JACQUES, Lucien (1898–1961) : "Je crois en l’homme, cette ordure…" (1953)

Je crois en l’homme, cette ordure,
je crois en l’homme, ce fumi­er,
ce sable mou­vant, cette eau morte ;

je crois en l’homme, ce tor­du,
cette vessie de van­ité ;
je crois en l’homme, cette pom­made,
ce grelot, cette plume au vent,
ce boute­feu, ce fouille-merde ;
je crois en l’homme, ce lèche-sang.

Mal­gré tout ce qu’il a pu faire
de mor­tel et d’irréparable,
je crois en lui,
pour la sûreté de sa main,
pour son goût de la lib­erté,
pour le jeu de sa fan­taisie,

pour son ver­tige devant l’étoile,
je crois en lui
pour le sel de son ami­tié,
pour l’eau de ses yeux, pour son rire,
pour son élan et ses faib­less­es.

Je crois à tout jamais en lui
pour une main qui s’est ten­due.
Pour un regard qui s’est offert.
Et puis surtout et avant tout
pour le sim­ple accueil d’un berg­er.

Extrait de…
Tombeau d’un berg­er (1953)

Et dans wallonica.org…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Tombeau d’un berg­er (1953)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Société des amis de Lucien Jacques.

WOUTERS, Liliane (1930–2016) : "À l’enfant que je n’ai pas eu…" (1997)

À l’enfant que je n’ai pas eu
mais que d’un homme je reçus
sep­tante fois sept fois et davan­tage, à l’enfant sage
dont je for­mai le souf­fle et le vis­age
sept fois sep­tante fois, dans un ven­tre pareil
au mien, par des nuits rouges de soleil,
par des jours cristallins d’aurore boréale,
à l’enfant dont je porte en moi les ini­tiales
secrètes, ain­si que ton nom, Yahvé,
enfant conçu, tou­jours inachevé,
qu’on me fait, que je fais, à chaque fois que j’aime,
qui se défait en moi pour don­ner un poème,
à l’enfant qui ne vien­dra pas
clore mes yeux, choisir l’ultime drap,
marcher der­rière mon poids d’os, de cen­dres,
me regarder dans la fos­se descen­dre,
à cet enfant je lègue devant Dieu, devant
les hommes et mon chien, devant le jour vivant
(qui n’est que parce que je suis et qui mour­ra
comme je meurs) je lègue, pour autant que se pour­ra,
pour autant qu’il en fasse usage en lieu et place
de moi, ses père et mère en un seul être pris,
je lègue tous mes biens de chair, d’esprit,
de temps tou­jours comp­té et d’illusoire espace :

le coin de ciel que j’ai scruté en vain,
l’arpent de terre où j’usai mes semelles,
les qua­tre murs entre quoi je me tins,
les six cloi­sons qui leur seront jumelles;
l’argent qui m’est entre les doigts filé
— pour le plaisir que j’eus à le répan­dre —,
le faux savoir qu’on me crut refiler
— pour le bon­heur d’aussitôt dés­ap­pren­dre — ;

les jours passés que je n’ai pas vécus,
les jours vécus près desquels suis passée,
le temps mor­tel à quoi j’ai survécu,
l’heure éter­nelle et pour­tant effacée ;

l’amour jeté dont j’ignorais le prix,
l’amour don­né à qui ne sut le ren­dre,
l’amour offert qu’aussitôt je repris,
l’amour per­du qu’on voit dehors atten­dre.

À l’enfant que je n’ai pas eu,
que pour­tant j’ai, de ma semence
for­mé, dedans ma chair conçu,
dont chaque étreinte par­fait l’existence,
à cet enfant je lègue pour le mieux mais surtout pour
le pire, ce que m’a prêté le jour :

le moi dont à crédit je fais usage
à des taux qui dépassent mes moyens,
dont je n’ai pu choisir ni le vis­age,
ni le sexe (il faut pren­dre ce qui vient) :

un cerveau creux dans une tête pleine,
un corps trop mou sur des os trop puis­sants,
un sang trop vif pour une courte haleine,
un cœur trop doux pour ce furieux sang,

des pieds qui n’ont soulevé que pous­sière,
des bras sur­pris d’avoir étreint le vent,
des genoux pris au piège des prières,
des mains restant vides comme devant;

des yeux fer­més sur un côté des choses,
— cette moitié qui fait à tous défaut —,
des yeux ouverts sous leurs paupières clos­es
et dans le noir voy­ant plus qu’il n’en faut.

À l’enfant que je n’ai pas eu
je lègue enfin, pour qu’il en tienne
bien compte, pour qu’il s’en sou­vi­enne
par con­tu­mace, lorsque sera décousu
l’ourlet de mon pas­sage sur l’étoffe anci­enne :

les quinze choses que jamais je n’ai pu faire :
courber le front devant plus grand que moi,
marcher sur plus petit, mon­tr­er du doigt,
crier avec la foule, ou bien me taire,
recon­naître par­mi les Blancs le Noir,
choisir dix justes, nom­mer un coupable,
trou­ver telle atti­tude con­ven­able,
lire un autre que moi dans les miroirs,
con­juguer l’amour à plusieurs per­son­nes,
résis­ter à la ten­ta­tion, bless­er exprès,
rester dans l’indécis, dire Cam­bronne
au lieu de merde, qui est plus français.

Paru dans…
Tous les chemins con­duisent à la mer (1997)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Tous les chemins con­duisent à la mer (1997) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © rtbf.be.

ORBAN, Joseph (1957–2014) : "Ce sont les derniers trains…" (1989)

Ce sont les derniers trains,
ce sont les dernières pluies.
Déjà tout dis­paraît.
Une dernière fois,
je ferme la fenêtre.
La cham­bre n’a plus d’odeur et
j’ai éteint le feu.
Je deviens l’invisible,
le bleu sur fond de ciel.
Rester.
Par­tir.
Ni s’incruster.
Ni fuir.

Paru dans…
L’invisible, le bleu (1989)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : L’invisible, le bleu (1989) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Max Carnevale – emulation-liege.be.

JACQMIN, François (1929–1992) : "D’aucuns…" (1990)

D’aucuns utilisent le traîneau. D’autres,
leurs fac­ultés intel­lectuelles.
Dans les deux cas,
on passe légère­ment sur les choses.
On dérange
quelques finess­es au pas­sage.
Puis,
réti­cente à toute trace durable, la neige se ravise.
Tout n’aura été
qu’une prob­lé­ma­tique de la sur­face.

Paru sur…
Le livre de la neige (1993)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Le livre de la neige (Espace Nord, rééd. 2016) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © lesoir.be.

ELIOT, Thomas Steams (1888–1965) : "Mercredi des cendres" (1930, trad. C. Pagnoulle)

I. PARCE QUE N’AI ESPOIR DE TOURNER ENCORE

Parce que n’ai espoir de tourn­er encore
Parce que n’ai espoir
Parce que n’ai espoir de tourn­er

Désir­ant le tal­ent de celui-ci la vision de celui-là
Je ne tends plus à ten­dre vers ces choses
(Pourquoi l’aigle vieil­li étir­erait-il les ailes ?)
Pourquoi regret­terais-je
Le pou­voir dis­paru du règne d’ici-bas ?

