ALLAIS, Alphonse (1854–1905) : "Complainte amoureuse" (1890)

Oui, dès l’instant que je vous vis,
Beauté féroce, vous me plûtes ;
De l’amour qu’en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes ;

Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Com­bi­en de soupirs je rendis !
De quelle cru­auté vous fûtes !

Et quel pro­fond dédain vous eûtes
Pour les vœux que je vous offris !
En vain je pri­ai, je gémis :
Dans votre dureté vous sûtes

Mépris­er tout ce que je fis.
Même un jour je vous écriv­is
Un bil­let ten­dre que vous lûtes,
Et je ne sais com­ment vous pûtes

De sang-froid voir ce que j’y mis.
Ah! fal­lait-il que je vous visse,
Fal­lait-il que vous me plussiez,
Qu’ingénument je vous le disse,

Qu’avec orgueil vous vous tussiez !
Fal­lait-il que je vous aimasse,
Que vous me dés­espérassiez,
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse,
Et que je vous idol­â­trasse
Pour que vous m’assassinassiez !

Extrait de…
Oeu­vres anthumes (antholo­gie posthume)

La Com­plainte amoureuse – "opus gram­mat­i­cale­ment déjan­té, met­tant en valeur le sub­jonc­tif – con­ju­gai­son injuste­ment délais­sée" (Allais) – a été adressée, vers 1890, à la danseuse Jeanne Avril, que Charles-Alphonse Allais voulait épouser, prob­a­ble­ment parce que les nouilles ne cuisent pas au jus de canne

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : lecturiels.org | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : por­trait d'Alphonse Allais, pho­tographe non iden­ti­fié.

GOUGAUD, Henri (1936–2024) : "Le temps de vivre" (1946)

A peine a‑t-on le temps de vivre
qu’on se retrou­ve cen­dre et givre
Adieu
Et pour­tant j’aurais tant à faire
avant que les mains de la terre
me fer­ment à jamais les yeux
Je voudrais faire un jour de gloire
d’une femme et d’une gui­tare
d’un arbre et d’un soleil d’été
Je voudrais faire une aube claire
pour voir jusqu’au bout de la terre
des hommes vivre en lib­erté
Assis entre deux équili­bres
dans ce monde qui se croit libre
et qui bâtit des miradors
je voudrais bien que nul ne meure
avant d’avoir un jour une heure
aimé toutes voiles dehors

A peine a‑t-on le temps de vivre
qu’on se retrou­ve cen­dre et givre
Adieu
Et pour­tant j’aurais tant à faire
avant que les mains de la terre
me fer­ment à jamais les yeux
De mes deux mains couleur d’argile
je voudrais bâtir une ville
blanche jusqu’au-dessus des toits
Elle serait belle comme une
chan­son du temps de la Com­mune
pétrie de bon­heur hors-la-loi
Et puis que le print­emps revi­enne
pour revoir à Paris sur peine
des enfants riant aux éclats
Lor­ca errant dans Barcelone
tan­dis que l’abeille bour­donne
dans la fraîche odeur des lilas

A peine a‑t-on le temps de vivre
qu’on se retrou­ve cen­dre et givre
Adieu
Et pour­tant j’aurais tant à faire
avant que les mains de la terre
me fer­ment à jamais les yeux

Extrait de…
Disque J'ai pas fini mon rêve (com­pi­la­tion, 2023)

Et dans wallonica.org :

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : henrigougaud.com | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : cou­ver­ture du disque de Gougaud © illis­i­ble.