OLIVER, Mary (1935–2019) : "Pivoines" (1992, trad. Patrick Thonart, 2023)

Ce matin les poings verts des pivoines se pré­par­ent
 à me bris­er le cœur
  dès que le soleil se lève,
   dès que le soleil les caresse avec ses vieux doigts de beurre

Puis ils s’ouvrent—
 creusets de den­telles,
  blanch­es et ros­es—
   puis, tout le jour, les four­mis noires les escaladent,

Les per­forant de leurs trous pro­fonds et mys­térieux
 au creux des replis,
  folles de leur jus doucereux,
   et l’emmenant

Dans leurs som­bres cités souter­raines—
 et tout le jour
  dans le vent changeant,
   comme dans une grande danse de mariage,

Les fleurs incli­nent leur corps bril­lants,
 et dif­fusent leur par­fum dans les airs,
  et relèvent
   leurs tiges rouges qui sou­ti­en­nent

Toute cette humid­ité et cette insou­ciance
 joyeuse­ment et légère­ment,
  et la revoilà —
   belle et brave, l’exemplaire,

Qui s’ouvre de flammes.
 Aimes-tu ce monde ?
  Chéris-tu ton hum­ble et soyeuse vie ?
   Adores-tu l’herbe verte, avec ses ter­reurs cachées par-dessous ?

Est-ce que toi aus­si tu t’empresses, à peine habil­lée, pieds nus, dans le jardin,
 et douce­ment,
  t’exclamant devant leur générosité,
   tu te rem­plis les bras des fleurs ros­es et blanch­es,

De leur lour­deur mielleuse, de leurs trem­ble­ments lux­u­ri­ants,
 de leur impa­tiente volon­té
  d’être sauvages et par­faites un instant seule­ment, avant de n’être
   plus rien, pour tou­jours ?

Peonies

This morn­ing the green fists of the peonies are get­ting ready
 to break my heart
  as the sun ris­es,
   as the sun strokes them with his old, but­tery fin­gers

and they open—
 pools of lace,
  white and pink—
   and all day the black ants climb over them,

bor­ing their deep and mys­te­ri­ous holes
 into the curls,
  crav­ing the sweet sap,
   tak­ing it away

to their dark, under­ground cities —
 and all day
  under the shifty wind,
   as in a dance to the great wed­ding,

the flow­ers bend their bright bod­ies,
 and tip their fra­grance to the air,
  and rise,
   their red stems hold­ing

all that damp­ness and reck­less­ness
 glad­ly and light­ly,
  and there it is again —
   beau­ty the brave, the exem­plary,

blaz­ing open.
 Do you love this world?
  Do you cher­ish your hum­ble and silky life?
   Do you adore the green grass, with its ter­ror beneath?

Do you also hur­ry, half-dressed and bare­foot, into the gar­den,
 and soft­ly,
  and exclaim­ing of their dear­ness,
   fill your arms with the white and pink flow­ers,

with their hon­eyed heav­i­ness, their lush trem­bling,
 their eager­ness
  to be wild and per­fect for a moment, before they are
   noth­ing, for­ev­er?

Paru dans…
New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992)

Affich­er le recueil dans la poet­i­ca…
Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : REDOUTE Pierre-Joseph, Pivoines (1837) © Musée du Lou­vre.