Ce matin les poings verts des pivoines se préparent
à me briser le cœur
dès que le soleil se lève,
dès que le soleil les caresse avec ses vieux doigts de beurre
Puis ils s’ouvrent—
creusets de dentelles,
blanches et roses—
puis, tout le jour, les fourmis noires les escaladent,
Les perforant de leurs trous profonds et mystérieux
au creux des replis,
folles de leur jus doucereux,
et l’emmenant
Dans leurs sombres cités souterraines—
et tout le jour
dans le vent changeant,
comme dans une grande danse de mariage,
Les fleurs inclinent leur corps brillants,
et diffusent leur parfum dans les airs,
et relèvent
leurs tiges rouges qui soutiennent
Toute cette humidité et cette insouciance
joyeusement et légèrement,
et la revoilà —
belle et brave, l’exemplaire,
Qui s’ouvre de flammes.
Aimes-tu ce monde ?
Chéris-tu ton humble et soyeuse vie ?
Adores-tu l’herbe verte, avec ses terreurs cachées par-dessous ?
Est-ce que toi aussi tu t’empresses, à peine habillée, pieds nus, dans le jardin,
et doucement,
t’exclamant devant leur générosité,
tu te remplis les bras des fleurs roses et blanches,
De leur lourdeur mielleuse, de leurs tremblements luxuriants,
de leur impatiente volonté
d’être sauvages et parfaites un instant seulement, avant de n’être
plus rien, pour toujours ?
Peonies
This morning the green fists of the peonies are getting ready
to break my heart
as the sun rises,
as the sun strokes them with his old, buttery fingers
and they open—
pools of lace,
white and pink—
and all day the black ants climb over them,
boring their deep and mysterious holes
into the curls,
craving the sweet sap,
taking it away
to their dark, underground cities —
and all day
under the shifty wind,
as in a dance to the great wedding,
the flowers bend their bright bodies,
and tip their fragrance to the air,
and rise,
their red stems holding
all that dampness and recklessness
gladly and lightly,
and there it is again —
beauty the brave, the exemplary,
blazing open.
Do you love this world?
Do you cherish your humble and silky life?
Do you adore the green grass, with its terror beneath?
Do you also hurry, half-dressed and barefoot, into the garden,
and softly,
and exclaiming of their dearness,
fill your arms with the white and pink flowers,
with their honeyed heaviness, their lush trembling,
their eagerness
to be wild and perfect for a moment, before they are
nothing, forever?
Paru dans…
New and Selected Poems, Volume One (1992)
Afficher le recueil dans la poetica…
Une Ourse dans le jardin (2023)
Infos qualité…
Statut : validé | mode d’édition : traduction, édition et iconographie | source : New and Selected Poems, Volume One (1992) | traducteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : REDOUTE Pierre-Joseph, Pivoines (1837) © Musée du Louvre.
Lire et dire plus en Walllonie-Bruxelles…
- VANRIET, Marie-Jo (née en 1983) : "Quand on n’aime pas les chansons d’amour…" (2020)
- WOUTERS, Liliane (1930–2016) : "À l’enfant que je n’ai pas eu…" (1997)
- THONART, Patrick (né en 1961) : "Bohémien sans répit…" (2014)
- VIENNE, Philippe (né en 1961) : "Élégie" (2021)
- HENRARD, Agnès (né en 1959) : "Si tu me troues les ailes…" (1992)
- ROSI, Rossano (né en 1962) : "L'algue mordue" (1991)
- NOUGÉ, Paul (1895–1967) : "Vos oreilles vous écoutent…" (1925)
- DELAIVE, Serge (né en 1965) : "Peser l'aube" (2022)
- THONART, Patrick (né en 1961) : "Les armoires alignées…" (2014)
- JACQMIN, François (1929–1992) : "D’aucuns…" (1990)