Parce que je n’ai espoir de con­naître encore
La gloire infirme de l’heure pos­i­tive
Parce que je ne pense pas
Parce que je savais que je ne saurai point
Le seul véri­ta­ble pou­voir tran­si­toire
Parce que je ne peux boire
Là où fleuris­sent les arbres, où coulent les sources, car il n’y a plus rien

Parce que je sais que le temps est tou­jours le temps
Et le lieu tou­jours et seule­ment le lieu
Et que ce qui est ne l’est que pour un temps
Et seule­ment pour un lieu
Je me réjouis que les choses soient ce qu’elles sont et
Je renonce au vis­age bien­heureux
Et renonce à la voix
Parce que n’ai espoir de tourn­er encore
Par con­séquent je me réjouis, devant me con­stru­ire de quoi
Me réjouir

Et prie Dieu de pren­dre pitié de nous
Et prie de pou­voir oubli­er
Ces ques­tions qu’en moi-même je trop débats
Trop explique
Parce que n’ai espoir de tourn­er encore
Que ces mots répon­dent
De ce qui est fait, n’est plus à faire
Que le juge­ment ne soit pas trop sévère

Parce que ces ailes ne sont plus ailes pour vol­er
Rien que van­neaux pour éven­ter
Un air désor­mais sec et étriqué
Plus sec et plus étriqué que la volon­té
Enseigne-nous l’engagement dégagé
Enseigne-nous la patience.

Priez pour nous pau­vres pécheurs main­tenant et à l’heure de notre mort
Priez pour nous main­tenant et à l’heure de notre mort.

II. DAME, TROIS LÉOPARDS BLANCS ÉTAIENT ASSIS SOUS UN GENÉVRIER

Dame, trois léopards blancs étaient assis sous un genévri­er
Dans la fraîcheur du jour, repus
De mes jambes mon cœur mon foie et ce qui était con­tenu
Dans le creux de mon crâne. Et Dieu dit
Ces os vivront-ils ? faut-il que ces
Os vivent ? Et ce qui était con­tenu
Dans les os (qui étaient déjà secs) répon­dit d’une petite voix :
Grâce à la bon­té de cette Dame
Et grâce à sa beauté, et parce qu’elle
Hon­ore la Vierge en médi­ta­tion,
Nous resplendis­sons. Et moi qui suis ici dis­per­sé
Je voue mes gestes à l’oubli, et mon amour
À la postérité du désert et au fruit de la gourde.
C’est là ce qui reçoit
Mes entrailles l’attache de mes yeux et les por­tions indi­gestes
Que rejet­tent les léopards. La Dame s’est retirée
En robe blanche, en con­tem­pla­tion, en robe blanche.
Que la blancheur des os expi­ent jusqu’à l’oubli.
Il n’y a pas de vie en eux. Comme je suis oublié
Et veux être oublié, de même je veux oubli­er
Ain­si con­sacré, con­cen­tré dans un but. Et Dieu dit
Prophé­tise au vent, rien qu’au vent car seul
Le vent écoutera. Et les os chan­tèrent d’une petite voix
Sous le fardeau de la sauterelle, pour dire

Dame des silences
Calme et désolée
Déchirée et entière
Rose de la mémoire
Rose de l’oubli
Épuisée et généreuse
Soucieuse sere­ine
La Rose unique
Est désor­mais le Jardin
Où finis­sent tous les amours
Se ter­mine le tour­ment
De l’amour insat­is­fait
Le tour­ment plus grand
De l’amour sat­is­fait
Fin de l’infini
Voy­age vers nulle fin
Con­clu­sion de tout ce qui ne peut
Se con­clure
Parole sans mot et
Mot sans parole
Grâce soit ren­due à la Mère
Pour le Jardin
Où finis­sent tous les amours.

Sous un genévri­er les os chan­taient, éparpil­lés et resplendis­sant
Nous sommes heureux d’être éparpil­lés, nous ne nous sommes guère entre-aidés,
Sous un arbre dans la fraîcheur du jour, avec la béné­dic­tion du sable,
S’oubliant eux et les autres, unis
Dans le silence du désert. Voici la terre que vous vous
Partagerez. Et ni divi­sion ni unité
N’a d’importance. Voici la terre. Nous avons notre héritage.

III. AU PREMIER COUDE DE LA DEUXIÈME VOLÉE

Au pre­mier coude de la deux­ième volée
Je me retourne et vois plus bas
La même forme penchée
Dans la vapeur d’un air vicié
Aux pris­es avec le dia­ble des escaliers dis­simulé
Sous le masque fourbe d’espoir et dés­espoir.
Au sec­ond coude de la deux­ième volée

Je les ai lais­sés s’entre-déchirer ;
Il n’y avait plus de vis­ages, l’escalier était obscur,
Humide, plein de trous, comme la bouche radotante d’un vieil­lard, irré­para­ble,
Ou la gueule d’un requin sur le retour.

Au pre­mier coude de la troisième volée
Il y avait une fenêtre arrondie comme le fruit du figu­ier
Et par-delà des fleurs d’aubépine et une scène pas­torale
Le per­son­nage bien bâti habil­lé de bleu et de vert
Enchan­tait le joli mai d’un air de flûte.
Les cheveux au vent sont doux, cheveux bruns que le vent rabat sur la bouche,
Lilas et cheveux au vent ;
Dis­trac­tion, musique de flûte, paus­es et pas du men­tal sur la troisième volée,
Qui s’efface, s’efface ; force au-delà d’espoir et dés­espoir
Escal­adant la troisième volée.

Seigneur, je ne suis pas digne
Seigneur, je ne suis pas digne
mais dis seule­ment un mot.

IV. QUI MARCHAIT ENTRE LA VIOLETTE ET LA VIOLETTE

Qui mar­chait entre la vio­lette et la vio­lette
qui mar­chait entre
Les rangées divers­es de verts var­iés
S’avançant en blanc et bleu, aux couleurs de Marie,
Par­lant de banal­ités
Dans l’ignorance et la con­nais­sance d’une douleur éter­nelle
Qui se mou­vait par­mi les autres qui mar­chaient,
Qui a ravivé les fontaines et renou­velé les sources

Rafraîchi le rocher desséché et affer­mi le sable
En bleu pied d’alouette, bleu couleur de Marie,
Soveg­na vos

Voici les années qui s’interposent, empor­tent
Flûtes et vio­lons, ramenant
Celle qui arrive à l’heure entre som­meil et veille, envelop­pée

De plis de lumière, habil­lée de ses plis.
Les années nou­velles s’avancent, ramenant
Dans un nuage de larmes, les années, ramenant
D’un nou­veau rythme l’ancien refrain. Rachète
Le temps. Rachète
La vision non déchiffrée dans le rêve plus élevé
Tan­dis que des licornes endia­man­tées tirent le cor­bil­lard doré.

