MELAGE (05) : "La cloche du beffroi" (1930)

La cloche du beffroi

Dans l'aérienne demeure
Où rêvent les jours d'Autrefois,
La cloche qui chante et qui pleure
Eveille des mil­liers de voix :
Témoin du temps et de l'espace,
A tout ce qui naît et qui passe
Elle rend un écho pro­fond,
Car elle écoute, mater­nelle,
L'hymne de la voûte éter­nelle
Et le bruit que les hommes font.

Tous les grands remous de l'histoire
Autour du bef­froi sou­verain,
L'élan, la lutte, la vic­toire,
Dor­ment dans son âme d'airain.
Ah ! ces tri­om­phes pop­u­laires
Où dans les gloires jubi­laires
On proclame les lib­ertés !
Ah ! ces gens de Flan­dre et de Liége
Révoltés que leur prince assiège
Et sont tou­jours des révoltés !

Voici le Prince-Evêque en fuite:
Son­nez pour la rébel­lion !
L'armée étrangère est détru­ite
Cloche son­nez! Flan­dre au lion !
Demain la lib­erté sacrée
Va faire sa joyeuse entrée !
Voici la Male Saint-Mar­tin,
Voici les Matines bru­geois­es,
Voici les vic­toires bour­geois­es :
Son­nez le tri­om­phe hau­tain !

Chantez, cloche, les moissons blondes
Qui débor­dent sur les sen­tiers,
Et chantez les nefs vagabon­des
Le long des quais et des chantiers !
Les marteaux dansent sur l'enclume,
Les métiers chantent dans la brume :
Pau­vre homme en sa mai­son est roi !
Chantez pour toute la richesse,
Chantez pour toute l'allégresse,
Chantez, cloche du vieux bef­froi.

Quand les prin­cières cav­al­cades,
Ruti­lantes sous le soleil,
Sur les routes, dans les bour­gades,
Pas­saient dans un brouil­lard ver­meil.
Quand le cortège des prières
Déroulait au vent ses ban­nières,
Reine des car­il­lons joyeux,
La vieille cloche par volées,
Par delà les monts, les val­lées,
Jetait sa gloire à tous les cieux.

Oui, la cloche a chan­té les fêtes
Et tous les jours que Dieu bénit,
Mais lorsque l'ombre des défaites
ijtreignait sa tour de gran­it,
Lorsque les rageuses batailles
Fai­saient de rouges funérailles,
Lorsque les crimes,
S'ajoutaient à l'épidémie,
La cloche, douloureuse amie,
pleu­rait à longs san­glots.

Jours des sin­istres hécatombes,
Où Lié­geois, Dinan­tais, Gan­tois,
S'écroulaient sanglants dans les tombes
Tan­dis que flam­baient tous les toits !
Jours des atro­ces repré­sailles
Où le pays, jusqu'aux entrailles,
Trem­blait au seul nom des bour­reaux !
Grands d'Espagne ou ducs de Bour­gogne,
Soudards sans âme et sans ver­gogne,
0 buveurs du sang des héros !…

Vieille cloche, ô con­tem­po­raine
De tant de siè­cles révo­lus,
Dont la voix dolente et sere­ine
Fait songer des ais ver­moulus !
Vieille cloche, son­nez quand même,
Puisque c'est votre loi suprême
De par­ler de mort et d'espoir !
Vieille cloche, son­nez encore,
Puisque vous con­nûtes l'aurore
Puisque vous con­naîtrez le soir !

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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MELAGE (04) : "Jacques van Artevelde" (1930)

Jacques van Artevelde

Le peu­ple est un enfant dont les colères folles
Brisent pour un caprice absurde les idol­es
   Qui furent sa vie un moment.
Et l'histoire est un drame immense où l'on assiste
A l'éternel com­plot éter­nelle­ment triste
   Du crime inutile et dément.

Le masque impérieux, qu'un éclair illu­mine,
Debout dans son des­tin, le vieux Ruwaert domine
   L'horizon d'un siè­cle agité.
Son coeur était si grand qu'il con­te­nait la Flan­dre
Son des­tin fut si beau que l'on n'a pu lui ren­dre
   Jamais l'hommage mérité.

