ESSAKER, Tarek (né en 1958) : "Ô amour…" (2024)

Ô amour
au vœu du chemin
donne de la voix
désigne-moi la bouche de l'enfer
nomme la colère de tes fugues
Com­bi­en faut-il de nuit
pour que chaque res­pi­ra­tion
déploie ses désirs
défasse ses redon­dances dom­i­nantes
et devi­enne débar­cadère
d’insurrection
et de désobéis­sance ?

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De l'idée de l'Être (à paraître)

 

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Tarek Essak­er | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Karel Logist présen­tant Tarek Essak­er au Blues-Sphere de Liège en 2023 © Patrick Thonart.

BOUMAL, Louis (1890–1918) : "Lorsque tu recevras…" (1917)

Lorsque tu recevras des let­tres de l'absente
Et que tu souri­ras d'un air sim­ple­ment triste,
On dira que ton cœur s'accoutume à l'attente
Et que ton dés­espoir est un regret d'artiste.

Et lorsqu'on te ver­ra, selon ton habi­tude,
Assis dans l'herbe à lire au cœur d'un ancien livre,
On croira que tu tiens à la douceur de vivre
Et qu'un puis­sant orgueil peu­ple ta soli­tude.

Mais toi, ne réponds rien. Garde au fond de toi-même,
En ta fierté voulue et ta rancœur con­trainte,
Avec l'arrachement de la dernière étreinte,
La cen­dre d'un amour que chante ton poème.

 

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Écrits de guerre (1914–1918), (Archives & Musée de la lit­téra­ture, 2018)

 

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ELUARD, Paul (1895–1952) : "Ma morte vivante" (1947)

Dans mon cha­grin, rien n’est en mou­ve­ment
J’attends, per­son­ne ne vien­dra
Ni de jour, ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même

Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils per­dent leur con­fi­ance, ils per­dent leur lumière
Ma bouche s’est séparée de ta bouche
Ma bouche s’est séparée du plaisir
Et du sens de l’amour, et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains lais­sent tout échap­per
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n’avanceront plus, il n’y a plus de route
Ils ne con­naîtront plus mon poids, ni le repos

Il m’est don­né de voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pou­voir
Que j’ai crue infinie

Et l’avenir mon seul espoir c’est mon tombeau
Pareil au tien cerné d’un monde indif­férent
J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres

Extrait de…
Le temps débor­de (1947, posth. 1963)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Le temps débor­de (1947)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : centre-pompidou.fr.

RENARD, Colette (1924–2010) et al. : "Les nuits d'une demoiselle" (1963)

Que c'est bon d'être demoi­selle
Car le soir, dans mon petit lit
Quand l'étoile Vénus étin­celle
Quand douce­ment tombe la nuit

Je me fais sucer la frian­dise
Je me fais caress­er le gar­don
Je me fais empeser la chemise
Je me fais picor­er le bon­bon

Je me fais frot­ter la pénin­sule
Je me fais bélin­er le joy­au
Je me fais rem­plir le vestibule
Je me fais ramon­er l'abricot

Je me fais far­cir la mot­telette
Je me fais cou­vrir le rigon­do­nne
Je me fais gon­fler la mou­flette
Je me fais don­ner le picotin

Je me fais lamin­er l'écrevisse
Je me fais foy­er le cœur fendu
Je me fais tailler la pelisse
Je me fais planter le mont velu

Je me fais bri­quer le casse-noisettes
Je me fais mamour­er le bibelot
Je me fais sabr­er la sucette
Je me fais reluire le berlin­got

Je me fais gauler la mignardise
Je me fais rafraîchir le tison
Je me fais grossir la cerise
Je me fais nour­rir le héris­son

Je me fais chevauch­er la chosette
Je me fais cha­touiller le bijou
Je me fais bricol­er la cli­quette
Je me fais gâter le matou

Mais vous me deman­derez peut-être
ce que je fais le jour durant
Oh, cela tient en peu de let­tres, le jour,
je baise, tout sim­ple­ment

Extrait de…
Disque La foraine (1963)
Chan­son et paroles disponibles sur youtube.com…

La chan­son est une com­po­si­tion col­lec­tive de Colette RENARD, Guy BRETON et Ray­mond LEGRAND.