La sœur silen­cieuse voilée de blanc et bleu
Entre les ifs, der­rière le dieu du jardin,
Dont la flûte est sans voix, pen­cha la tête et soupi­ra mais ne dit rien

Mais la fontaine jail­lit et l’oiseau sif­fla
Rachète le temps, rachète le rêve
Le signe du mot non ouï, non dit

Jusqu’à ce que le vent sec­oue de l’if un mil­li­er de soupirs

Et après, notre exil

V. SI LE MOT PERDU EST PERDU, SI LE MOT DÉPENSÉ EST DÉPENSÉ

Si le mot per­du est per­du, si le mot dépen­sé est dépen­sé
Si le mot non ouï non dit
Est non dit, non ouï ;
Pour­tant le mot non dit, le Mot non ouï,
Le Mot sans mot, le Mot au sein
Du monde et pour le monde ;
Et la lumière bril­lait dans l’obscurité et
Con­tre le Mot le monde inqui­et s’émouvait sans cesse
Autour du cen­tre du Mot silen­cieux.

Ô mon peu­ple, que t’ai-je fait.

Où trou­ver le mot, où le mot
Reten­ti­ra-t-il ? Pas ici, il n’y a pas assez de silence
Pas sur les mers ni sur les îles, pas
Sur les con­ti­nents, dans le désert ou les marais,
Pour ceux qui marchent dans l’obscurité
Que ce soit le jour ou la nuit
Ce n’est ni le moment ni le lieu
Pas de lieu de rédemp­tion pour ceux qui se détour­nent
Pas de moment de réjouis­sance pour ceux qui marchent dans le bruit et nient la voix

La sœur voilée priera-t-elle pour
Ceux qui marchent dans l’obscurité, qui te choi­sis­sent et te com­bat­tent,
Ceux qui sont déchirés sur les cornes entre sai­son et sai­son, temps et temps, entre
Moment et moment, mot et mot, pou­voir et pou­voir, ceux qui atten­dent
Dans l’obscurité ? La sœur voilée priera-t-elle
Pour les enfants à la bar­rière
Qui ne veu­lent pas s’en aller et ne peu­vent prier :
Priez pour ceux qui choisirent et com­bat­tirent

Ô mon peu­ple, que t’ai-je fait.

La sœur voilée entre les ifs frêles
Priera-t-elle pour ceux qui l’ont offen­sée
Et sont ter­ri­fiés et ne peu­vent se ren­dre

Et affir­ment devant le monde et nient entre les rochers
Dans le dernier désert avant les derniers rochers bleus
Le désert dans le jardin le jardin dans le désert
De sécher­esse, recrachant le pépin racorni.

Ô mon peu­ple.

VI. MÊME SI JE N’AI ESPOIR DE TOURNER ENCORE

Même si je n’ai espoir de tourn­er encore
Même si je n’ai espoir
Même si je n’ai espoir de tourn­er

Vac­il­lant entre prof­it et perte
Dans ce bref tran­sit où les rêves se croisent
La pénom­bre tra­ver­sée de rêves entre nais­sance et mort
(Bénis­sez-moi mon père) même si je ne souhaite pas souhaiter ces choses
De la fenêtre ouverte sur la côte de gran­it
Les voiles blanch­es fuient encore vers le large, vers le large fuyant
Leurs ailes pas brisées

Et le cœur per­du se raid­it et se réjouit
Du lilas per­du et des voix per­dues de la mer
Et l’esprit défail­lant se ravive et se rebelle
Pour les verges d’or et l’odeur per­due de la mer
Se ravive et retrou­ve
Le cri de la caille les voltes du plu­vi­er
Et l’œil aveu­gle crée
Les formes vides entre les portes d’ivoire
Et l’odorat retrou­ve la saveur salée de la terre sablon­neuse

C’est le temps de la ten­sion entre mourir et naître

Le lieu de soli­tude où trois rêves se croisent

Entre les rochers bleus

Mais quand les voix sec­ouées de l’if s’en vont à la dérive

Que l’autre if réponde d’une autre sec­ousse.

Sœur bien­heureuse, sainte mère, esprit de la fontaine, esprit du jardin,
Ne nous laisse pas nous abru­tir d’illusions
Enseigne-nous l’engagement dégagé
Enseigne-nous la patience
Même par­mi ses rochers,
Notre paix dans Sa volon­té
Et même par­mi ces rochers
Sœur, mère
Et esprit du fleuve, esprit de la mer,
Ne me per­me­ts pas d’être séparé

Et laisse mon cri mon­ter vers Toi.

Paru dans…
Mer­cre­di des cen­dres (1930)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | tra­duc­trice : Chris­tine Pag­noulle | crédits illus­tra­tions : © Asso­ci­at­ed Press Inter­na­tion­al News Unit­ed.

MAQUET, Albert (1922–2009) : "Lu" (1947)

I m’a tro­vé l’ôte djoû tot seû avou mès ponnes.
I m’a loukî doûcemint èt s’a‑st-achou d’lé mi.
Adon n’s‑avans foumî tote nosse toûbac’ èssone,
mins nins pus’ onk qui l’ôte nos n’avans måy moti.

Poqwè, vî camaråde, èstez‑v’ dèd­ja èvôye ?
Èt mi, poqwè fåt‑i qu’ dji v’s‑åye lèyî ‘nn’aler ?
Asteûre qui vo-v-rila co ‘ne fèye so tchamp so vôye,
dji n’sé nin çou qui m’ dit qui dj’ vin dè piède mi fré.

Paru dans…
Djeû d’apèles. Jeux d’appeaux. Poèmes en wal­lon lié­geois avec tra­duc­tion française en regard (Ougrée, chez l’auteur, 1947)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Djeû d’apèles. Jeux d’appeaux. Poèmes en wal­lon lié­geois avec tra­duc­tion française en regard (Ougrée, chez l’auteur, 1947) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DR.

AUDEN, Wystan Hugh (1907–1973) : "Arrêtez les pendules et coupez le téléphone…" (1936, trad. Patrick Thonart)

Arrêtez les pen­d­ules et coupez le télé­phone,
Empêchez le chien d’aboyer et, cet os, qu’on lui donne.
Faites taire les pianos et, au son des tam­bours voilés,
Sortez le cer­cueil et lais­sez les pleureuses entr­er.

Que les avions en peine tournoient par dessus,
Qu’ils tra­cent dans le ciel ce mes­sage : “Il n’est plus.”
Nouez du crêpe noir au cou blanc des pigeons,
Et don­nez des gants noirs aux agents en fac­tion.

Il était mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest,
Ma semaine de tra­vail et mon dimanche de sieste,
Mon midi, mon minu­it, ma parole, ma chan­son ;
Je pen­sais que l’amour durait tou­jours : je n’avais pas rai­son.

Que les étoiles se retirent, qu’on les éteigne une à une,
Rem­ballez le soleil et démon­tez la lune,
Allez vider l’océan et bal­ayez la forêt,
Car rien de bon ne peut advenir désor­mais.

