pou­vait attein­dre … dans ce bâti­ment …
car c’est ce que fait sa brigade … et quand j’ai vu tomber le bâti­ment

j’ai su qu’il n’avait aucune chance

par­fois je me tra­casse à me deman­der s’il avait peur … mais … comme je le con­nais

je pense qu’il était con­cen­tré sur ce qu’il avait à faire … par­fois ça me met en colère

[ici elle a un petit rire de cha­grin]

… mais je ne crois pas qu’il …
je pense qu’à l’arrière de sa tête … il se demandait plus où
j’étais ? si j’étais assez loin … de ce qui se pas­sait ?
Mais je ne pense pas qu’il envis­ageait … qu’il ne ren­tr­erait pas à la mai­son

et par­fois ça me met en colère … presque comme s’il ne me choi­sis­sait pas … ?
Mais je ne peux pas lui en vouloir … il fai­sait son travail…il était comme cela
et c’est pour cela que je l’aimais tant

… donc je ne peux pas le lui reprocher …

son ami Jim m’a dit qu’il a vu entr­er Ter­ry et Ter­ry lui a dit
peut-être qu’on ne se rever­ra pas
et l’a embrassé sur la joue …  et il est mon­té … en courant

[dans la tour­mente de flammes de march­es hautes étroites brûlantes sans retour de la Tour Nord]

… quand le bâti­ment est tombé …
… j’ai juste sen­ti une décon­nec­tion totale dans mon cœur …
c’était juste comme si tout m’était juste arraché de la poitrine

je pen­sais que Ter­ry était juste

i n c i n é r é

je grat­tais la pous­sière … du sol … en pen­sant qu’il était
dans la pous­sière

Bethe Petrone lors de l’hommage aux héros du 11 sep­tem­bre
(HBO/Tv Memo­r­i­al Trib­ute, le 26 May 2002)
pour elle-même si belle
et pour toutes les femmes du monde de ce poème – je voudrais avoir leurs
mots – à New-York, au Rwan­da, à Kingston, en Irak, en Afghanistan
Quand son mari est mort le 11 sept. il ne savait même pas qu'elle était enceinte

J’ai per­du mon mari … mais je pense qu’il a fait …  de son mieux
… parce que je crois vrai­ment que quand Ter­ry est arrivé au Ciel …
il avait tant de points en sa faveur qu’il a plaidé pour cet enfant parce qu’il savait
que ce serait la seule chose qui me sauverait

… Et … je pense que de ce point de vue …
…  j’ai eu …  [… ] … je vais vivre …  j’ai encore quelque chose de Ter­ry …
… que je vais voir en mai …

Et tant de gens de la Pomme n’ont pas cela

alors je me dis que d’une façon …  j’ai eu de la chance …  mais sinon
[ici elle essaye de sourire]

… c’est clair …  je n’en ai pas eu
[et d'un geste elle fait excusez-moi]

>

Ain­si même en ce moment

rap­pelons-nous les pau­vres et les déshérités
qui ont froid et faim. les damnés de la terre

 les malades de corps et d’esprit . ceux qui porteront
le sol en flammes la frac­ture du deuil sur leur vis­age
les estropiés les soli­taires les anonymes sans amour à don­ner
ou recevoir

 les vieil­lards déglin­gués au nom de Dieu . les petits enfants
accordéon sans trace qui glanent dans les rues sans mois­son de
Rio Mysore Sre­breni­ca nul qui ne con­naît ni ne con­naî­tra la pure
ten­dresse vivante aimante du Seigneur sur un autre rivage

Et la mélodie presque évanouie main­tenant du solo
juste son doux frémis­sant éche­veau d’archipels
juste wal­ter john­son et les boys le sou­tenant  dans ce

cer­cle et mariage de lumière
dans l'harmonie de tes accords . les pétales repliés de métal cuiv­ré se
déploient sur le ténor tin­tant qui tombe en lentes spi­rales
de ton chant

& tombent ici tels des plumes de moineaux mélan­col­ies
o mon amour
mais dressés encore dressés là d’où tu as été pré­cip­ité

en bas des murs de pour­pre & d’orgueil & fir­ma­ment
les rich­es demeures-pris­ons où pix­ie et yeux mul­ti­ples
dégringo­lent dans le gron­de­ment

de la marée d’épines et de rochers . et de détri­tus . trônes
trônes ren­ver­sés d’une Baby­lone où tu de-
meures . souil­lé . ce furent tant d’après-midi de lyn­chage

