RICHEPIN, Jean (1849–1926) : "Première gelée" (1881)

Voici venir l’Hiver, tueur des pau­vres gens.

Ain­si qu’un dur baron précédé de ser­gents,
Il fait, pour l’annoncer, courir le long des rues
La gelée aux doigts blancs et les bis­es bour­rues.
On entend haleter le souf­fle des gamins
Qui se sauvent, col­lant leurs lèvres à leurs mains,
Et tapent forte­ment du pied la terre sèche.
Le chien, sans rien flair­er, file ain­si qu’une flèche.
Les messieurs en cha­peau, raides et bou­ton­nés,
Font le dos rond, et dans leur col plon­gent leur nez.
Les femmes, comme des coureurs dans la car­rière,
Ont la gorge en avant, les coudes en arrière,
Les reins cam­brés. Leur pas, d’un mou­ve­ment coquin,
Fait ond­uler sur leur croupe leur trousse­quin.

Oh ! comme c’est joli, la pre­mière gelée !
La vit­re, par le froid du dehors fla­gel­lée,
Étin­celle, au dedans, de cristaux déli­cats,
Et papil­lote sous la nacre des micas
Dont le dessin fleu­rit en volutes d’acanthe.
Les arbres sont vêtus d’une faille craquante.
Le ciel a la pâleur fine des vieux argents.

Voici venir l’Hiver, tueur des pau­vres gens.

Voici venir l’Hiver dans son man­teau de glace.
Place au Roi qui s’avance en gron­dant, place, place !
Et la bise, à grands coups de fou­et sur les mol­lets,
Fait courir le gamin. Le vent dans les col­lets
Des messieurs bou­ton­nés fourre des cents d’épingles.
Les chiens au bout du dos sem­blent traîn­er des tringles.
Et les femmes, sen­tant des petits doigts fripons
Grimper sournoise­ment sous leurs derniers jupons,
Se cog­nent les genoux pour mieux ser­rer les cuiss­es.
Les maisons dans le ciel fument comme des Suiss­es.
Près des chenets joyeux les messieurs en cha­peau
Vont s’asseoir ; la chaleur leur déten­dra la peau.
Les femmes, rel­e­vant leurs jupes à mi-jambe,
Pour garan­tir leur teint de la bûche qui flambe
Éten­dront leurs deux mains longues aux doigts rosés,
Qu’un ten­dre amant fera mol­lir sous les bais­ers.
Heureux ceux-là qu’attend la bonne cham­bre chaude !
Mais le gamin qui court, mais le vieux chien qui rôde,
Mais les gueux, les petits, le tas des indi­gents…

Voici venir l’Hiver, tueur des pau­vres gens.

Extrait de…
La Chan­son des gueux (1881)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil La Chan­son des Gueux, Les qua­tre saisons, XIV (1881)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Le Devoir.

REGNIER, Mathurin (1573–1613) : "J’ai vescu sans nul pensement…" (s.d.)

J’ai ves­cu sans nul pense­ment,
Me lais­sant aller douce­ment
A la bonne loy naturelle,
Et si m’estonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi
Qui ne songeay jamais à elle.

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : [GALLICA.BNF.FR] REGNIER M., Œuvres com­plètes précédées de L’histoire de la satire en France par Mon­sieur Vio­l­let-le-Duc (Paris, Jan­net, 1853).  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Tombe d'Emery © Amaroth.

Devotions: The Selected Poems of Mary Oliver (recueil, 2017)

[PENGUINRANDOMHOUSE.COM] Ce recueil est un Best-Sell­er du New York Times et a été désigné “Livre qui m’a aidé.e à tenir bon” par le Oprah’s Book Club.