Stop all the clocks, cut off the tele­phone,
Pre­vent the dog from bark­ing with a juicy bone,
Silence the pianos and with muf­fled drum
Bring out the cof­fin, let the mourn­ers come.

Let aero­planes cir­cle moan­ing over­head
Scrib­bling on the sky the mes­sage He Is Dead,
Put crepe bows round the white necks of the pub­lic doves,
Let the traf­fic police­men wear black cot­ton gloves.

He was my North, my South, my East and West,
My work­ing week and my Sun­day rest,
My noon, my mid­night, my talk, my song;
I thought that love would last for ever: I was wrong.

The stars are not want­ed now: put out every one;
Pack up the moon and dis­man­tle the sun;
Pour away the ocean and sweep up the wood;
For noth­ing now can ever come to any good.

Paru dans…
la pièce The Ascent of F6 écrite avec Christo­pher Ish­er­wood (1936)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : The Ascent of F6, pièce écrite avec Christo­pher Ish­er­wood (1936) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Poet­ry Foun­da­tion.

MILOSZ, Oscar (1877–1939) : "Et surtout que Demain n’apprenne pas où je suis" (1906)

— Et surtout que Demain n’apprenne pas où je suis —
Les bois, les bois sont pleins de baies noires —
Ta voix est comme un son de lune dans le vieux puits
Où l’écho, l’écho de juin vient boire.

Et que nul ne prononce mon nom là-bas, en rêve,
Les temps, les temps sont bien accom­plis —
Comme un tout petit arbre souf­frant de prime sève
Est ta blancheur en robe sans pli.

Et que les ronces se refer­ment der­rière nous,
Car j’ai peur, car j’ai peur du retour.
Les grandes fleurs blanch­es caressent tes doux genoux
Et l’ombre, et l’ombre est pâle d’amour.

Et ne dis pas à l’eau de la forêt qui je suis ;
Mon nom, mon nom est telle­ment mort.
Tes yeux ont la couleur des jeunes pluies,
Des jeunes pluies sur l’étang qui dort.

Et ne racon­te rien au vent du vieux cimetière.
Il pour­rait m’ordonner de le suiv­re.
Ta chevelure sent l’été, la lune et la terre.
Il faut vivre, vivre, rien que vivre…

Extrait de…
Les sept soli­tudes (1906)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Les sept soli­tudes (1906)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © amisdemilosz.com.

YOURCENAR, Marguerite (1903–1987) : "Vous ne saurez jamais que votre âme voyage" (1984)

Vous ne saurez jamais que votre âme voy­age
Comme au fond de mon cœur un doux cœur adop­té
Et que rien, ni le temps, d’autres amours, ni l’âge
N’empêcheront jamais que vous ayez été ;

Que la beauté du monde a pris votre vis­age,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que le lac pen­sif au fond du paysage
Me red­it seule­ment votre sérénité.

Vous ne saurez jamais que j’emporte votre âme
Comme une lampe d’or qui m’éclaire en marchant ;
Qu’un peu de votre voix a passé dans mon chant.

Doux flam­beau, vos rayons, doux brasi­er, votre flamme
M’instruisent des sen­tiers que vous avez suiv­is,
Et vous vivez un peu puisque je vous survis.

Paru sur…
Les char­ités d’Alcippe (1984)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Terre d'Âmes (2023) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © OZKOK SIPA.

BOUMAL, Louis (1890–1918) : "Ne rouvre pas ce livre, il fait mal…" (1917)

Ne rou­vre pas ce livre, il fait mal. Il ressem­ble
Aux fruits cueil­lis trop verts que l’on goûte par jeu.
À l’heure où le grand vent souf­flera dans les trem­bles
Il ne faut pas le lire assise auprès du feu.

Observe la flam­bée et son rire dans l’âtre ;
Écoute la sai­son qui frappe à tes volets ;
Surtout ne mêle point ma douleur opiniâtre
Au rêve si léger de tes pre­miers regrets.

Et s’il te sou­ve­nait des étranges paroles
Qu’un soir j’ai pu te dire au temps clair des lilas,
Oh ! ne les redis pas ! Les feuilles étaient folles
Et le cha­grin trop lourd hal­lu­ci­nait mes pas.

Mais plus tard, quand au vent s’égrènera ta vie,
Quand tu t’arrêteras lasse d’avoir souf­fert,
Et que tu sauras bien que ne t’ont pas suiv­ie
L’amour et l’amitié jusqu’au seuil de l’hiver,

Alors, ô mon amie, assise au coin du feu,
Relisant ce poème où notre amour fut sage,
Tu con­naî­tras le sens pro­fond de mon aveu
Et l’acide saveur des airelles sauvages.

Alver­inghem, 3 août 1917

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : arti­cle en l'hommage de Louis Boumal, suivi de qua­tre poèmes de ce dernier, pub­lié dans la revue Jardins, revue créée par Jules Gille, pour la "défense et illus­tra­tion" de la poésie française (1930) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © AMI.

BOUMAL, Louis (1890–1918) : "J’écoute passer l’heure et la brume glisser…" (1916)

J’écoute pass­er l’heure et la brume gliss­er
Le long des arbres nus que l’hiver a cassés.

Le vent s’agite et court par­mi le paysage
Et mon rêve avec lui se soulève et voy­age.

Tant de cha­grins mau­vais se sont mêlés à lui
Que, l’ayant bien con­nu, je l’ignore aujourd’hui.

Plus jeune, il s’émouvait des fil­lettes ornées
Et du ciel et des eaux et des cour­tes années

Et de l’automne agile à dépouiller les bois,
Mais ce soir hiver­nal, je m’attriste et je vois

Sur la mer de mon cœur que la pas­sion soulève,
Aux vents se déchir­er les voiles de mon rêve.

Paru sur…
Le jardin sans soleil (Calais, 1916)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : arti­cle en l'hommage de Louis Boumal, suivi de qua­tre poèmes de ce dernier, pub­lié dans la revue Jardins, revue créée par Jules Gille, pour la "défense et illus­tra­tion" de la poésie française (1930) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © bouillon.be.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Poème de l’insouciance" (2002, trad. Patrick Thonart, 2023)

Aujourd’hui, à nou­veau, je suis à peine moi-même.
Cela m’arrive encore et encore.
Ce sont les dieux qui veu­lent ça.

Cela me tra­verse
comme une vague bleue.
Croyez-moi ou pas – des feuilles vertes,
une fois ou deux déjà,
sont sor­ties du bout de mes doigts

Quelque part
dans la forêt pro­fonde,
sous l’emprise insou­ciante du print­emps.

Même si, bien enten­du, je con­nais aus­si l’autre chan­son,
la douce pas­sion d’être à soi.

Juste­ment, hier, je regar­dais une four­mi tra­vers­er un chemin, en s’escrimant
      avec les aigu­illes de pins tombées là.
Et j’ai pen­sé : elle ne va jamais vivre une autre vie que celle-là.
Et j’ai pen­sé : si elle vit sa vie de toutes ses forces,
      n’est-elle pas admirable et sage ?
Et j’ai pen­sé ain­si jusqu’au som­met de la pyra­mide mag­ique des vivants,
      jusqu’à ce que j’arrive à moi.