étrange fruit gravé de soli­taires cru­ci­fix­ion où sont sys­té­ma-
tique­ment cassés mains et os cata­toniques tant
de cordes de gui­tare cassées . un tel dégât essen­tiel

dans des salles de bain aux car­reaux blancs des palais de la police – le sen­ti­men­tal bal­ai de gom­or­rhe
dépasse . o Hawk louima lové.  ton angoisse haï­ti­enne brisée

°

avec ton frêle solo rageur
brûlant dans la lumière changeante de cette salle si bleue
si indi­go

°

les plumes tom.bent vo.lent tom.bent é.chouent tom.
bent dans ce nou­veau
mon­u­ment new yorkais de froid mor­tel & aber­fan

où tant de gloire  est un coup
de dés . soleil
vert si vif que les ombres quand on marche dessus

sont épines rouges & brû.lantes & muhar­ram
. tant tant d’enfants abikù & nés
avec la mort et leurs his­toires en lam­beaux per­dues et non-dites

°

Ces enfants font fils et mères
cte bande avec toi du monde tru­cidé
mais leurs godass­es sans tête sans appui
bail­lent et rient . vi- sans abri les enfants de femmes
dant sang du IIImonde aban-
dans le sol don­nés aux march­es d'un hôpi­tal
brûlant sur des trot­toirs défon­cés
  pleine loi pleine ran­coeur
ô reviens Black Hawk sur des sites
reviens reviens décon­stru­its sans lumière
  dans des brèch­es
monte au pignon des palais
le son noir plus fort dans les feuilles de bananier
qu'il laboure encore bien en vue . la cab­ine
des champs de patientes ter­rass­es de ser­vice de nos
longs rugisse­ments soli­taires voitures de chemin
de maïs pour Gins­berg Whit- de fer . dans des touffes
man pour Hart de roseaux sans
Crane pour Louis Ornette tou- joie . dans l'osier
jours pour Rollins et pour bien tressé
Trane . pour vent pour le cor­bil­lard de métal
pièges pour tours tun- dans le cheval de Troie
nels sous blessures & sous terre men­tal . trois cent
et sous fleuve . esca- cinquante hommes du feu
liers se déver- eux
sant sans fin mêmes de-
dans le vide venus feu . les machines
sans issue sans sur- de braise ardente de
prenante échap­pée sans leurs yeux hurlant
grâce sal­va­trice encore ishak me-
pour tous les shak et abed­ne­gro

Αin­si vivons-nous main­tenant
à l’intérieur de cet après-midi
cré­pus­cu­laire . bonne

journée je répète
ne peut com­penser mau­vaise
nuit . nos dents rica­nent

mor­dent
même des anges
impuis­sants dans ce

nou­veau jardin
de pous­sière des
délices de la terre

les papiers dis­per­sés
du plus haut monu-
ment du com­merce

mon­di­al . ces let­tres
au soleil
des esprits

bric à brac blanc
des morts
des tours

oiseau pierre chair
passera sera pajari­ta
et de ce qui est encore à

dé-
faire dé-
faire

main­tenant vo-
lant tris­te­ment par-
fois dou-

cement par-
fois chose
ver­tig­ineuse dans le tran­chant soudain

de colombes
chauves dans la
lumière du ciel

comme des désas­tres
d’étoiles clig­no­tantes
dans la vie

du bleu
°

tout comme toi
qui viens qui viens chaud  kon­nu
comme à la fin de cette longue ten­sion et pal­im

de ton chant

Et comme j’entre
dans le club
Rollins Scott
où tu as joué
ton des­tin
où tu te
dress­es presque
dépouil-
lé de ton roy-
aume tré-
buchant d’abord dans de faux
arpèges de faus­set
mais pas­sant du bémol
au plein vol
du corps
du son
non plus tout seul
en quelque fiat
de pou­voir
per­so
jouant
ta muse jusque au-
delà de la butte
du mo-
ment et mou-
vement du chant
dans la mé-