La Flan­dre se mourait: la France et l'Angleterre
Etouf­faient dans l'étau meur­tri­er de leur guerre.
   Son opu­lente activ­ité ;
Mais l'homme en qui bat­tait tout le coeur d'une race
Appuyant son génie à sa tran­quille audace
   Sau­va le peu­ple et la cité.

Il était né seigneur, mais de som­bres colères
Fer­men­taient sour­de­ment dans les flots pop­u­laires ;
   Le pays était aux abois ;
Les Leli­aerts per­daient la cause com­mu­nale,
Nev­ers la trahis­sait, la lutte était fatale :
   D'Artevelde se fit bour­geois.

Et l'on vit se dress­er, pen­nons con­tre ban­nières,
En face des métiers, les nobless­es altières :
   Sous le branle~bas des toc­sins,
Le Tri­bun entraî­na dans des luttes épiques
Les mas­sifs com­mu­niers à la fête des piques,
   Au nom de la Vierge et des Saints.

Vêtu du mail­lot rouge et du sur­cot de laine,
Il réc­on­cil­ia par le mont, par la plaine,
   Les farouch­es inim­i­tiés ;
Il cimen­ta partout les coeurs de ses mains fo r tes,
Dis­ci­plina le peu­ple et ses hum­bles cohort­es.
   Fit pleu­voir l'or sur les métiers.

L'égoïsme hau­tain, ni l'ambition vile
N'effleurèrent jamais de leur ombre servile
   La vail­lance de ses des­seins,
Mais il avait ouï dans la nuit rouge un râle :
Il se dres­sait vengeur de la terre natale,
   Héros, devant des assas­sins

Avec l'autorité superbe d'un vieux sage
Son verbe fla­gel­lait, fou­et cinglant, au vis­age
   Les tyrans de la lib­erté ;
Mais le songe pro­fond de son regard trag­ique,
Mais la force d'airain de son coeur paci­fique
   Ne con­te­naient que la bon­té.

Le pou­voir appar­tient à qui le ciel le donne,
Et les hum­bles, con­quis à ce roi sans couronne,
   Embras­saient en pleu­rant ses mains ;
Et le géant, les yeux au loin, comme un prophète,
Achevait puis­sam­ment de pouss­er à son faîte
   L'édifice des lende­mains.

Il pou­vait, d'un seul mot, sur la foule pro­fonde,
Sus­citer à son gré la tem­pête qui gronde
   Ou l'espoir qui chante et qui luit ;
Son grand geste ten­du sem­blait porter la Flan­dre:
Ceux qu'il fal­lait venger, ceux qu'il fal­lait défendre,
   Sans trêve se tour­naient vers lui.

Et c'est pourquoi dans l'ombre il ren­con­tra l'émeute :
Sub­lime comme un dieu qui méprise une meute,
   Sachant qu'il revivrait bien­tôt,
Car le crime par­tois regrette sa démence,
Car le sang pur est une gloire qui com­mence,
   Il s'écroula sous le couteau.

Or l'avenir grandit ceux que l'envie immole :
Jacques van Artevelde est beau comme un sym­bole.
   Par­mi les clochers, les bef­frois,
Debout sur les hau­teurs des luttes com­mu­nales,
Il appelle à ses pieds les gloires tri­om­phales,
   Car il fut plus grand que les rois.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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MELAGE (03) : "Les Croisés" (1930)

Les croisés

L'Orient est trop loin sur les routes du monde :
Nous ne ver­rons jamais les portes du Saint-Lieu.
- Mais c'est Dieu qui fait signe à l'Occident qui gronde:
   Frères, Dieu le veut! Dieu le veut !

Le soleil des déserts nous tuera de ses fièvres :
Qui calmera la soif des marcheurs aux abois ?
- Mais l'eau pure tou­jours abreuvera vos lèvres,
   Celle qui jail­lit de la Croix.

Nous tomberons là-bas par cen­taines de mille :
Les Sul­tans sont des dieux, les Turcs sont des démons.
- Mais le sang des mar­tyrs n'est jamais inutile,
   Mais la Foi trans­porte les monts !

Alors, l'épée au flanc et la croix sur l'épaule,
Un peu­ple de guer­ri­ers s'ébranla tout puis­sant,
Car ce tombeau loin­tain l'aimantait comme un pôle,
   Le tombeau cap­tif du Crois­sant.