« Quel que soit l’endroit où vous com­mencez à lire, Devo­tions est incroy­able­ment atti­rant, qu’il s’agisse des exubérants poèmes au chien d’Oliver ou des poèmes sélec­tion­nés dans Amer­i­can Prim­i­tive (prix Pulitzer) et dans Dream Work, un de ses recueils les plus excep­tion­nels. Peut-être que le plus impor­tant, c’est cette écri­t­ure lumineuse qui nous apaise face à un monde fou et qui démon­tre com­bi­en une con­science plus aigüe peut pro­fil­er et trans­former une vie, instant après instant, poème après poème. » —The Wash­ing­ton Post

C’est un peu comme si la poétesse s’était assise à côté de nous et nous indi­quait quels poèmes elle con­sid­ère comme les plus impor­tants.” — Chica­go Tri­bune

La poétesse Mary Oliv­er a reçu le prix Pulitzer et elle présente ici une sélec­tion per­son­nelle de son tra­vail, ce qui en fait prob­a­ble­ment le recueil défini­tif de ses poèmes, écrits pen­dant plus de cinq décen­nies de sa mag­nifique car­rière lit­téraire.

A tra­vers les années, Mary Oliv­er a su touch­er un nom­bre impres­sion­nant de lecteurs avec des vers bril­la­ment ciselés, exp­ri­mant son amour pour le monde naturel et les liens puis­sants qui  unis­sent tous les vivants. Iden­ti­fiée par Dwight Gar­ner comme « de loin la poétesse la plus ven­due du pays », elle nous revient avec ce recueil éton­nant et défini­tif de ses poèmes des cinquante dernières années.

Edités avec soin, ce sont plus de 200 poèmes par­mi les meilleurs qu’Oliver a écrits, depuis son tout pre­mier recueil, No Voy­age and Oth­er Poems, pub­lié en 1963 (elle avait 28 ans), jusqu’à son tout dernier recueil, Felic­i­ty, paru en 2015. Cet ouvrage est fait pour dur­er et il a été conçu par Mary Oliv­er en per­son­ne : elle y offre le meilleur d’elle-même. Dans ces pages, elle nous pro­pose un recueil extra­or­di­naire, ines­timable, de ses obser­va­tions à la fois déli­cates, pas­sion­nées et pré­cis­es de la Nature authen­tique.

(trad. Patrick Thonart)

OLIVER Mary, Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (Pen­guin Press, 2017)
480 pages – ISBN‎ 0399563245 – Eng­lish

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | tra­duc­teur : Patrick Thonart.

Mary OLIVER dans la poet­i­ca

FOIX, J.V. (1893–1987) : "Oh puissais-je accorder la Raison, la Folie,…" (publié en 1987)

Oh puis­sais-je accorder la Rai­son, la Folie,
Qu’un clair matin, non loin de la mer claire,
Cet esprit mien, de plaisir trop avare,
Me fasse l’Éternel présent. Et par la fan­taisie

- Qui le cœur embrase et détourne l’ennui -
Que les mots, les sons, les tim­bres, quelque­fois
Per­pétuent l’aujourd’hui, et que l’ombre rare
Qui me con­tre­fait au mur, me soit sage et guide

En mon errance par­mi tamaris et dalles ;
- Oh douceurs dans la bouche ! les douces pen­sées ! -
Qu’elles fassent vrai l’Abscons, qu’à l’abri de calan­ques,

Les images du songe par les yeux éveil­lés,
Vivent ; que le Temps ne soit plus; mais l’espérance
En d’Immortels Absents, la lumière et la danse !

Paru dans…
Poésie. Prose, recueil posthume (1987)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Poésie. Prose, recueil posthume (1987) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © reusdigital.cat.

APOLLINAIRE, Guillaume (1880–1918) : "Mon ptit Lou adoré…" (1915)

Mon ptit Lou adoré
Je voudrais mourir un jour que tu m’aimes
Je voudrais être beau pour que tu m’aimes
Je voudrais être fort pour que tu m’aimes
Je voudrais être jeune jeune pour que tu m’aimes
Je voudrais que la guerre recom­mençât pour que tu m’aimes
Je voudrais te pren­dre pour que tu m’aimes
Je voudrais te fess­er pour que tu m’aimes
Je voudrais te faire mal pour que tu m’aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans une cham­bre d’hôtel à Grasse pour que tu m’aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans mon petit bureau près de la ter­rasse couchés sur le lit de fumerie pour que tu m’aimes
Je voudrais que tu sois ma sœur pour t’aimer inces­tueuse­ment
Je voudrais que tu euss­es été ma cou­sine pour qu’on se soit aimés très jeunes
Je voudrais que tu sois mon cheval pour te chevauch­er longtemps longtemps

Je voudrais que tu sois mon cœur pour te sen­tir tou­jours en moi
Je voudrais que tu sois le par­adis ou l’enfer selon le lieu où j’aille
Je voudrais que tu sois un petit garçon pour être ton pré­cep­teur
Je voudrais que tu sois la nuit pour nous aimer dans les ténèbres
Je voudrais que tu sois ma vie pour être par toi seule
Je voudrais que tu sois un obus boche pour me tuer d’un soudain amour.