Et mal­gré tout cela, dans ces bois du nord, sur ces collines de sable,
Je me suis envolée par l’autre fenêtre de moi-même
pour devenir un héron blanc, une baleine bleue,
      un renard roux, un héris­son.

Oh, quelque­fois mon corps s’est déjà sen­ti le corps d’une fleur !
Quelque­fois déjà mon cœur a été un per­ro­quet rouge, per­ché
      sur des arbres étranges et som­bres, bat­tant des ailes et cri­ant.

Reckless Poem

Today again I am hard­ly myself.
It hap­pens over and over.
It is heav­en-sent.

It flows through me
like the blue wave.
Green leaves—you may believe this or not—
have once or twice
emerged from the tips of my fin­gers

Some­where
deep in the woods,
in the reck­less seizure of spring.

Though, of course, I also know that oth­er song,
the sweet pas­sion of one-ness.

Just yes­ter­day I watched an ant cross­ing a path, through the
      tum­bled pine nee­dles she toiled.
And I thought: she will nev­er live anoth­er life but this one.
And I thought: if she lives her life with all her strength
      is she not won­der­ful and wise?
And I con­tin­ued this up the mirac­u­lous pyra­mid of every­thing
      until I came to myself.

And still, even in these north­ern woods, on these hills of sand,
I have flown from the oth­er win­dow of myself
to become white heron, blue whale,
      red fox, hedge­hog.

Oh, some­times already my body has felt like the body of a flower!
Some­times already my heart is a red par­rot, perched
      among strange, dark trees, flap­ping and scream­ing.

Paru dans…
Revue Five Points (2002)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Revue Five Points (2002) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Comment vivrais-tu alors ?" (2006, trad. Patrick Thonart, 2023)

Et si une cen­taine de car­dinaux à poitrine rose
   vole­taient en cer­cle autour de ta tête ? Et si
un petit moqueur poly­glotte venait vivre chez toi et
   deve­nait ton con­seiller ? Et si
les abeilles tapis­saient tes murs avec du miel et qu’il
   te suff­ise de le deman­der pour qu’elles rem­plis­sent
ton bocal ? Et si le ruis­seau descendait la colline juste
   sous la fenêtre de ta cham­bre pour que tu puiss­es écouter
ses prières lentes avant de t’endormir ? Et si
   les étoiles com­mençaient à crier leur nom, ou à pass­er
dans un sens ou dans l’autre par-dessus les nuages ? Et si
   tu dessi­nais l’image d’un arbre, et que ses feuilles
com­mençaient à bruiss­er, et qu’un oiseau chante joyeuse­ment
   du haut d’une de ses branch­es peintes ? Et si tu réal­i­sais d’un coup
que l’argent de l’eau était plus clair que l’argent
   de ta mon­naie ? Et si tu réal­i­sais enfin
que les tour­nesols, qui se tour­nent vers le soleil chaque jour
   et pen­dant tout le jour – on ne sait pas com­ment, mais ils le font – étaient
plus pré­cieux et avaient plus de sens que l’or lui-même ?

How Would You Live Then?

What if a hun­dred rose-breast­ed gros­beaks
   flew in cir­cles around your head? What if
the mock­ing­bird came into the house with you and
   became your advi­sor? What if
the bees filled your walls with hon­ey and all
   you need­ed to do was ask them and they would fill
the bowl? What if the brook slid down­hill just
   past your bed­room win­dow so you could lis­ten
to its slow prayers as you fell asleep? What if
   the stars began to shout their names, or to run
this way and that way above the clouds? What if
   you paint­ed a pic­ture of a tree, and the leaves
began to rus­tle, and a bird cheer­ful­ly sang
   from its paint­ed branch­es? What if you sud­den­ly saw
that the sil­ver of water was brighter than the sil­ver
   of mon­ey? What if you final­ly saw
that the sun­flow­ers, turn­ing toward the sun all day
   and every day – who knows how, but they do it – were
more pre­cious, more mean­ing­ful than gold?

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Blues Iris: Poems and Essays (2006)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Blues Iris: Poems and Essays (2006) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Les oies sauvages" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Pourquoi dois-tu faire le bien ?
Pourquoi veux-tu faire péni­tence
Et tra­vers­er des déserts à genoux ?
Laisse plutôt le doux ani­mal dans ton corps
Aimer ce qu’il aime.
Par­le-moi du dés­espoir, du tien, et je te par­lerai du mien,
Pen­dant que le monde con­tin­ue de tourn­er.
Pen­dant que le soleil et les per­les claires de la pluie
Bal­aient les paysages,
Les prairies, les arbres bien enrac­inés,
Les mon­tagnes et les riv­ières.
Pen­dant que les oies sauvages, dans le ciel ouvert,
S’en retour­nent encore, comme chaque fois.
Qui que tu sois et quelle que soit ta soli­tude,
Le monde s’offre à ton imag­i­na­tion,
Il t’appelle du cri des oies sauvages, âpre et atti­rant.
Sans cesse, il te répète que ta place
Est là, dans la grande famille des choses qui sont.

Wild Geese

You do not have to be good.
You do not have to walk on your knees
for a hun­dred miles through the desert repent­ing.
You only have to let the soft ani­mal of your body
love what it loves.
Tell me about despair, yours, and I will tell you mine.
Mean­while the world goes on.
Mean­while the sun and the clear peb­bles of the rain
are mov­ing across the land­scapes,
over the prairies and the deep trees,
the moun­tains and the rivers.
Mean­while the wild geese, high in the clean blue air,
are head­ing home again.
Who­ev­er you are, no mat­ter how lone­ly,
the world offers itself to your imag­i­na­tion,
calls to you like the wild geese, harsh and excit­ing –
over and over announc­ing your place
in the fam­i­ly of things.

Paru dans…
Dream Work (1986)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Dream Work (1986) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Bruno Lil­je­fors (1860–1939)

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Les yeux blancs" (2002, trad. Patrick Thonart, 2023)

Pen­dant l’hiver
    tout ce qui chante
         est au som­met des arbres
             là où l’oiseau-vent

Avec ses yeux blancs
    pousse et saute
         de branche en branche.
             Comme cha­cun d’entre nous

Il veut se repos­er,
    mais il est agité—
         il a une idée,
             et lente­ment elle se déploie

De sous ses ailes qui bat­tent l’air
    tant qu’il reste éveil­lé.
         Mais cette grande musique enrobante, après tout,
             est trop hale­tante pour dur­er.

Alors, tout s’arrête.
    Dans les branch­es hautes du pin,
         il fait son nid,
             il a fait ce qu’il pou­vait.

Je ne con­nais pas le nom de cet oiseau,
    J’imagine seule­ment son bec bril­lant
         replié sous l’aile blanche
             alors que les nuages—

Qu’il a con­vo­qués
    du grand nord—
         à qui il a appris
             à être doux, et silen­cieux—

S’épaississent, et com­men­cent à tomber
    dans le monde en-dessous d’eux
         comme des étoiles, ou les plumes
               de quelque oiseau fan­tas­tique

Qui nous aimerait,
    qui dort main­tenant, en silence—
         et qui s’est mué
             en neige.