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : disque La foraine (1963) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © purepeople.com.

RUTEBEUF (1230?-1280) : "Que sont mes amis devenus" (n.d.)

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ven­tait devant ma porte
Les empor­ta

Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pau­vreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne con­vient pas que vous racon­te
Com­ment je me suis mis à honte
En quelle manière

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu

Pau­vre sens et pau­vre mémoire
M'a Dieu don­né, le roi de gloire
Et pau­vre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ven­tait devant ma porte
Les empor­ta.

Extrait de…
Oeu­vres com­plètes (2001)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Rute­beuf, Oeu­vres com­plètes  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DP.

PREVERT, Jacques (1900–1977) : "Cet amour" (1946)

Cet amour
Si vio­lent
Si frag­ile
Si ten­dre
Si dés­espéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mau­vais comme le temps
Quand le temps est mau­vais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Trem­blant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tran­quille au milieu de la nuit
Cet amour qui fai­sait peur aux autres
Qui les fai­sait par­ler
Qui les fai­sait blémir
Cet amour guet­té
Parce que nous le guet­tions
Traqué blessé piét­iné achevé nié oublié
Parce que nous l’avons traqué blessé piét­iné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleil­lé
C’est le tien
C’est le mien
Celui qui a été Cette chose tou­jours nou­velles
Et qui n’a pas changé
Aus­si vraie qu’une plante
Aus­si trem­blante qu’un oiseau
Aus­si chaude aus­si vivante que l’été
Nous pou­vons tous les deux
Aller et revenir
Nous pou­vons oubli­er
Et puis nous ren­dormir
Nous réveiller souf­frir vieil­lir
Nous endormir encore
Rêver à la mort
Nous éveiller sourire et rire
Et raje­u­nir
Notre amour reste là
Têtu comme une bour­rique
Vivant comme le désir
Cru­el comme la mémoire
Bête comme les regrets
Ten­dre comme le sou­venir
Froid comme le mar­bre
Beau comme le jour
Frag­ile comme un enfant
Il nous regarde en souri­ant Et il nous par­le sans rien dire
Et moi j’écoute en trem­blant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te sup­plie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s’aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne con­nais pas
Reste là
Là où tu es
Là où tu étais autre­fois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t’en va pas
Nous qui sommes aimés
Nous t’avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n’avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beau­coup plus loin tou­jours
Et n’importe où
Donne-nous signe de vie
Beau­coup plus tard au coin d’un bois
Dans la forêt de la mémoire
Sur­gis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous.

Extrait de…
Paroles (1946)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Paroles (1946) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : DOISNEAU Robert, Le Bais­er de l'Hôtel de Ville, Paris 1950 © Robert Dois­neau / Edi­tions Racine.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Christiane part, comme par Henri" (2024)

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as vécu cachée,
comme une pen­sée
au pied du tour­nesol.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as chan­té colère,
comme un moineau
face aux cor­beaux.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as marché cassée,
comme le jonc brisé
dans trop de tem­pêtes.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as aimé goulu,
comme la grenouille
au pied du bœuf.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as fêté la nuit,
mal­gré les rats
quand ils débor­daient.

De la fleur blanche
à la rose rouge,
tu as aimé les tiens,
comme le rami­er
les bour­geons petits.

Mais, quand l'horizon
a frap­pé à la porte,
tu as pris con­gé,
comme la fleur blanche
qui se retire…

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non pub­lié (2024), écrit à l'occasion de la dis­pari­tion de Chris­tiane Ste­fan­s­ki, le 6 mai 2024, par­tie le même jour que le paroli­er-con­teur Hen­ri Gougaud.