Extrait de…
Poèmes à Lou (1947)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Poèmes à Lou (1947)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Guil­laume Apol­li­naire et sa femme Jacque­line Kolb en 1918 sur la ter­rasse de leur apparte­ment du 202 boule­vard Saint-Ger­main © Bib­lio­thèque his­torique de la Ville de Paris

RONSARD, Pierre de – (1524–1585) : "Bonjour mon cœur…" (ca. 1564)

Bon­jour mon cœur, bon­jour ma douce vie
Bon­jour mon œil, bon­jour ma chère amie !
Hé ! Bon­jour ma toute belle,
Ma mignardise, bon­jour
Mes délices, mon amour,
Mon doux print­emps, ma douce fleur nou­velle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle !
Bon­jour ma douce rebelle.

Hé, fau­dra-t-il que quelqu’un me reproche,
Que j’ai vers toi le cœur plus dur que roche,
De t’avoir lais­sée, maîtresse,
Pour aller suiv­re le Roi,
Men­di­ant je ne sais quoi,
Que le vul­gaire appelle une largesse ?
Plutôt périsse hon­neur, court et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle déesse.

Extrait de…
Les amours (1584)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Les amours (1584)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DP.

REVERDY, Pierre (1889–1960) : "Tard dans la vie" (1960)

Je suis dur
Je suis ten­dre
Et j’ai per­du mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j’ai passé
J’ai trou­vé mon absence
Je ne suis nulle part
Excep­té le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place où la foudre a frap­pé trop sou­vent
Un cœur où chaque mot a lais­sé son entaille
Et d’où ma vie s’égoutte au moin­dre mou­ve­ment

Extrait de…
La lib­erté des mers (​1960)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil La lib­erté des mers (1960)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DP.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Tu as jeté sur moi…" (2014)

THONART, Patrick (né en 1961) : "L’Ours titube dans la Forêt…" (2014)

L’Ours titube dans la Forêt
Il a les yeux brûlés
Il marche dos à la clair­ière
Où il l’a vue pass­er

Poil momi­fié et ven­tre sec
Elle s’agitait ivre et malade
De ces baies noires
Trop fer­men­tées

Le cœur à sang il a hurlé
Gueule au zénith il a pleuré
Et chaque larme était une loupe
Que le Soleil a transper­cée

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non pub­lié (2014)

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Domaine pub­lic.

THONART, Patrick (né en 1961) : "L’Ours lève la truffe…" (2014)

L’ours lève la truffe
Au vent du matin inqui­et

Il sort la langue
Aux odeurs du print­emps trompeur

L’hiver a fon­du comme sa douleur passée
Et la riv­ière gon­fle des neiges liq­uides
Comme son corps aujourd’hui pal­pite
Des sangs nou­veaux et de l’appel d’amour

Ce matin la renarde a frôlé
De sa gorge dard­ée d’aubépine
Son dru pelage tout encore embrumé
Pour que son cœur retrou­ve racine

Pour­tant…

Pour­tant l’ours hume le vide
Dans sa cav­erne, les murs sont éraflés
De ses pattes trop lour­des – lour­des
De son ven­tre qu’il ne peut laiss­er chanter

Pour­tant l’ours craint le vide
Dans sa clair­ière, les pier­res sont dénudées
Du soleil gris qui les a raclées
Du regard vide des isolés

Pour­tant l’ours com­bat le vide
Dans sa forêt, les troncs l’attendent
Et leurs fûts droits mon­trent le sens
De la vie droite vers quoi ils ten­dent

Mais…

Le print­emps a men­ti :
Il n’était pas tout l’été

Alors, mon Amour,
Je mar­que le pas
Et j’attends le tien
Pour m’apaiser dans ton sein