Les tours, les minarets, à la voix des prophètes,
Se héris­saient en vain sous le choc des béliers :
Les assauts de géants étaient les rouges fêtes
   Où tri­om­phaient les cheva­liers.

Ils se jetaient bardés dans la sainte bataille,
Rail­laient les Sar­razins, provo­quaient leur fureur,
Joyeux, sous le haubert et la cotte de maille,
   D'être sans reproche et sans peur.

L'éclair des duren­dals, sans repos et sans trêve,
Fauchait les rangs paiëns comme on fauche des blés
Et les faucheurs, four­bus, ne sus­pendaient leur glaive
   Que sur les rem­parts écroulés.

Escortés de cap­tifs aux soumis­sions viles,
Ter­ri­bles, à grand coups d'estoc et d'étriers,
Ils fai­saient se courber les tentes et les villes
   Sous le pas des lourds destri­ers.

Anti­oche, Byzance, Ascalon, Tyr, Edesse,
Gloires de Mahomet, croulaient de toutes parts,
Et l'étendard du Christ, mes­sager d'allégresse,
   Fai­sait fuir tous les éten­dards.

Mais leurs chefs, Gode­froid, Bau­douin, Thier­ry d'Alsace,
Le front dans la pous­sière, implo­raient des par­dons,
Ajoutaient Dieu lui-même à l'incroyable audace
   Des lances et des espadons ;

Et lorsqu'ils tri­om­phaient dans la lutte suprême
Lorsque Jérusalem ouvrait ses portes d'or,
Ils voulaient que le Christ fût le seul diadème
   Qui nim­bât leur sanglant effort.

Ô siè­cles mer­veilleux, dont la haute épopée
Jeta de tels reflets qu'ils tra­versent les temps !
Prodigieux guer­ri­ers dont la pesante épée
   Fai­sait trem­bler tous les sul­tans !

C'est la chan­son du fer qui son­nait dans les âmes,
Et lorsque, proche ou loin, appa­rais­sait la Croix,
L'héroïsme exal­tait les hommes et les femmes :
  Mais ce temps se nomme Autre­fois.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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MELAGE (02) : "La pacifique conquête" (1930)

La pacifique conquête

Les Césars n'étaient plus qu'un sou­venir,
Mais les devins trem­blaient d'évoquer l'avenir.
Les Van­dales, les Huns, les Francs et les Bur­gondes
Déchaî­naient leurs instincts de hordes vagabon­des,
Chas­saient les empereurs, assas­si­naient les rois,
Ecra­saient sous le joug bar­bare tous les droits.
Appuyés sur le fer de leurs longues framées,
Ils allaient au butin. Leurs sin­istres armées
Sur les blanch­es vil­las pas­saient en tour­bil­lons,
Et la mort moisson­nait dans de rouges sil­lons.
Le Crime chevauchait sur les routes romaines
En rêvant de gibets, de torch­es et de chaînes.
Tuer, piller, brûler : vail­lants et fiers travaux !
L'herbe ne pous­sait plus où pas­saient les chevaux.
Clo­vis et Gen­séric, Clotaire et Fréde­gonde
D'atrocités sans nom épou­van­taient le monde.
Les opprimés souf­fraient, pleu­raient, cri­aient en vain…
Et voilà que fleu­rit le mir­a­cle divin.
Des incon­nus chétifs, pieds nus, vêtus de bures,
Affron­tèrent les rois aux longues chevelures,
Et par­lèrent d'un homme autre­fois mort en croix,
Mort pour tous, pour les Francs, les Belges, les Gaulois.
Les yeux extasiés sous des pâleurs austères,
Ils allaient, pèlerins de sub­limes mys­tères,
Par­couraient les coteaux, les plaines et les monts,
Ressus­ci­taient des morts et chas­saient les démons.
Ils prêchaient la pitié, le par­don, la souf­france,
Et semaient lumineux l'éternelle espérance…
Or, faibles, désar­més, ils furent les plus forts :
Les divines moissons bénirent leurs efforts.
Les peu­ples se cour­baient sous les voix solen­nelles
Qui racon­taient le Dieu des gloires éter­nelles,
La splen­deur des par­dons, l'horreur des châ­ti­ments.
Et l'écho des forêts écoutait leurs ser­ments :
« Tout ce que j'adorais, ô Christ, hier encore,
» Je le brûle, et ce que j'ai brûlé, je l'adore. »
Et l'on vit s'écrouler sur leurs hon­teux autels
Thor, Mer­cure, Wotan, les dieux vains et cru­els.
Et des cortèges blancs, tri­om­phes du Bap­tême,
Que la Foi couron­nait de son pur diadème,
Chem­inèrent sans fin vers les tem­ples vivants
Où le ciel se pen­chait sur des hymnes fer­vents.
C'était sur le Pays comme un souf­fle de brise :
Des renou­veaux pro­fonds, les print­emps de l'Eglise,
Elar­gis­sant sous les soleils leurs hori­zons,
Sous l'arbre de la Croix jetaient leurs flo­raisons.
Amand, Hubert, Eloi, Lan­delin, Eleuthère,
A l'ombre du palais, autour du monastère,
Sous leur geste incli­nant les sauvages fiertés,
Enseignaient le tra­vail et ses mâles beautés.
Des leudes de grand nom et de haute lignée
Sus­pendaient la fran­cisque et pre­naient la cognée,
Des princes abri­taient leur ver­tu sous le froc,
Les grands bois rec­u­laient sous la hache et le soc…

