MILOSZ, Oscar (1877–1939) : "Et surtout que Demain n’apprenne pas où je suis" (1906)

— Et surtout que Demain n’apprenne pas où je suis —
Les bois, les bois sont pleins de baies noires —
Ta voix est comme un son de lune dans le vieux puits
Où l’écho, l’écho de juin vient boire.

Et que nul ne prononce mon nom là-bas, en rêve,
Les temps, les temps sont bien accom­plis —
Comme un tout petit arbre souf­frant de prime sève
Est ta blancheur en robe sans pli.

Et que les ronces se refer­ment der­rière nous,
Car j’ai peur, car j’ai peur du retour.
Les grandes fleurs blanch­es caressent tes doux genoux
Et l’ombre, et l’ombre est pâle d’amour.

Et ne dis pas à l’eau de la forêt qui je suis ;
Mon nom, mon nom est telle­ment mort.
Tes yeux ont la couleur des jeunes pluies,
Des jeunes pluies sur l’étang qui dort.

Et ne racon­te rien au vent du vieux cimetière.
Il pour­rait m’ordonner de le suiv­re.
Ta chevelure sent l’été, la lune et la terre.
Il faut vivre, vivre, rien que vivre…

Extrait de…
Les sept soli­tudes (1906)

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Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Les sept soli­tudes (1906)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © amisdemilosz.com.