Paru dans…
non pub­lié (2014)

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Qui avance de print­emps en tout temps vif (1982) © Chris­t­ian Dotremont – Karel Appel – MRBAB.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Le matin du Bon Jour…" (2014)

Le matin du Bon Jour
Il n’y aura plus rien
Rien que l’ours au soleil
Sur le dos
Et elle
En ten­dre char­rue
Qui creuse le creux de son flanc

Il y aura le pain chaud des peaux cuites
La can­nelle au nez
et
Le miel au ven­tre

Le matin du Bon Jour
Seuls les oiseaux
Racon­teront le monde

Le matin du Bon Jour
C’est le lent demain du Soir
Où elle posera sa valise
En souri­ant

Paru sur…
non pub­lié (2014)

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Pierre Alechin­sky, Soleil (1950).

THONART, Patrick (né en 1961) : "Pleurs" (2014)

De tout ce qui me sera demain
Je ne demande qu’un sein
A ma joue for­mé
Et de mes larmes baigné

Et je… l’enfant… y pleur­erai
Et la femme qui le porte
Je pour­rai enfin
Comme un homme
L’aimer

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non pub­lié (2014)

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : DOTREMONT, Chris­t­ian : Ques­tion insidi­aire (1978) © MRBAB.

THONART, Patrick (né en 1961) : "L’œil de l’Homme est dans le lac…" (2014)

THONART, Patrick (né en 1961) : "Les armoires alignées…" (2014)

Les armoires alignées,
dans la pièce occultée,
sont toutes si bien fer­mées.
Pour­tant, à tra­vers cha­cune,
fil­tre un ray­on de Lune :
les ser­rures ver­rouil­lées
finis­sent toutes par rouiller.

Dans la colle d’une queue d’aronde,
pois­sent les crins d’une bête immonde.
Der­rière le bahut,
dépasse la corde d’un pen­du.
Dans ce tiroir sans fond,
grouil­lent des araignées sans nom.
Au lieu de l’huile dans la charnière,
coule le fiel d’une goule amère.
Sur le fau­teuil défon­cé,
ce n’est pas l’ombre de ta psy­ché
mais le reflet d’une âme damnée.
Et le bruisse­ment dans les plac­ards,
ce sont tes morts et les cafards.

Les armoires alignées,
dans la pièce occultée,
sont toutes si bien fer­mées.
Pour­tant, à tra­vers cha­cune,
fil­tre un ray­on de Lune :
les ser­rures ver­rouil­lées
finis­sent toutes par rouiller.

Il n’y a pas de Juge­ment dernier,
il n’y a jamais assez de clefs.
On se croirait dans du Kaf­ka
sauf que ton Procès… c’est toi.
Alors, à plein doigts,
touche ton émoi
(juste sous le cœur),
et vis enfin ta vraie peur :
plonge les mains dans le cof­fre noir
et sors la vieille boîte à musique,
celle que tu pre­nais
pour un Géant d’Afrique.

Les armoires alignées,
dans la pièce occultée,
sont toutes si bien fer­mées.
Pour­tant, à tra­vers cha­cune,
fil­tre un ray­on de Lune :
les ser­rures ver­rouil­lées
finis­sent toutes par rouiller…

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © bob-wit.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Bohémien sans répit…" (2014)

THONART, Patrick (né en 1961) : "La larme de l’Ours l’avait trahi…" (2014)

La larme de l’ours l’avait trahi.

Débor­dée de son œil rou­gi,
elle allumait sa joue

de la lueur du feu nour­ri.

Dans sa cav­erne, dans son abri,
l’Ours brûlait le sapin inutile,

et le vent avait com­pris
tout le cha­grin de son ami.
“Une escar­bille, sans doute”,
dis­ait Mar­tin un peu con­trit.

Et le vent avait con­té,
la belle Dame ren­con­trée ;
tous les fastes et les flam­beaux
à chaque fenêtre du château,

alors que Mar­tin mar­chait,
Mar­tin mar­chait dans sa forêt.

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Pierre ALECHINSKY, Linolog I (1972)© MBAB.