Gloire à ces pio­nniers aux gestes de lumière!
L'âme belge naquit de leur sainte pous­sière,
Et Charle­magne et son grand siè­cle allaient venir,
Car c'est sur le passé que germe l'avenir !

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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MELAGE (01) : "L'aube sanglante" (1930)

L'aube sanglante

Rome avait mis son pied tri­om­phant sur le monde.
Rome jetait sa force orgueilleuse et pro­fonde
A l'assaut des Gaulois, à l'assaut des Ger­mains.
Le génie et la gloire ouvrent tous les chemins :
Les aigles s'éployaient sur l'Asie et l'Afrique,
Les légions touchaient aux grèves d'Armorique,
Et les peu­ples vain­cus fuyaient de toute part
Devant ce nom divin et ter­ri­ble : César.
Qui donc pou­vait encor, dressé comme une cible,
Braver le demi-dieu, affron­ter l'invincible !
C'est alors que jail­lit, sec­ouant les forêts,
Sec­ouant le som­meil frigide des marais,
Le for­mi­da­ble cri, le cri rauque et sauvage
De ceux qui préféraient la mort à l'esclavage,
Le cri sub­lime qui, vibrant comme l'airain,
Ebran­la les échos de la mer jusqu'au Rhin.
Et les chênes mous­sus sous leurs vieilles ramures,
Et les huttes croulant sous les noires ver­dures,
Virent pass­er, casqués de leurs cornes d'aurochs,
Fran­chissant les four­rés, les riv­ières, les rocs,
Héris­sés, mus­culeux, dar­d­ant toute leur force
Sous la nudité mate et rude de leur torse,
Les cent mille guer­ri­ers, suprêmes défenseurs
Du sol belge insulté par les envahisseurs.
Tréviriens, Eburons, Nerviens, Adu­a­tiques,
Tous, jusqu'aux Ménapi­ens, farouch­es, mag­nifiques,
Trem­pant dans leur cour­roux la flèche des car­quois,
Bran­dis­sant vers les cieux leurs boucliers de bois,
Au hasard des sen­tiers, guidés par leurs colères,
Sous le geste obéi des grands chefs pop­u­laires,
Ils mar­chaient, ils couraient vers le sanglant com­bat,
Parce qu'on avait dit que César était là.
Boduog­nat, Ambior­ix, Induciomare,
Tumultueux héros ! votre glaive bar­bare,
Mieux que les druides, mieux que tous les vains par­leurs,
Sut faire l'union des races et des coeurs…
Ils tombèrent pour­tant. Mais leur mort fut leur gloire,
Car leur sang, qui rougit l'aube de notre his­toire,
De siè­cle en siè­cle à tous leurs fils a racon­té
Com­ment on meurt en défen­dant la lib­erté.
Au large des dol­mens, des rochers, des clair­ières,
Leurs cadavres loin­tains ont des voix de prières
Que berce le fris­son des guis mys­térieux.
0 voix des vieux tombeaux ! voix graves des aïeux !
Vous répétez sans fin : « Veillez à vos fron­tières,
Car c'est un crime affreux de se bat­tre entre frères,
Quand un dan­ger nou­veau sur­git chaque matin,
Et qu'on voit se lever la hache du des­tin ! »

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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MELAGE (12) : "Ceux qui sont morts" (1930)

Ceux qui sont morts

Ne les oublions pas ! les oub­lis sont des crimes !
Oubli­er des héros, oubli­er des vic­times,
Quand on voit sur leurs os ger­mer tout l'avenir !
Puisqu'ils ont su mourir, ils ont le droit de vivre,
Et si notre des­tin ne fut pas de les suiv­re,
   Sachons du moins nous sou­venir.