White Eyes

In win­ter
    all the singing is in
         the tops of the trees
             where the wind-bird

with its white eyes
    shoves and push­es
         among the branch­es.
             Like any of us

he wants to go to sleep,
    but he's rest­less—
         he has an idea,
             and slow­ly it unfolds

from under his beat­ing wings
    as long as he stays awake.
         But his big, round music, after all,
             is too breathy to last.

So, it's over.
    In the pine-crown
         he makes his nest,
             he's done all he can.

I don't know the name of this bird,
    I only imag­ine his glit­ter­ing beak
         tucked in a white wing
             while the clouds—

which he has sum­moned
    from the north—
         which he has taught
             to be mild, and silent—

thick­en, and begin to fall
    into the world below
         like stars, or the feath­ers
               of some unimag­in­able bird

that loves us,
    that is asleep now, and silent—
         that has turned itself
             into snow.

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Revue Poet­ry (2002)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Revue Poet­ry (2002) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Jour d’été" (1990, trad. Patrick Thonart, 2023)

Qui a créé le monde ?
Qui a créé le cygne, et l’ours noir ?
Qui a créé la sauterelle ?
Je veux dire – cette sauterelle-là,
celle qui a sur­gi de ces herbes-là,
celle qui croque du sucre au creux de ma main,
elle dont les mandibules vont d’avant en arrière, pas de haut en bas,
elle qui regarde autour d’elle avec ses yeux énormes et très com­pliqués.
La voilà qui lève ses pâles pattes avant et se net­toie con­scien­cieuse­ment la face.
La voilà qui ouvre ses ailes et s’envole en flot­tant dans l’air.
Je ne sais pas exacte­ment ce qu’est une prière.
Mais je sais com­ment faire atten­tion, com­ment rouler
dans l’herbe, com­ment tomber à genoux dans l’herbe,
com­ment flân­er et me sen­tir bénie, me promen­er dans les champs ;
c’est ce que j’ai fait le jour durant.
Dis-moi, qu’aurais-je dû faire d’autre ?
Est-ce que tout ne meurt pas un jour, tou­jours trop tôt ?
Dis-moi, toi, que veux-tu faire
de ta vie sauvage, unique et si pré­cieuse ?

The Summer Day

Who made the world?
Who made the swan, and the black bear?
Who made the grasshop­per?
This grasshop­per, I mean—
the one who has flung her­self out of the grass,
the one who is eat­ing sug­ar out of my hand,
who is mov­ing her jaws back and forth instead of up and down—
who is gaz­ing around with her enor­mous and com­pli­cat­ed eyes.
Now she lifts her pale fore­arms and thor­ough­ly wash­es her face.
Now she snaps her wings open, and floats away.
I don’t know exact­ly what a prayer is.
I do know how to pay atten­tion, how to fall down
into the grass, how to kneel down in the grass,
how to be idle and blessed, how to stroll through the fields,
which is what I have been doing all day.
Tell me, what else should I have done?
Doesn’t every­thing die at last, and too soon?
Tell me, what is it you plan to do
with your one wild and pre­cious life?

Paru dans…
House of Light (1990)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : House of Light (1990) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Pivoines" (1992, trad. Patrick Thonart, 2023)

Ce matin les poings verts des pivoines se pré­par­ent
 à me bris­er le cœur
  dès que le soleil se lève,
   dès que le soleil les caresse avec ses vieux doigts de beurre

Puis ils s’ouvrent—
 creusets de den­telles,
  blanch­es et ros­es—
   puis, tout le jour, les four­mis noires les escaladent,

Les per­forant de leurs trous pro­fonds et mys­térieux
 au creux des replis,
  folles de leur jus doucereux,
   et l’emmenant

Dans leurs som­bres cités souter­raines—
 et tout le jour
  dans le vent changeant,
   comme dans une grande danse de mariage,

Les fleurs incli­nent leur corps bril­lants,
 et dif­fusent leur par­fum dans les airs,
  et relèvent
   leurs tiges rouges qui sou­ti­en­nent

Toute cette humid­ité et cette insou­ciance
 joyeuse­ment et légère­ment,
  et la revoilà —
   belle et brave, l’exemplaire,

Qui s’ouvre de flammes.
 Aimes-tu ce monde ?
  Chéris-tu ton hum­ble et soyeuse vie ?
   Adores-tu l’herbe verte, avec ses ter­reurs cachées par-dessous ?

Est-ce que toi aus­si tu t’empresses, à peine habil­lée, pieds nus, dans le jardin,
 et douce­ment,
  t’exclamant devant leur générosité,
   tu te rem­plis les bras des fleurs ros­es et blanch­es,

De leur lour­deur mielleuse, de leurs trem­ble­ments lux­u­ri­ants,
 de leur impa­tiente volon­té
  d’être sauvages et par­faites un instant seule­ment, avant de n’être
   plus rien, pour tou­jours ?

Peonies

This morn­ing the green fists of the peonies are get­ting ready
 to break my heart
  as the sun ris­es,
   as the sun strokes them with his old, but­tery fin­gers

and they open—
 pools of lace,
  white and pink—
   and all day the black ants climb over them,

bor­ing their deep and mys­te­ri­ous holes
 into the curls,
  crav­ing the sweet sap,
   tak­ing it away

to their dark, under­ground cities —
 and all day
  under the shifty wind,
   as in a dance to the great wed­ding,

the flow­ers bend their bright bod­ies,
 and tip their fra­grance to the air,
  and rise,
   their red stems hold­ing

all that damp­ness and reck­less­ness
 glad­ly and light­ly,
  and there it is again —
   beau­ty the brave, the exem­plary,

blaz­ing open.
 Do you love this world?
  Do you cher­ish your hum­ble and silky life?
   Do you adore the green grass, with its ter­ror beneath?

Do you also hur­ry, half-dressed and bare­foot, into the gar­den,
 and soft­ly,
  and exclaim­ing of their dear­ness,
   fill your arms with the white and pink flow­ers,

with their hon­eyed heav­i­ness, their lush trem­bling,
 their eager­ness
  to be wild and per­fect for a moment, before they are
   noth­ing, for­ev­er?

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New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : REDOUTE Pierre-Joseph, Pivoines (1837) © Musée du Lou­vre.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Dans les bois marécageux" (1983, trad. Patrick Thonart, 2023)

Regarde, les arbres
trans­for­ment
leurs pro­pres corps
en piliers

de lumière,
ils déga­gent de rich­es
effluves de can­nelle
et de pléni­tude,

les longs cierges
des roseaux
éclosent et ond­u­lent au large
sur les épaule­ments bleus

des étangs,
et chaque étang,
quel que soit
son nom, est

désor­mais sans nom.
Chaque année,
tout ce que j'ai
pu appren­dre

dans ma vie
me ramène à cela : les flammes
et la riv­ière noire de la perte
dont l'autre rive

est le salut
et dont le sens
nous échap­pera à jamais.
Pour vivre dans ce monde,

tu dois savoir
faire trois choses :
aimer ce qui est mor­tel,
le ser­rer

con­tre tes os en sachant
que ta vie en dépend,
puis, une fois le temps venu de le laiss­er aller,
le laiss­er aller.

