NOUGARO Claude (1929–2004) : "Assez" (1980)

Il serait temps que l'homme s'aime
Depuis qu'il sème son mal­heur
Il serait temps que l'homme s'aime
Il serait temps, il serait l'heure
Il serait temps que l'homme meure
Avec un matin dans le cœur
Il serait temps que l'homme pleure
Le dia­mant des jours meilleurs

Assez ! Assez !
Cri­ent les gorilles, les cétacés
Arrêtez votre humaner­ie
Assez ! Assez !
Cri­ent le désert et les glac­i­ers,
Cri­ent les épines héris­sées,
Déclouez votre Jésus Christ
Assez !
Suf­fit.

Il serait temps que l'homme règne
Sur le grand vit­rail de son front
Depuis les siè­cles noirs qu'il saigne
Dans les bar­belés de ses fronts
Il serait temps que l'homme arrive
Sans l'ombre avec lui de la peur
Et dans sa bouche la salive
De son appétit de ter­reur

Assez ! Assez !
Crie le ruis­seau dans la prairie,
Crie le gran­it, crie le cabri
Assez ! Assez !
Crie la petite fille en flammes
Dans son dimanche de napalm
Eteignez moi, je vous en prie
Assez !
Suf­fit.

Que l'homme s'aime, c'est peu dire
Mais c'est là mon pau­vre labeur
Je le dis à vos poêles à frire
Moi le petit sol­dat de beurre
Que l'homme s'aime c'est ne dire
Qu'une parole rebattue
Et sur ma dérisoire lyre
Voyez, déjà, elle s'est tue…

Mais voici que dans le silence
S'élève encore l'immense cri
Délivrez vous de vos démences
Crie l'éléphant, crie le cri-cri,
Cri­ent le sel, le cristal, le riz,
Cri­ent les forêts, le col­ib­ri,
Les clé­matites et les pen­sées,
Le chien jeté dans le fos­sé,
La colombe cade­nassée…
Enten­dez le ce cri immense,
Ce cri, ce rejet, cette transe
Expa­triez votre souf­france
Cri­ent les sépul­cres et les nids
Assez ! Assez !
Fini.

Extrait de…
Album Assez ! (1980)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : disque Assez ! (1980) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Les Edi­tions Du Chiffre Neuf.

REZVANI Serge (sous le pseudonyme de Cyrus Bassiak, né en 1928) : "Ni trop tôt, ni trop tard" (1968)

Peu m’importe la tyran­nie
Et le règne des soudards
Tant qu’ils nous lais­sent la vie
Tant qu’aimer n’est pas trop tard
Dans tes bras ma ten­dre amie
De nos corps les chat­ter­ies
Ont fait périr mon cafard
Le bour­don du dés­espoir
A pétri toute ma vie
Le bour­don du dés­espoir
Des angoiss­es les plus noires

Peu m’importent vos sar­casmes
Et vos hoquets gogue­nards
Uni­formes du marasme
Tant qu’aimer n’est pas trop tard
Dans tes bras ta ten­dre amie
A repris goût à la vie
En bénis­sant les hasards
Qui nous firent naître ensem­ble
Et pas d’un siè­cle d’écart
Qui nous firent naître ensem­ble
Ni trop tôt et ni trop tard

Que m’importent les men­songes
Dont on bro­da nos berceaux
Et la faux le ver qui ronge
De la mort des ori­peaux
Dans tes bras mon ten­dre ami
Nous fer­ons dur­er la vie
Et nos rires et nos pleurs
Le bon­heur comme la peine
Fait pleur­er les amoureux
Le bon­heur comme la peine
Mais vaut mieux pleur­er à deux

Que m’importe le temps qui passe
Et s’éloigne nulle part
Le doux présent nous enlace
Tant qu’aimer n’est pas trop tard
Sais-tu bien mon ten­dre ami
Qu’un jour se dis­sout la vie
Comme s’effacent les brouil­lards

Mieux vaut s’estomper ensem­ble
Sans une sec­onde d’écart
Mieux vaut s’estomper ensem­ble
Ni trop tôt et ni trop tard.

