OLIVER, Mary (1935–2019) : "Rage" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Tu es le chant ténébreux
du matin ;
sérieux et lent,
tu te ras­es, tu t’habilles,
tu descends les escaliers
dans tes habits publics
puis tu prends la route, tu deviens
le sage, le puis­sant,
qui rend chaque jour
pos­si­ble dans le monde.
Mais tu étais aus­si ce chant pour­pre
dans la nuit,
trébuchant à tra­vers la mai­son
jusqu’au lit de l’enfant,
jusqu’à la rose humide de son corps,
pour y laiss­er ton goût amer.
Et pour tou­jours ces nuits gron­dent sous
la machiner­ie déli­cate des jours.
Quand la mère de l’enfant sourit
tu vois sur ses pom­mettes
une vérité que tu ne con­fesseras jamais ;
et tu vois com­ment l’enfant grandit–
timide­ment, accroupie dans les coins de mur.
Quelque­fois dans la nuit pro­fonde
tu entends les larmes les plus désolantes,
un moment de viol et de ter­reur.
Dans tes rêves, elle est un arbre
qui n’aura jamais de feuilles–
dans tes rêves, elle est une mon­tre
que tu as jetée sur des pier­res som­bres
et dont per­son­ne ne retrou­vera tous les frag­ments–
dans tes rêves tu as souil­lé et tué,
et les rêves ne mentent jamais.

Rage

You are the dark song
of the morn­ing;
seri­ous and slow,
you shave, you dress,
you descend the stairs
in your pub­lic clothes
and dri­ve away, you become
the wise and pow­er­ful one
who makes all the days
pos­si­ble in the world.
But you were also the red song
in the night,
stum­bling through the house
to the child’s bed,
to the damp rose of her body,
leav­ing your bit­ter taste.
And for­ev­er those nights snarl
the del­i­cate machin­ery of the days.
When the child’s moth­er smiles
you see on her cheek­bones
a truth you will nev­er con­fess;
and you see how the child grows–
timid­ly, crouch­ing in cor­ners.
Some­times in the wide night
you hear the most mourn­ful cry,
a rav­ished and ter­ri­ble moment.
In your dreams she’s a tree
that will nev­er come to leaf–
in your dreams she’s a watch
you dropped on the dark stones
till no one could gath­er the frag­ments–
in your dreams you have sul­lied and mur­dered,
and dreams do not lie.

Paru dans…
Dream Work (1986)

Affich­er le recueil dans la poet­i­ca…
Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Dream Work (1986) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.