In Blackwater Woods

Look, the trees
are turn­ing
their own bod­ies
into pil­lars

of light,
are giv­ing off the rich
fra­grance of cin­na­mon
and ful­fill­ment,

the long tapers
of cat­tails
are burst­ing and float­ing away over
the blue shoul­ders

of the ponds,
and every pond,
no mat­ter what its
name is, is

name­less now.
Every year
every­thing
I have ever learned

in my life­time
leads back to this: the fires
and the black riv­er of loss
whose oth­er side

is sal­va­tion,
whose mean­ing
none of us will ever know.
To live in this world

you must be able
to do three things:
to love what is mor­tal;
to hold it

against your bones know­ing
your own life depends on it;
and, when the time comes to let it go,
to let it go.

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Amer­i­can Prim­i­tive (1983)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "N’hésite pas…" (2017, trad. Patrick Thonart, 2023)

Si, soudaine­ment, tu es pris d’une joie inat­ten­due,
N’hésite pas. Aban­donne-toi. Il y a plein
de vies et de villes entières détru­ites ou en passe
de l’être. Nous ne sommes pas sages, et pas si sou­vent
gen­tils. Et beau­coup ne pour­ra être par­don­né.
Pour­tant, la vie a de la ressource. C’est peut-être
sa manière à elle de ren­dre les coups, qui fait que par­fois
quelque chose se passe qui est plus grand que toutes les richess­es
ou tous les pou­voirs du monde. Ça peut être n’importe quoi,
mais tu le ressens cer­taine­ment à l’instant pré­cis
où l’amour com­mence. De toute façon, c’est sou­vent le cas.
De toute façon, quoi que ce soit, n’aie pas peur
de son abon­dance. La joie n’est pas faite pour être une miette.

Don’t hesitate

If you sud­den­ly and unex­pect­ed­ly feel joy,
don’t hes­i­tate. Give in to it. There are plen­ty
of lives and whole towns destroyed or about
to be. We are not wise, and not very often
kind. And much can nev­er be redeemed.
Still, life has some pos­si­bil­i­ty left. Per­haps this
is its way of fight­ing back, that some­times
some­thing hap­pens bet­ter than all the rich­es
or pow­er in the world. It could be any­thing,
but very like­ly you notice it in the instant
when love begins. Any­way, that’s often the case.
Any­way, what­ev­er it is, don’t be afraid
of its plen­ty. Joy is not made to be a crumb.

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Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (2017)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (2017) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DR.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Pluie" (1992, trad. Patrick Thonart, 2023)

1

Tout l’après-midi, il a plu, et soudain
un pou­voir inouï a sur­gi des nuages
le long d’un fil jaune,
aus­si impérieux que Dieu devrait l’être.
Quand il a frap­pé l’arbre, son corps
s’est ouvert à jamais.

2 Le marais

La nuit dernière, sous la pluie, des détenus ont escal­adé
la clô­ture de bar­belés de la prison.
Dans l’obscurité, ils se sont demandés s’ils pour­raient le faire, et ils savaient
qu’ils devaient essay­er de le faire.
Dans l’obscurité, ils ont escal­adé la clô­ture, poignant et poignant encore
dans les bar­belés.
Mal­gré l’obscurité, la plu­part d’entre eux ont été repris et ren­voyés à l’intérieur du camp.
Mais quelques-uns d’entre eux grimpent tou­jours les bar­belés ou errent
dans les marais bleuâtres, de l’autre côté.
Que ressent un fil bar­belé quand on le saisit, comme on
saisir­ait un quignon de pain ou d’une paire de chaus­sures ?
Que ressent un fil bar­belé quand on le saisit, comme on
saisir­ait une assi­ette ou une fourchette, ou un bou­quet de fleurs ?
Que ressent un fil bar­belé quand on le saisit, comme on
saisir­ait un bou­ton de porte, des papiers, un drap pro­pre pour se gliss­er dessous ?

3

Ou ceci : il pleu­vait, mon oncle
gisait dans le parterre fleuri,
froid et brisé,
tiré de sa voiture, moteur au ralen­ti,
calfeu­trée de chif­fons, et le bril­lant
de ce long tuyau. Mon père a crié,
puis l’ambulance est venue,
puis nous avons tous regardé la mort,
puis l’ambulance l’a emmené.
Du porche de la mai­son,
je me suis retournée une fois encore
cher­chant mon père, qui s’attardait,
qui était tou­jours debout dans les fleurs,
qui était cet homme de boue immo­bile,
qui était ce petit per­son­nage dans la pluie

4 Petit matin, mon anniversaire

Les escar­gots glis­sent sur le patin rose de leur corps
au milieu des belles-de-jour.
L’araignée est assoupie par­mi les pouces rouges
des frais­es.
Que vais-je faire, que vais-je faire ?
La pluie est lente.
Les petits oiseaux vivent en son sein.
Même les scarabées.
Les feuilles vertes lapent ses gouttes.
Que vais-je faire, que vais-je faire ?
La guêpe est assise sous le porche de son château de papi­er.
Le héron bleu plane hors des nuages.
Le pois­son saute hors des eaux som­bres, tout en bouche et en arc-en-ciel.
Ce matin, les nénuphars ne sont pas moins char­mants, selon moi,
que les nymphéas de Mon­et.
Je ne veux plus être utile, plus être docile, je ne veux plus emmen­er
les enfants loin des prairies jusque dans le dis­cours
de la décence, et leur incul­quer qu’ils sont (ou pas) mieux
que l’herbe elle-même.

5 Au bord de l’océan

J’ai déjà enten­du cette musique,
déclara le corps.

6 Le jardin

La gaine ourlée
du chou frisé,
la cloche creuse
du poivron,
l’oignon ver­nis.
Bet­ter­ave, bour­rache, tomates.
Hari­cots verts.
Je suis ren­trée et j’ai tout posé
sur la table de la cui­sine : ciboulette, per­sil, aneth,
le pot­iron comme une lune pâle,
les pois dans leurs pan­tou­fles de soie, l’éblouissant maïs
trem­pé de pluie.

7 La forêt

La nuit
sous les arbres
le ser­pent noir
rampe humide
en se frot­tant
dure­ment
con­tre les racines de san­guinaire,
les feuilles jaunes,
les petits ergots des écorces,
pour arracher
son anci­enne vie.
Je ne sais
s’il sait
ce qui se passe.
Je ne sais
s’il sait
s’il va y arriv­er.
Au loin,
la lune et les étoiles
parta­gent une faible lueur.
Au loin,
une chou­ette hul­ule.