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Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Chris­tiane Ste­fan­s­ki.

PREVERT, Jacques (1900–1977) : "Alicante" (1946)

Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie.

Extrait de…
Paroles (1946)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Paroles (1946) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : MATISSE Hen­ri, Nature morte à la dormeuse © suc­ces­sion Matisse / Nation­al Gallery of Art de Wash­ing­ton.

WOUTERS, Liliane (1930–2016) : "La fille d'Amsterdam" (1983)


Elle avait dit : « En Ams­ter­dam
nous ne vivrons qu'une aven­ture,
Je n'y lais­serai pas mon âme.
Amour tou­jours jamais ne dure. »

Hélas ! Je ne la croy­ais pas.
Sous les pignons à cols, à cloches,
quand se mêlaient nos mains, nos pas,
quand j'espérais, dur comme roche.

L'eau verte suiv­ant son chemin
aurait dû me dire : « Tout passe. »
Mais je ne sen­tais que sa main
ser­rant la mienne dans l'impasse.

Ams­ter­dam suait ses bor­dels
et ses putains aux cuiss­es fortes
tan­dis que je mar­chais près d'elle
sans présager nos amours mortes.

Peine plus dure que le dam
et sel des larmes que je pleure,
pour cette fille d'Amsterdam
que ne don­nerais-je à cette heure ?

Les cloches de Saint-Nico­las,
le quai aux plantes les dix mille
pilo­tis de la gare et la
riv­ière Ams­tel, avec ses îles.

C'était un jour du mois de mai.
Elle me dis­ait : « Rien ne dure. »
Moi je pen­sais que je l'aimais
beau­coup trop pour une aven­ture.

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recueil L'aloès (Luneau Ascot, 1983)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil L'aloès (1983) | con­tribu­teur : Karel Logist

LISON-LEROY, Françoise (née en 1951) : "C'est pas un jeu" (2008)

Elle fait le ménage chez un cou­ple dont elle aime l'homme, en secret. C'est la femme qui la paie après la tasse de café partagée. Elle a volé une pho­to de lui, une clé de sa moto, quelques enveloppes à son nom.

Ce matin elle saisit un cheveu bouclé dans le lavabo, le glisse dans sa boîte à tré­sors. Ren­trée chez elle, elle fera l'inventaire des trou­vailles, depuis le pre­mier revolver.

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recueil C'est pas un jeu (2008)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil C'est pas un jeu (2008) | con­tribu­teur : Karel Logist | crédits illus­tra­tions : © Serge Lison.

DELAIVE, Serge (né en 1965) : "Peser l'aube" (2022)

Peser l'aube

Amour com­bi­en pèse l'aube
ce matin où elle incendie
tes iris à peine éveil­lés
lunes d'eau ambrées qui dilu­ent
ton corps et ses per­fec­tions de fes­tin
dans les par­tic­ules char­nues de lumière
arrimées à la brise nénuphar

Amour com­bi­en pèse l'aube
ce matin sur les brais­es
de mon implaca­ble soli­tude
que solid­i­fient mon ven­tre et mes entrailles
rongés par un rat aux dents jaunes
sous les travées lour­des de lumière
aus­si menaçantes que le futur

Amour com­bi­en pèse l'aube
ce matin quand je défie le miroir
qui te retient ou t'efface
sur sa sur­face ocre et sans tain
selon la con­stel­la­tion que tu favoris­eras
une source uni­voque de lumière
m'assignant à la nausée des ape­san­teurs.

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recueil Lacu­naires (2022)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Lacu­naires (2022) | con­tribu­teur : Karel Logist | Pho­to de cou­ver­ture par Serge Delaive.

NOAILLES, Anna de – (1876–1933) : "Parfois, quand j’aperçois mon flamboyant visage" (1924)

Par­fois, quand j’aperçois mon flam­boy­ant vis­age,
Lorsqu’il vient d’échapper à ta bouche et tes doigts,
Je ne recon­nais pas cette exul­tante image,
Et je con­tem­ple avec un déférent effroi

Cette beauté que je te dois !