moire esprit
ailé de
la flûte
dans tes os
car aus­si long-
temps qu’il y aura
ce ten­dre para-
chute
du blues
dans le(s) doux
saxophone(s)
de ton chant
il y aura
chant
il y aura
chan­son

mais même si je dis toutes ces choses
écris ain­si de toi
revis et ressens et relève toutes ces choses

comme je dis
si proche de soi de moi-même que même ce
froid ou la chaleur de ces habits de douleur

et même si je vais écrire ceci en feu. par le feu. à tra­vers la pous­sière du
désert de pas.  dans le vor­tex de l’arche du tour­bil­lon titan­ic
où ma man­man se rap­pelle même pas mon nom

et je ne sais pas pourquoi ce rid­dim advient advient advient advient
ce que veut dire ce poème ce qu’il sig­ni­fie une fois fait
quand vien­dra son temps d’oracle cer­cle et appel et je devrai affron­ter
la musique
devant toi et le lire tout haut tout seul

quand le sang dans la voix portée à tes oreilles
s’épandra en autant d’échardes autant de larmes si vaine­ment répan­dues en muti­la­tions si vaine­ment partagées . con­stel­la­tions trop cru­elle­ment déplacées trop de minu­its accordés au désas­tre

beauté cul­tivée en vas­es et sculp­tures . charismes élec­triques . céra-
miques écroulées . pou­voir pan­to­cra­tique hale­tant sous la frise
et la vigne tombée enroulée autour du pili­er de l’Empire Romain d’Occident
. où que je me tourne . j’entends le ton­nerre .

si j’essaye de dormir . éclabous­sures de fusil­lade et pil­lage . bris­es sul.furieuses
même si je vais en touche aux arbres noirs syco­rax je sens qu’ils reti­en­nent
le fruit qu’ils offrent encore offrant du sel avec les cen­dres som­bre crispa­tion du pét­role leurs fleurs de cerisi­er
por­tant les uni­formes oranges de la souf­france entre­vue

le long des bar­ri­cades de bro­cart d’abugraib guan­tanamo ther­mopy­les
wound­ed knee
la voix laborieuse à la radio deman­dant où sont les tulipes qui ouvriront la porte aux colombes tue tue tue tue

tortue tor­tu­ga tor­ture pornographique
images d’Irak Afghanistan Cortez Con­quis­ta­dor
cheva­liers d’armoiries en armure bull­doz­er sans amour revêtues de buf­fle
6000 milles de dis­parus . Chili . Incas . Tupac Amaru
les 6000 milles de la Grande Muraille de Berlin de Belleville-Bar­bade
de Chine

de Gaza Pales­tine aveu­gle dépos­sédée . con­traintes immu­muri­ales de la vie par delà la loi
où est la vérité l’honneur la beauté la perte brûlée au matin
où est l’ . où est l’ . où est l’amour
pais­i­ble comme à Koshkonong sur le lac de Black Hawk atten­dant le chant
de Lorine Niedek­er vue par Cyn­thia Wil­son

Hawk

dans un linceul de miroirs
han­té par ondées
fleurs tombant

longtemps avant son temps ici avenir
ful­gu­rant
où il arrive

ce temps doré
pré­coce comme celui-ci
cet automne pré­coce de new york

frais le frais le clair les tours qui tombent
o laisse-moi
ma bien-aimée

aXe

aXe

àXé

°

devant ces mon­des de fer de griffes tombant
je te perds
toi

à tra­vers grilles brisées affais­sées de tombes d’eau
je te perds
toi

ces mots pour des guer­res sou­veraines
je te perds je te perds
toi

- même dans la tour en
feu de ce sax­o­phone
o laisse-moi t’aimer t’aimer t’aimer o

rede­venir grand & beau
que les mers se déri­dent & que la terre soit grain
les arbres patients ancêtres & que nos prières appor­tent la pluie
les his­toires de tous ces autres peu­ples aus­si cru­els & aus­si braves.

