OLIVER, Mary (1935–2019) : "Jour d’été" (1990, trad. Patrick Thonart, 2023)

Qui a créé le monde ?
Qui a créé le cygne, et l’ours noir ?
Qui a créé la sauterelle ?
Je veux dire – cette sauterelle-là,
celle qui a sur­gi de ces herbes-là,
celle qui croque du sucre au creux de ma main,
elle dont les mandibules vont d’avant en arrière, pas de haut en bas,
elle qui regarde autour d’elle avec ses yeux énormes et très com­pliqués.
La voilà qui lève ses pâles pattes avant et se net­toie con­scien­cieuse­ment la face.
La voilà qui ouvre ses ailes et s’envole en flot­tant dans l’air.
Je ne sais pas exacte­ment ce qu’est une prière.
Mais je sais com­ment faire atten­tion, com­ment rouler
dans l’herbe, com­ment tomber à genoux dans l’herbe,
com­ment flân­er et me sen­tir bénie, me promen­er dans les champs ;
c’est ce que j’ai fait le jour durant.
Dis-moi, qu’aurais-je dû faire d’autre ?
Est-ce que tout ne meurt pas un jour, tou­jours trop tôt ?
Dis-moi, toi, que veux-tu faire
de ta vie sauvage, unique et si pré­cieuse ?

The Summer Day

Who made the world?
Who made the swan, and the black bear?
Who made the grasshop­per?
This grasshop­per, I mean—
the one who has flung her­self out of the grass,
the one who is eat­ing sug­ar out of my hand,
who is mov­ing her jaws back and forth instead of up and down—
who is gaz­ing around with her enor­mous and com­pli­cat­ed eyes.
Now she lifts her pale fore­arms and thor­ough­ly wash­es her face.
Now she snaps her wings open, and floats away.
I don’t know exact­ly what a prayer is.
I do know how to pay atten­tion, how to fall down
into the grass, how to kneel down in the grass,
how to be idle and blessed, how to stroll through the fields,
which is what I have been doing all day.
Tell me, what else should I have done?
Doesn’t every­thing die at last, and too soon?
Tell me, what is it you plan to do
with your one wild and pre­cious life?

Paru dans…
House of Light (1990)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : House of Light (1990) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Printemps" (1990, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quelque part,
une ourse noire
vient de se réveiller
et regarde

vers la val­lée.
La nuit durant,
dans le frémisse­ment et l’agitation
du print­emps nais­sant,

je pense à elle,
à ses qua­tre poings
foulant le gravier,
à sa langue rouge

comme le feu
qui frôle l’herbe
et l’eau fraîche.
Il n’y a qu’une ques­tion :

com­ment aimer ce monde.
Je pense à elle
qui se dresse
comme une cor­niche noire de feuilles

et qui carde de ses griffes
le silence
des arbres.
Quelle que soit

ma vie par ailleurs,
avec ses poèmes
et sa musique
et ses cités de verre,

elle est aus­si cette ombre écla­tante
qui descend
les flancs de la mon­tagne,
souf­flant et goû­tant ;

le jour durant je pense à elle –
à ses crocs blancs,
à son silence,
à son amour par­fait.

Spring

Some­where
a black bear
has just risen from sleep
and is star­ing

down the moun­tain.
All night
in the brisk and shal­low rest­less­ness
of ear­ly spring

I think of her,
her four black fists
flick­ing the grav­el,
her tongue

like a red fire
touch­ing the grass,
the cold water.
There is only one ques­tion:

how to love this world.
I think of her
ris­ing
like a black and leafy ledge

to sharp­en her claws against
the silence
of the trees.
What­ev­er else

my life is
with its poems
and its music
and its glass cities,

it is also this daz­zling dark­ness
com­ing
down the moun­tain,
breath­ing and tast­ing;

all day I think of her—
her white teeth,
her word­less­ness,
her per­fect love.

Paru dans…
House of Light (1990)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Thirst: Poems (2007) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Roses, Fin d’été" (1990, trad. Patrick Thonart, 2023)

Qu’est-ce qui arrive
aux feuilles quand
elles virent au rouge et or et tombent
sur le sol ? Qu’est-ce qui arrive
aux oiseaux chanteurs
quand ils doivent s’arrêter
de chanter ? Qu’est-ce qui arrive
à leurs ailes rapi­des ?

Crois-tu qu’il y ait
un ciel indi­vidu­el
pour cha­cun d’entre nous ?
Crois-tu que quiconque,

de l’autre côté des ténèbres,
va nous appel­er, nous, vrai­ment ?
Au-delà des arbres,
les renardes appren­nent tou­jours à leurs petits

à vivre dans la val­lée.
on dirait qu’elles ne dis­parais­sent jamais, qu’elles sont tou­jours là
dans l’éclosion de la lumière
qui se dresse chaque matin

dans le ciel som­bre.
Et, der­rière un autre épaule­ment de collines,
en bord de mer,
les dernières ros­es ont ouvert leur fab­rique de douceur

et la ren­dent au monde.
Si j’avais une autre vie
je voudrais la pass­er entière­ment dans
une jubi­la­tion sans retenue.

Je serais une renarde, ou un arbre
plein de branch­es agitées.
Et cela ne me gên­erait pas d’être une rose
dans un champ plein de ros­es.

Elles n’ont pas encore été touchées par la peur, ou l’ambition.
C’est pourquoi elles n’y ont pas encore pen­sé.
Elles ne se deman­dent pas non plus com­bi­en de temps il y aura des ros­es,
et quoi après.

Ou n’importe quelle autre ques­tion futile.

Roses, Late Summer

What hap­pens
to the leaves after
they turn red and gold­en and fall
away? What hap­pens

to the singing birds
when they can't sing
any longer? What hap­pens
to their quick wings?

Do you think there is any
per­son­al heav­en
for any of us?
Do you think any­one,

the oth­er side of that dark­ness,
will call to us, mean­ing us?
Beyond the trees
the fox­es keep teach­ing their chil­dren

to live in the val­ley.
so they nev­er seem to van­ish, they are always there
in the blos­som of light
that stands up every morn­ing

in the dark sky.
And over one more set of hills,
along the sea,
the last ros­es have opened their fac­to­ries of sweet­ness

and are giv­ing it back to the world.
If I had anoth­er life
I would want to spend it all on some
unstint­ing hap­pi­ness.

I would be a fox, or a tree
full of wav­ing branch­es.
I wouldn't mind being a rose
in a field full of ros­es.

Fear has not yet occurred to them, nor ambi­tion.
Rea­son they have not yet thought of.
Nei­ther do they ask how long they must be ros­es, and then what.
Or any oth­er fool­ish ques­tion.

Paru dans…
House of Light (1990)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : House of Light (1990) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.