Comme de bleus raisins mes noirs cheveux oscil­lent,
Ma joue est écar­late et mon œil qui jubile
mêle à sa calme joie un tri­om­phant main­tien ;
Je n’ai vu ce regard floris­sant et païen

Que chez les chèvres de Sicile !

Moment fier et sacré où, sevré de désir,
Mon cœur médi­tatif dans l’espace con­tem­ple
La seule vérité, dont nous sommes le tem­ple ;
Car que peut-il rester dans le monde à saisir
Pour ceux qui, pos­sé­dant leur univers ensem­ble,

Ont mis l’honneur dans le plaisir ?

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Poème de l'amour (1924)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Poème de l'amour (1924) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © bythe­lake.

ARAGON, Louis (1897–1982) : "Que la vie en vaut la peine" (1954)

C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bon­heur ces midi d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes

Rien n’est si pré­cieux peut-être qu’on le croit
D’autres vien­nent
Ils ont le cœur que j’ai moi-même
Ils savent touch­er l’herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s’éteignent des voix

D’autres qui refer­ont comme moi le voy­age
D’autres qui souriront d’un enfant ren­con­tré
Qui se retourneront pour leur nom mur­muré
D’autres qui lèveront les yeux vers les nuages

Il y aura tou­jours un cou­ple frémis­sant
Pour qui ce matin-là sera l’aube pre­mière
Il y aura tou­jours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le pas­sant

C’est une chose au fond que je ne puis com­pren­dre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n’était pas assez mer­veilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si ten­dre

Oui je sais cela peut sem­bler court un moment
Nous sommes ain­si faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n’est qu’un com­mence­ment

Mais pour­tant mal­gré tout mal­gré les temps farouch­es
Le sac lourd à l’échiné et le cœur dévasté
Cet impos­si­ble choix d’être et d’avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche

Mal­gré la guerre et l’injustice et l’insomnie
Où l’on porte rongeant votre cœur ce renard
L’amertume et
Dieu sait si je l’ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie

Mal­gré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les mon­strueuses raisons
Qu’on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu’on aime et de ce qu’on croit un mar­tyre

Mal­gré les jours mau­dits qui sont des puits sans fond
Mal­gré ces nuits sans fin à regarder la haine
Mal­gré les enne­mis les com­pagnons de chaînes
Mon Dieu mon
Dieu qui ne savent pas ce qu’ils font

Mal­gré l’âge et lorsque soudain le cœur vous flanche
L’entourage prêt à tout croire à don­ner tort
Indif­fèrent à cette chose qui vous mord
Sim­ple his­toire de pren­dre sur vous sa revanche

La cru­auté générale et les saloperies
Qu’on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Mal­gré ce qu’on a pen­sé souf­fert les idées folles
Sans pou­voir soulager d’une injure ou d’un cri

Cet enfer
Mal­gré tout cauchemars et blessures
Les sépa­ra­tions les deuils les cam­ou­flets
Et tout ce qu’on voulait pour­tant ce qu’on voulait
De toute sa croy­ance imbé­cile à l’azur

Mal­gré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je par­le ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que mer­ci
Je dirai mal­gré tout que cette vie fut belle

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Les yeux et la mémoire (1954)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Les yeux et la mémoire (1954)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © pho­to kipa.

SORTET, Gaëtan (né en 1974) : "Les feuilles et les rires s'envolent, je crois…" (2023)

Les feuilles et les rires s'envolent, je crois. La cloche sonne, je crois. J'aime bien croire. Je crois ain­si que je croîs.

C'est la messe en si. Si la tour de Pise était droite. Si les paris sportifs étaient en bouteille. Si maman scie.

Je dors tou­jours sur le dos. C'est une manière de pro­téger mes arrières… pen­sées.