Quand un peu­ple détru­it les autels de la gloire,
Quand il chas­se les morts, hélas ! de sa mémoire,
Quand son passé, dont l'univers fut ébloui,
Sous les pieds du pro­grès n'est plus que de la cen­dre,
C'est qu'il rampe si bas qu'il ne peut plus descen­dre,
   Et quelque chose est mort en lui.

Que les vils trafi­quants, cha­cals aux dents avides,
N'aient vu dans nos exploits que leurs prof­its sor­dides.
Qu'ils aient pu, l'âme sourde aux appels élo­quents,
Mon­nay­er le mal­heur, rançon­ner la détresse,
Et bâtir le bien-être épais qui les engraisse,
   Eh bien ! ce sont des trafi­quants !

Mais nous, nous avons vu sur les sanglants abîmes
L'idéal qui cinglait, éployé, vers les cimes :
Ayant pris aux maisons, aux champs, aux ate­liers,
Ses légions de preux qui l'adoptaient pour maître,
Il mon­tait, délivré des chaînes du bien~être,
   Entraî­nant tous ses cheva­liers.

Ils par­taient, hasardeux, pour la grande aven­ture,
Où, pal­adins du droit con­tre la for­fai­ture,
Sachant bien que pour vain­cre il faut savoir souf­frir,
A l'ombre des dra­peaux qui vengeaient notre cause,
Ils allaient sim­ple­ment accom­plir cette chose :
   Lut­ter pour elle, et puis mourir.

Ils sont morts. Mais au bruit des fan­fares guer­rières
Qui jetaient à l'assaut leurs lignes meur­trières,
Ils gravèrent au ciel des exploits si nou­veaux,
Ces héros qu'exaltaient les hautes équipées
Firent son­ner si clair la chan­son des épées
   Qu'on se sou­vint de Ron­ce­vaux.

Ils sont morts. Mais déjà, nar­guant les aigles noires,
Monte, sur le vieux sol tout pavé de leurs gloires,
Un tem­ple de beauté que rien ne peut ternir :
Plus le soc meur­tri­er fit leur tombe pro­fonde,
Plus haut dans la splen­deur, monte, éton­nant le monde,
    La Bel­gique de l'avenir.

Ils sont morts. Mais les jours d'éternelle jus­tice
Ont déjà couron­né devant Dieu leur sup­plice,
Et, con­sacrés deux fois par l'immortalité,
Leurs tombeaux sont fleuris de cette joie immense :
Dans les coeurs de seize ans leur race recom­mence :
   Ils ont une postérité.

Tant qu'un peu­ple d'enfants, sur les bancs des écoles,
Faisant taire le bruit de leurs rêves friv­o­les,
Sur les voix du passé se pencheront ravis,
Tant qu'ils ver­ront briller sur la carte du monde
La tache de couleur que tant de sang inonde
   Et qu'ils appel­lent: « Mon Pays » ;

Tant que sur nos forêts, sur nos moissons jau­nies,
L'été promèn­era ses lentes sym­phonies,
Tant que la mer bat­tra la dune de ses flots,
Et que le vent d'Ouest, en pas­sant sur nos plaines,
Redi­ra nos orgueils, nos douleurs et nos haines
   Dans ses clameurs, dans ses san­glots ;

Tant que des coeurs vivront dans des poitrines fières,
Tant que nos vieux lions dresseront leurs crinières,
Tant que, les yeux fixés sur nos grands livres d'or,
L'Histoire, en traits de feu, dira nos grandes Gestes,
Et que l' Art, aux élans sub­limes ou mod­estes,
   Ira pren­dre là son essor,

Toutes nos voix, ô morts ! diront vos gloires fières :
Voix pieuses des deuils, des bronzes et des pier­res,
Voix des cloches qui font s'émouvoir les val­lons,
Voix des chantiers hurlants où la fièvre tra­vaille,
Voix de la terre qui d'honneur encor tres­saille,
   Voix des Fla­mands, voix des Wal­lons !