Extrait de…
Disque Jeanne More­au (1963)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : disque Jeanne More­au, album offi­ciel (1963) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Jacques Canet­ti.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Christiane part, comme par Henri" (2024)

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as vécu cachée,
comme une pen­sée
au pied du tour­nesol.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as chan­té colère,
comme un moineau
face aux cor­beaux.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as marché cassée,
comme le jonc brisé
dans trop de tem­pêtes.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as aimé goulu,
comme la grenouille
au pied du bœuf.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as fêté la nuit,
mal­gré les rats
quand ils débor­daient.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as aimé les tiens,
comme le rami­er
les bour­geons petits.

Mais, quand l'horizon
a frap­pé à la porte,
tu as pris con­gé,
comme la fleur blanche
qui se retire…

Paru dans…
non pub­lié (2024), écrit à l'occasion de la dis­pari­tion de Chris­tiane Ste­fan­s­ki, le 6 mai 2024, par­tie le même jour que le paroli­er-con­teur Hen­ri Gougaud.

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Chris­tiane Ste­fan­s­ki.

FERRE, Léo (1916–1993) : "La Mémoire et la mer" (1970)

La marée, je l’ai dans le cœur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur,
De mon enfance et de mon cygne
Un bateau, ça dépend com­ment
On l’arrime au port de justesse
Il pleure de mon fir­ma­ment
Des années lumières et j’en laisse
Je suis le fan­tôme de Jer­sey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en bais­er
Et te ramass­er dans ses rimes
Comme le tré­mail de juil­let
Où lui­sait le loup soli­taire
Celui que je voy­ais briller
Aux doigts de sable de la terre

Rap­pelle-toi ce chien de mer
Que nous libéri­ons sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goé­mons de nécro­p­ole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me sou­viens des soirs là-bas
Et des sprints gag­nés sur l’écume
Cette bave des chevaux ras
Au raz des rocs qui se con­sument
Ô l’ange des plaisirs per­dus
Ô rumeurs d’une autre habi­tude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu’un cha­grin de ma soli­tude

Et le dia­ble des soirs con­quis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des par­adis
Dans le milieu mouil­lé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens vio­lon des vio­lon­ades
Dans le port fan­far­ent les cors
Pour le retour des cama­rades
Ô par­fum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j’allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désor­dre de ton cul
Pois­sé dans des draps d’aube fine
Je voy­ais un vit­rail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen

Les coquil­lages fig­u­rant
Sous les sun­lights cassés liq­uides
Jouent de la castag­nette tant
Qu’on dirait l’Espagne livide
Dieux de gran­its, ayez pitié
De leur voca­tion de parure
Quand le couteau vient s’immiscer
Dans leur castag­nette fig­ure
Et je voy­ais ce qu’on pressent
Quand on pressent l’entrevoyure
Entre les per­si­ennes du sang
Et que les glob­ules fig­urent
Une math­é­ma­tique bleue,
Sur cette mer jamais étale
D’où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles

Cette rumeur qui vient de là
Sous l’arc copain où je m’aveugle
Ces mains qui me font du fla-fla
Ces mains rumi­nantes qui meu­g­lent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un men­di­ant sous l’anathème
Comme l’ombre qui perd son temps
À dessin­er mon théorème
Et sous mon maquil­lage roux
S’en vient bat­tre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue, aux musiques mortes
C’est fini, la mer, c’est fini
Sur la plage, le sable bêle
Comme des mou­tons d’infini…
Quand la mer bergère m’appelle…

Extrait de…
l'album Amour, Anar­chie (Bar­clay, 1970) ; texte et musique de Léo FERRE, arrange­ments de Jean-Michel DEFAYE

Et dans wallonica.org…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : album Amour, Anar­chie (Bar­clay, 1970)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Léo Fer­ré © Chris­t­ian RAUSCH / GAMMA-RAPHO.