Tu sais, j'aime bien ton hon­nêteté. Même si je ne t'y oblige pas. Mais j'aime bien.

Tu dois être ren­trée main­tenant. Ou pas pas pas pas pas pas pas. Ou pas pas pas.

Un jour, j'irai à New Del­hi avec toi.

On y mangera un Dal makhani.

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inédit (2023)

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LECLERCQ, Pascal (né en 1975) : "J'ai mis l'été sur la banquette arrière…" (2018)

     J'ai mis l'été sur la ban­quette arrière, avec un saucis­son, une bouteille à peine entamée de whisky, un demi bac de bière, puis j'ai lancé l'auto sur la route des Ardennes, jusqu'au vil­lage où je l'ai ren­con­trée quelques années plus tôt – elle por­tait l'habit tra­di­tion­nel, jupe longue, busti­er de gitane, un voile de tulle anthracite cachait son vis­age à hau­teur des lèvres.
Au bout de trois canettes, je me suis couché ten­drement sous elle, la fer­me­ture éclair de sa robe imprimée ouverte à mes caress­es ; au bout de six, elle avait dis­paru, me lais­sant seul avec les charmes et les ormes du pré du père Gal­lé. J'ai bu encore, des coups de gnôle entre­coupés de chopes.
Au réveil, mon crâne avait la dureté d'une cage et mon cerveau bat­tait sur ses bar­reaux, furieux d'avoir été piégé. Je me suis sou­venu de ses doigts qui pas­saient pour des pétales et guéris­saient, rien qu'en les effleu­rant, mes joues. Puis le vent s'est mis à souf­fler.

Paru dans…
recueil Analyse de la men­ace (2018)

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BAUDELAIRE, Charles (1821–1867) : "La vie antérieure" (1855)

J’ai longtemps habité sous de vastes por­tiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basal­tiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solen­nelle et mys­tique
Les tout-puis­sants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C’est là que j’ai vécu dans les volup­tés calmes,
Au milieu de l’azur, des vagues, des splen­deurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs,

Qui me rafraîchis­saient le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me fai­sait lan­guir.

Extrait de…
Les fleurs du mal (1855)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Les fleurs du mal (1855)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DR.

ARAGON, Louis (1897–1982) : "Les mains d'Elsa" (1963)

Donne moi tes mains pour l’inquiétude
Donne moi tes mains dont j’ai tant rêvé
Dont j’ai tant rêvé dans ma soli­tude
Donne moi tes mains que je sois sauvé
Lorsque je les prends à mon pro­pre piège
De paume et de peur de hâte et d’émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fond de partout dans mes mains à moi
Sauras tu jamais ce qui me tra­verse
Ce qui me boule­verse et qui m’envahit
Sauras tu jamais ce qui me transperce
Ce que j’ai trahi quand j’ai tres­sail­li
Ce que dit ain­si ce pro­fond lan­gage
Ce par­ler muet de sens ani­maux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d’aimer qui n’a pas de mots
Sauras tu jamais ce que les doigts pensent
D’une proie entre eux un instant tenue
Sauras tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura con­nu d’inconnu
Donne moi tes mains que mon coeur s’y forme
S’y taise le monde un moment
Donne moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éter­nelle­ment

Extrait de…
Le fou d’Elsa (1963)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Le fou d’Elsa (1963)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Elsa et Louis © radiofrance.fr/franceculture.

YOURCENAR, Marguerite (1903–1987) : "Vous ne saurez jamais que votre âme voyage" (1984)

Vous ne saurez jamais que votre âme voy­age
Comme au fond de mon cœur un doux cœur adop­té
Et que rien, ni le temps, d’autres amours, ni l’âge
N’empêcheront jamais que vous ayez été ;

Que la beauté du monde a pris votre vis­age,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que le lac pen­sif au fond du paysage
Me red­it seule­ment votre sérénité.

Vous ne saurez jamais que j’emporte votre âme
Comme une lampe d’or qui m’éclaire en marchant ;
Qu’un peu de votre voix a passé dans mon chant.

