Plume ne peut pas dire qu’on ait excesÂsiveÂment d’égards pour lui en voyÂage. Les uns lui passent dessus sans crier gare, les autres s’essuient tranÂquilleÂment les mains Ă son veston. Il a fini par s’habituer. Il aime mieux voyÂager avec modÂestie. Tant que ce sera posÂsiÂble, il le fera.
Si on lui sert, hargneux, une racine dans son assiÂette, une grosse racine : « Allons, mangez, qu’est-ce que vous attenÂdez ? »
« Oh, bien, tout de suite, voilĂ . » Il ne veut pas s’attirer des hisÂtoires inutileÂment.
Et si, la nuit, on lui refuse un lit : « Quoi ? Vous n’êtes pas venu de si loin pour dormir, non ? Allons, prenez votre malle et vos affaires, c’est le moment de la journĂ©e oĂą l’on marche le plus facileÂment. »
« Bien, bien, oui, cerÂtaineÂment. C’était pour rire, naturelleÂment. Oh oui, par… plaisanÂterie. » Et il repart dans la nuit obscure.
Et si on le jette hors du train : « Ah ! alors vous pensez qu’on a chaufÂfĂ© depuis trois heures cette locoÂmoÂtive et attelĂ© huit voitures pour transÂporter un jeune homme de votre âge, en parÂfaite sanÂtĂ©, qui peut parÂfaiteÂment ĂŞtre utile ici, qui n’a nul besoin de s’en aller lĂ -bas, et que c’est pour ça qu’on aurait creusĂ© des tunÂnels, fait sauter des tonnes de rochers Ă la dynaÂmite et posĂ© des cenÂtaines de kiloÂmètres de rails par tous les temps, sans compter qu’il faut encore surÂveiller la ligne conÂtinÂuelleÂment par crainte des sabÂoÂtages, et tout cela pour… »
« Bien, bien. Je comÂprends parÂfaiteÂment. J’étais monÂtĂ©, oh, pour jeter un coup d’œil ! MainÂtenant, c’est tout. SimÂple curiositĂ©, n’est-ce pas. Et merÂci mille fois. » Et il s’en retourne sur les chemins avec ses bagages.
Et si, Ă Rome, il demande Ă voir le ColÂisĂ©e : « Ah ! Non. Écoutez, il est dĂ©jĂ assez mal arrangĂ©. Et puis après MonÂsieur voudra le touchÂer, s’appuyer dessus, ou s’y asseoir… c’est comme ça qu’il ne reste que des ruines partout. Ce fut une leçon pour nous, une dure leçon, mais Ă l’avenir, non, c’est fini, n’est-ce pas. »
« Bien ! Bien ! C’était… Je voulais seuleÂment vous demanÂder une carte postale, une phoÂto, peut-ĂŞtre… si des fois… » Et il quitte la ville sans avoir rien vu.
Et si sur le paqueÂbot, tout Ă coup le ComÂmisÂsaire de bord le dĂ©signe du doigt et dit : « Qu’est-ce qu’il fait ici, celui-lĂ ? Allons, on manque bien de disÂciÂpline lĂ , en bas, il me semÂble. Qu’on aille vite me le redescenÂdre dans la soute. Le deuxÂième quart vient de sonÂner. » Et il repart en sifÂflotant, et Plume, lui, s’éreinte penÂdant toute la traÂverÂsĂ©e.
Mais il ne dit rien, il ne se plaint pas. Il songe aux malÂheureux qui ne peuÂvent pas voyÂager du tout, tanÂdis que lui, il voyÂage, il voyÂage conÂtinÂuelleÂment.
Infos qualÂité…
Statut : validĂ© | ConÂtribuÂteur : Karel Logist
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