THONART, Patrick (né en 1961) : "A la kermesse des notables…" (2014)

A la ker­messe des nota­bles,
Tout le monde se met à table.
Maître Héron au cou trop fin
Donne du jabot avec entrain.

Mais à la ker­messe des nan­tis,
Plus per­son­ne ne sourit
Et les regards sans vie
Se reflè­tent dans l’argenterie.

Maîtresse Renarde au cœur four­bu
Sent dans sa chair la vie per­due
De Cen­drillon qui pleure son dû
Au milieu des polkas de ven­trus.

Dans une clair­ière au ciel trop bas,
L’ours endeuil­lé fait les cent pas.
Dans une main du crêpe noir,
Dans l’autre, une fleur… Espoir

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Hen­ri EVENEPOEL, La prom­e­nade du dimanche au Bois de Boulogne (1899) © La Bover­ie.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Un jour viendra, couleur d’orange…" (2014)

Un jour vien­dra, couleur d’orange…

Appuyé con­tre son chêne
L’ours éteint sa pipe
Et ren­tre chang­er de slip
Lourde est son haleine
Et lourd est son pas

Si un jour ma Reine…
Non, il ne doit pas…

Chaque jour dans sa peine
L’ours à la riv­ière
Se rince les arrières
Souil­lés par la frousse
Qu’elle n’arrive pas

Si un jour ma Belle…
Non, il ne doit pas…

C’est mât de mis­aine
Quand le matin chante
Que l’ours joyeux bande
Et offre son ven­tre
Où elle peut s’asseoir

Si un jour ma Ten­dre…
Non, il ne doit pas…

Coudes sur le rocher
L’ours vise la trouée
Où l’herbe est couchée
Là elle est passée
Et elle l’a aimé

Si un jour ma Femelle…
Non, il ne doit pas…

Som­bre dans la cav­erne
L’ours racle son humeur
Une plaie au cœur
Cette airelle crevée
Qui ne se ferme pas

Si un jour mon Aimée…
Non, il ne doit pas…

Si,

Demain, dès l’aube
L’ours va pré­par­er
Chaque matin aux paupières sablées
Chaque moment où elle peut arriv­er
Chaque instant où il l’entendra
Chaque chant d’oiseau et sa joie
Chaque sourire qu’elle lui don­nera
Et tous les demains qu’il lui bâti­ra
De ses bras

Et l’ours fixe la clair­ière
En espoir d’amour
Qu’Elle œuvre tou­jours
A son Joyeux Retour

Chaque jour…

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Domaine pub­lic.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Quelque part dans la forêt…" (2011)

Quelque part dans la forêt,
Un ours se lèche une plaie,
Il s’est légère­ment blessé le flanc,
Sur un chemin qu’il con­nais­sait pour­tant.

Adossé au rocher, il sourit.

C’est au retour de l’amour,
Que, les yeux plein de son miel, à elle,
Il a lais­sé la branche mar­quer son ais­selle,
Pour tou­jours…

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non pub­lié (2014)

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Dotremont – Alechin­sky © MRBAB.

THONART, Patrick (né en 1961) : "C’est la nuit, c’est le marbre…" (2011)

C’est la nuit, c’est le mar­bre,
L’homme gît près de son arbre,
Un sang pois­seux voile ses yeux.
Du pas­sage de la Géante,
Lui reste une plaie béante.
La main du cœur
Est arrachée…

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : STEICHEN Edward, Pas­toral Moon­light (1907) © Musée d'Orsay.

MELAGE (10) : "1830" (1930)

1830

Ô som­met lumineux et rouge de l'histoire,
Que la postérité, d'un geste osten­ta­toire,
   Mon­tre à la fierté des enfants !
Quand le peuple~martyr en eut gravi le faîte,
Libre de tous les jougs, ivre de sa con­quête,
Quel délire sans fin sous les cieux tri­om­phants !

   Mais, ô Lib­erté, vierge altière !
   Pour tiss­er ta sainte ban­nière,
   Com­bi­en de siè­cles dépen­sés !
   Com­bi­en d'opiniâtres batailles,
   Com­bi­en, hélas ! de funérailles
   Et de cadavres entassés !