Au loin
une chou­ette hul­ule.
Le ser­pent sait
que ces bois sont aux chou­ettes,
que ces bois sont à la mort,
que ces bois sont une épreuve,
où il faut ram­per et encore ram­per,
où il faut vivre par­mi les coss­es des arbres,
où il faut s’allonger sur les brindilles sauvages
qui ne peu­vent sup­port­er son poids,
où la vie n’a pas de sens
et n’est ni polie, ni intel­li­gente.
Où la vie n’a pas de sens
et n’est ni polie, ni intel­li­gente,
il com­mence
à pleu­voir,
il com­mence
à embaumer comme le corps
des fleurs.
Der­rière la tête
l’ancienne peau se fend.
Le ser­pent fris­sonne
mais n’hésite pas.
Il avance d’un pouce.
Il com­mence à s’écouler comme sang,
comme du satin.

Rain

1

All after­noon it rained, then
such pow­er came down from the clouds
on a yel­low thread,
as author­i­ta­tive as God is sup­posed to be.
When it hit the tree, her body
opened for­ev­er.

2 The Swamp

Last night, in the rain, some of the men climbed over
the barbed-wire fence of the deten­tion cen­ter.
ln the dark­ness they won­dered if they could do it, and knew
they had to try to do it.
ln the dark­ness they climbed the wire, hand­ful after hand­ful
of barbed wire.
Even in the dark­ness most of them were caught and sent back
to the camp inside.
But a few are still climb­ing the barbed wire, or wad­ing through the blue swamp on the oth­er side.

What does barbed wire feel like when you grip it, as though
it were a loaf of bread, or a pair of shoes?
What does barbed wire feel like when you grip it, as though
it were a plate and a fork, or a hand­ful of flow­ers?
What does barbed wire feel like when you grip it, as though
it were the han­dle of a door, work­ing papers, a clean sheet
you want to draw over your body?

3

Or this one: on a rainy day, my uncle
lying in the flower bed,
cold and bro­ken,
dragged from the idling car
with its plug of rags, and its gleam­ing
length of hose. My father
shout­ed,
then the ambu­lance came,
then we all looked at death,
then the ambu­lance took him away.
From the porch of the house
I turned back once again
look­ing for my father, who had lin­gered,
who was still stand­ing in the flow­ers,
who was that motion­less mud­dy man,
who was that tiny fig­ure in the rain.

4 Ear­ly Morn­ing, My Birth­day

The snails on the pink sleds of their bod­ies are mov­ing
among the morn­ing glo­ries.
The spi­der is asleep among the red thumbs
of the rasp­ber­ries.
What shall I do, what shall I do?

The rain is slow.
The lit­tle birds are alive in it.
Even the bee­tles.
The green leaves lap it up.
What shall I do, what shall I do?

The wasp sits on the porch of her paper cas­tle.
The blue heron floats out of the clouds.
The fish leap, all rain­bow and mouth, from the dark water.

This morn­ing the water lilies are no less love­ly, I think,
than the lilies of Mon­et.
And I do not want any­more to be use­ful, to be docile, to lead
chil­dren out of the fields into the text
of civil­i­ty, to teach them that they are (they are not) bet­ter
than the grass.

5 At the Edge of the Ocean

I have heard this music before,
saith the body.

6 The Gar­den

The kale's
puck­ered sleeve,
the pepper's
hol­low bell,
the lac­quered onion.

Beets, bor­age, toma­toes.
Green beans.

I came in and I put every­thing
on the counter: chives, pars­ley, dill,
the squash like a pale moon,
peas in their silky shoes, the daz­zling
rain-drenched corn.

7 The For­est

At night
under the trees
the black snake
jel­lies for­ward
rub­bing
rough­ly
the stems of the blood­root,
the yel­low leaves,
lit­tle boul­ders of bark,
to take off
the old life.
I don't know
if he knows
what is hap­pen­ing.
I don't know
if he knows
it will work.
In the dis­tance
the moon and the stars
give a lit­tle light.
In the dis­tance
the owl cries out.

In the dis­tance
the owl cries out.
The snake knows
these are the owl's woods,
these are the woods of death,
these are the woods of hard­ship
where you crawl and crawl,
where you live in the husks of trees,
where you lie on the wild twigs
and they can­not bear your weight,
where life has no pur­pose
and is nei­ther civ­il nor intel­li­gent.

Where life has no pur­pose,
and is nei­ther civ­il nor intel­li­gent,
it begins
to rain,
it begins
to smell like the bod­ies
of flow­ers.
At the back of the neck
the old skin splits.
The snake shiv­ers
but does not hes­i­tate.
He inch­es for­ward.
He begins to bleed through
like satin.

Paru dans…
New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992)

Affich­er le recueil dans la poet­i­ca…
Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Rage" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Tu es le chant ténébreux
du matin ;
sérieux et lent,
tu te ras­es, tu t’habilles,
tu descends les escaliers
dans tes habits publics
puis tu prends la route, tu deviens
le sage, le puis­sant,
qui rend chaque jour
pos­si­ble dans le monde.
Mais tu étais aus­si ce chant pour­pre
dans la nuit,
trébuchant à tra­vers la mai­son
jusqu’au lit de l’enfant,
jusqu’à la rose humide de son corps,
pour y laiss­er ton goût amer.
Et pour tou­jours ces nuits gron­dent sous
la machiner­ie déli­cate des jours.
Quand la mère de l’enfant sourit
tu vois sur ses pom­mettes
une vérité que tu ne con­fesseras jamais ;
et tu vois com­ment l’enfant grandit–
timide­ment, accroupie dans les coins de mur.
Quelque­fois dans la nuit pro­fonde
tu entends les larmes les plus désolantes,
un moment de viol et de ter­reur.
Dans tes rêves, elle est un arbre
qui n’aura jamais de feuilles–
dans tes rêves, elle est une mon­tre
que tu as jetée sur des pier­res som­bres
et dont per­son­ne ne retrou­vera tous les frag­ments–
dans tes rêves tu as souil­lé et tué,
et les rêves ne mentent jamais.

Rage

You are the dark song
of the morn­ing;
seri­ous and slow,
you shave, you dress,
you descend the stairs
in your pub­lic clothes
and dri­ve away, you become
the wise and pow­er­ful one
who makes all the days
pos­si­ble in the world.
But you were also the red song
in the night,
stum­bling through the house
to the child’s bed,
to the damp rose of her body,
leav­ing your bit­ter taste.
And for­ev­er those nights snarl
the del­i­cate machin­ery of the days.
When the child’s moth­er smiles
you see on her cheek­bones
a truth you will nev­er con­fess;
and you see how the child grows–
timid­ly, crouch­ing in cor­ners.
Some­times in the wide night
you hear the most mourn­ful cry,
a rav­ished and ter­ri­ble moment.
In your dreams she’s a tree
that will nev­er come to leaf–
in your dreams she’s a watch
you dropped on the dark stones
till no one could gath­er the frag­ments–
in your dreams you have sul­lied and mur­dered,
and dreams do not lie.

Paru dans…
Dream Work (1986)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Dream Work (1986) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.