Doux flam­beau, vos rayons, doux brasi­er, votre flamme
M’instruisent des sen­tiers que vous avez suiv­is,
Et vous vivez un peu puisque je vous survis.

Paru sur…
Les char­ités d’Alcippe (1984)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Terre d'Âmes (2023) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © OZKOK SIPA.

JUARROZ, Roberto (1925–2021) : "Comment comprendre l’espace…" (1958)

Com­ment com­pren­dre l’espace
qui me sépare de l’arbre,
si son écorce des­sine les lignes
qui man­quent à ma pen­sée.

Com­ment com­pren­dre la par­en­thèse
qui va du nuage à mes yeux,
si les fig­ures du vent
délient le temps ser­ré de ma petite his­toire ?

Com­ment com­pren­dre le cri pétri­fié
qui gèle toutes les paroles du monde,
si de même qu’il n’est qu’un seul silence
il n’est au fond qu’une seule parole ?

Je ne com­prends pas la dis­tance.
L’ultime preuve en est l’espace absurde
qui sépare en deux vies
ton exis­tence et la mienne.

Paru dans…
Poésie ver­ti­cale (1958)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Poésie ver­ti­cale (1958) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © José Cor­ti.

ELUARD, Paul (1895–1952) : "Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres…" (1926)

Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres,
Nos silences, nos paroles,
La lumière qui s’en va, la lumière qui revient,
Un seul sourire pour nous deux,
Par besoin de savoir, j’ai vu la nuit créer le jour sans que nous chan­gions d’apparence,
Ô bien-aimé de tous et bien-aimé d’un seul,
En silence ta bouche a promis d’être heureuse,
De loin en loin, ni la haine,
De proche en proche, ni l’amour,
Par la caresse nous sor­tons de notre enfance,
Je vois de mieux en mieux la forme humaine,
Comme un dia­logue amoureux, le cœur ne fait qu’une seule bouche
Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser,
Les sen­ti­ments à la dérive, les hommes tour­nent dans la ville,
Le regard, la parole et le fait que je t’aime,
Tout est en mou­ve­ment, il suf­fit d’avancer pour vivre,
D’aller droit devant soi vers tout ce que l’on aime,
J’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumière,
Si tu souris, c’est pour mieux m’envahir,
Les rayons de tes bras entrou­vraient le brouil­lard.

Extrait de…
(pré­ten­du­ment) Cap­i­tale de la douleur (1926)

Et dans wallonica.org, pour con­naître la vérité sur ce poème…

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : pré­ten­du­ment, recueil Cap­i­tale de la douleur (1926)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : l’en-tête mon­tre une pho­to de Hanne Karin Bay­er, dite Anna Kari­na (1940–2019) dans le film Alphav­ille © N.I..

LEOTARD, Philippe (1940–2001) : "Je rêve que je dors" (1996)

Je voudrais te par­ler encore
Mais voilà que tu t’endors
Tu sais
Tu par­les en dor­mant
Pas avec moi
Mais par­fois même tu ris
Ou tu chantes
Alors moi j’attends
Dans les phras­es, les mots absents
L’illumination ter­ri­ble
D’un son d’une mer­veille
Et je dis encore je t’aime
Mais c’est pour laiss­er mon souf­fle
Traîn­er dans tes cheveux
Tu souris en rêve
Tu dors
Oh peut-être qu’il ne faut pas
Trop sou­vent dire je t’aime
Oui, c’est comme vouloir s’assurer
Du cœur et des bais­ers
Douter de soi-même
Pour­tant je con­tin­ue
Je te le dis encore : je t’aime
Je veux encore par­ler
Mais voilà que tu t’endors
Alors
Je rêve que je dors

Extrait de…
album Je rêve que je dors (1996)

Et dans wallonica.org…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : album Je rêve que je dors (1996)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Jean-Louis / Gam­ma-Rapho.