Après l'Espagne, après l'Autriche, après la France,
Qui sont les noms hon­nis de ta longue souf­france
   Voici le nom le plus hon­ni :
Les fils des vieux Croisés devien­dront des Bataves,
Le pays de Calvin forg­era des entrav­es
Pour ce peu­ple qu'il hait et qui lui fut uni !

   Subir ce tyran minus­cule !
   Eh bien ! non, c'est trop ridicule !
   Le pays qui fut le berceau
   Des Gode­froid, des Charle­magne,
   Qui doit vain­cre un jour l"Allemagne,
   Ne peut pas subir le Nas­sau.

Nous étions à Poitiers, à Nicée, à Pavie,
Notre épée arbi­tra les des­tins de l'Asie,
   Nos lions et nos lion­ceaux
De leur griffe ont gravé ces noms : Cour­trai, Lépante,
Et leur postérité, pour trem­bler d'épouvante,
Attend d'autres domp­teurs que les pâles Nas­saux.

   Guil­laume a tué la jus­tice,
   Mais voici que le précipice
   S'ouvre sous son pied, Dieu mer­ci!
   Le vol­can pop­u­laire fume,
   Et c'est ton geste qui l'allume,
   Ô Muette de Por­ti­ci!

Jours fameux de Sep­tem­bre ! exploits des bar­ri­cades,
Où se mêlent, bra­vant mitrailles, fusil­lades,
   Tous les rangs et tous les dra­peaux !
A moi ! La lib­erté retrou­ve enfin son glaive !
Les temps sont révo­lus ! elle vivra le rêve
Qui lui prit tant de fois son sang et son repos.

   Pour des com­bats cent con­tre mille,
   Défer­lent du champ, de la ville,
   Ouvri­ers, nobles et bour­geois,
   Et le Parc rav­agé fris­sonne
   Quand paraît la bande wal­lonne
   Et Char­li­er, la Jambe~de~bois.

Quinze mille héros hol­landais sont en fuite !
Merode et ses huit cents leur fer­ont une suite
   A tra­vers la gloire et la mort !
Deux ou trois points d'arrêt : Vieux-Dieu, Berchem et Lierre,
Et déjà le lion rugit à la fron­tière,
Tri­om­phal et sanglant, l'oeil fixé sur le Nord !

   Et des mil­lions de voix loin­taines,
   Echos des coteaux et des plaines,
   Clameur d'un grand peu­ple indomp­té,
   Clameur de joie et de démence,
   Jail­lisse­ment d'une âme immense,
   L'acclament dans l'immensité.

Les cités, les hameaux, les vieilles citadelles,
Les clochers, les pignons, les don­jons, les tourelles,
   Orgueilleux de ces flo­raisons,
Bran­dis­sent dans le vent leurs dra­peaux tri­col­ores
Qui chantent, procla­mant les nou­velles aurores,
Chantent leur hymne alti­er à tous les hori­zons.

   L'Europe a par­lé d'équilibre:
   C'est bien, mais la Bel­gique est libre,
   Libre de suiv­re ses des­tins !
   Son esquif, armé d'endurance,
   Appareille vers l'espérance
   Des bon­heurs proches et loin­tains,

Salut, obscurs sol­dats de la lutte héroïque !
Le dernier d'entre vous, indompt­able, stoïque,
   Met sur nos fronts de la fierté !
Et c'est pourquoi vos fils seront unis quand même
Pour défendre sans fin le sanglant diadème
Qui couronne depuis cent ans la Lib­erté.

MÉLAGE (F.). L’âme belge. Poèmes pour le cen­te­naire. Carls­bourg, Édi­tion de la revue belge de péd­a­gogie, 1930 ; in‑4, 60 pp., broché, cou­ver­ture rem­pliée. Avec les illus­tra­tions du F. Mabin-Joseph.

"F." sig­ni­fie ici "Frère" : Les Frères des Ecoles Chré­ti­ennes (au Con­go depuis 1910) comp­tait en leur rang le frère Mélage, pre­mier biographe du frère Mutien-Marie (1841–1917), canon­isé par l'église catholique (30 jan­vi­er).

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | con­tribu­teur : Patrick Thonart.