Du fond du sol qui fut pétri par les mitrailles,
Du fond des coeurs, encor saig­nants de leurs entailles,
Sous les lam­beaux troués qui furent ses dra­peaux,
Le grand peu­ple mar­tyr, frémis­sant jusqu'aux moelles,
Fera vibr­er jusqu'à l'azur, jusqu'aux étoiles,
   Le cri tri­om­phal des tombeaux !

Et les aïeux, ceux qui, créant nos renom­mées,
Bran­dis­saient puis­sam­ment goe­dendags et framées,
Voy­ant qu'on meurt encore pour l'immortalité,
Que, devant l'univers ému qui le regarde,
Le Pays de l'honneur monte tou­jours la garde
   Pour le droit et la lib­erté.

Dénom­brant nos héros qui dor­ment sous la terre
Pour avoir cru que les ser­ments sont chose austère,
Tous les aïeux diront pour, celui qui com­prend :
« 0 Pays qui lut­tas quand il fal­lait se ren­dre,
» Pays qu'on peut broy­er, mais qu'on ne peut pas ven­dre,
   » Par tes morts, Pays ! tu fus grand ! »

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

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MELAGE (11) : "A l'ombre du drapeau" (1930)

A l'ombre du drapeau

L'ombre du dra­peau tri­col­ore
Dans ce grand siè­cle fit éclore
Toutes les fleurs et tous les fruits :
L'Art, la Sci­ence et l'industrie
Ont mis au front de la Patrie
Leur Guir­lande jamais flétrie,
OEu­vre des jours, oeu­vre des nuits.

Obstiné­ment penchés sur leurs sables revêch­es,
Raidis­sant tout l'effort de leurs bras mus­culeux,
Les Flan­driens têtus poussent pro­fond leurs bêch­es
Autour des hauts moulins dressés sous les ciels bleus.

L'Ardenne défend mal sa cuirasse de schiste
Qu'entament le labeur savant et le pro­grès,
La sci­ence dis­sout l'obstacle qui résiste,
Et la cognée abat la toi­son des forêts.

0 Campine ! tristesse auguste de la lande !
Rêve de la bruyère où rit le feu fol­let !
Pour vous insér­er mieux dans la vaste Guir­lande,
Hélas ! Dumont noircit l'horizon vio­let.

Le Con­droz, la Hes­baye ont leurs plaines immenses
Où l'éclair de la faulx zèbre l'or des moissons,
Où le semeur qui songe en jetant ses semences
Ecoute bruire au loin la vie et ses chan­sons.

   Probes tra­vailleurs de la terre,
   Pour­suiv­ez votre tâche austère
   Qui fait du pain pour nos enfants :
   L'ombre du dra­peau tri­col­ore,
   A chaque soir, à chaque aurore,
   Pro­tège de sa gloire encore
   Le labeur de la paix des champs.

Il faut que l'idéal se fiance à la force :
L'honneur de l'opulence est de mon­ter plus haut,
Il faut oeu­vr­er du poing, et du bras, et du torse,
Mais il faut ce bla­son : le labeur du cerveau.

L'oeil du savant sonde la vie et ses mys­tères,
Le chercheur hale­tant veut hâter le pro­grès,
L'astronome pour­suit dans leurs orbes les sphères,
Et le penseur pour­suit ses prob­lèmes abstraits.

Voici les écrivains, les tri­buns, les poètes,
Qui sont rois au pays du verbe tri­om­phant.
Et voici les semeurs qui se font d'humbles fêtes
D'ensemencer le coeur du peu­ple et de l'enfant.

Pour achev­er enfin la Guir­lande splen­dide
Qui te fait, ô Patrie ! un renom exalté,
Toutes les voix de l'Art, hymne large ou can­dide,
Autour des trois grands rois chantent dans la beauté.

C'est une âme qui chante et qui vibre ;
L'âme d'un petit peu­ple libre
Vengé de ses mal­heurs loin­tains,
Et tan­dis qu'un chan­cre dévore
Plus d'un géant au nom sonore,
L'ombre du dra­peau tri­col­ore
Abrite la vigueur de nos jeunes des­tins.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.