Ain­si si nous nous tenons par la main . chair
de chair déchirée sur os vivant . sous
la chair . le sang comme un gant roucoulant de frères et de sœurs

Ain­si si nous nous tenons par la main . accrochant
tout ce que nous sommes à tout ce que nous voudri­ons devenir
ton cœur & mon cœur

& mon cœur & ton cœur
& l’innocence de l’oiselet à jamais à jamais
enflam­mant le trébuche­ment de là où nous allons

réu­nis­sant la cour­bu­re de la vague de l’univers
cette chaîne d’esprits à l’exigence du bleu
cette clameur mon­tante qui n’est que toi

asso­cié par nos oura­gans & rage de cœur
ce cer­cle auréole de mir­a­cle
où nous accé­dons

étrav­es
étoiles
loin­tains
voy­ages
sil­ice tombe
comme ton­nerre
dans val­lées
sans forêts
angoiss­es de cataractes flu­viales
fal­lu­jahs & leurs con­so­la­tions
inondées d’argent
ombres de cal­ices sans épi-
neux ni buis­sons
ombres pro­jetées dans la mosquée
déchirée de Tombouc­tou
le vieux baobab impa­vide du Niger
presque muet à présent
les lamelles de clair de lune à Sind
feuilles douces du Rwan­da les douces
rues de pluie bal­ayant Lon­dres
les hauts fan­tômes de verre
une fois de plus in memo­ri­am man­hat­tan des casuar­ines
cette cité finit
O  filles
où com­mença son his­toire son his­toire com­mence
… ces eaux …

Ain­si
si je te tiens la main
tis­su . doux . espoir . tenu le mal à l’écart en attente
& tu me tiens
la main
repos . repos . rose . proche de la fin du jour
& tu lui tiens
la main à elle
je ne veux pas y penser . si proche du jeu
des dunes
de mon cœur dans ta main
& ta main
dans sa main à lui
Danse Mona Lisa Danse
(si tu le veux)
& sa main à lui
est sa main à elle

et sa main exacte­ment ton mal
dans son cal­ice . accep­tant ta souf­france
pluie drue implaca­ble­ment péni­tente

au nom du Seigneur des eaux calmes
dans les som­bres feuilles les palmes de tes mains
où l’arbre de nos mains est pour tous

ô ten­dre vent de baume des champs
de canne au loin

vivace + vert + radi­ance

Que la paix soit . sur le pays

Que la paix soit . sur le pays

Hawk

dans un linceul de miroirs
han­té par ondées
chute de feuilles

longtemps avant son temps ici avenir
ful­gu­rant
où il arrive

ce temps doré
pré­coce comme celui-ci
cet automne pré­coce de new york

arbres cédant leurs feuilles
si bien qu’enfin nous les rassem­blons dans leurs mes­sages
chu­chotés leurs douces sor­cel­leries secrètes de salut

ne les perds plus jamais
ma bien-aimée
dans cette moi­teur dans cette dureté dans cette douleur
dans ces cha­grins

frais le frais le clair la chute des tours

o laisse-moi
ma bien aimée
dans ces brais­es man­hat­tan de nos années

dans ce sou­venir de nos peurs en avers­es impuis­santes
si dif­férent main­tenant ce nou­veau sep­tem­bre de ces années
cer­taines vers la fin . cer­taines vers le début de leur longue gayelle

o yer­ri yer­ri yer­ri yarrow
o silence hâvre salut

ain­si laisse-moi
ma bien-aimée
t’aimer t’aimer t’aimer t’aimer

vivace + vert + doré

body

body & soul

Paru dans…
Ark (New York & Kingston : Sava­cou North, 2004, trad. Arche)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : tra­duc­tion de Chris­tine Pag­noulle et Annette Gérard (cette tra­duc­tion fait par­tie d'une série de trois poèmes présen­tés par Chris­tine Pag­noulle dans l'article Trois poètes, trois plaidoy­ers pour la paix (2021) : HULSE Michael, La mère des batailles (1991) traduit de The Moth­er of Bat­tle (Hull : Lit­tle­wood Arc, 1991) ; SCHWARTZ Leonard, Nou­velle Babel (2016) traduit de The New Babel in  The Tow­er of Diverse Shores (Jer­sey City NJ : Tal­is­man House, 2003) ; BRATHWAITE Kamau, Ark (2004) traduit de Ark (New York & Kingston : Sava­cou North, 2004) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Bar­ba­dos Under­ground.