OLIVER, Mary (1935–2019) : "N’hésite pas…" (2017, trad. Patrick Thonart, 2023)

Si, soudaine­ment, tu es pris d’une joie inat­ten­due,
N’hésite pas. Aban­donne-toi. Il y a plein
de vies et de villes entières détru­ites ou en passe
de l’être. Nous ne sommes pas sages, et pas si sou­vent
gen­tils. Et beau­coup ne pour­ra être par­don­né.
Pour­tant, la vie a de la ressource. C’est peut-être
sa manière à elle de ren­dre les coups, qui fait que par­fois
quelque chose se passe qui est plus grand que toutes les richess­es
ou tous les pou­voirs du monde. Ça peut être n’importe quoi,
mais tu le ressens cer­taine­ment à l’instant pré­cis
où l’amour com­mence. De toute façon, c’est sou­vent le cas.
De toute façon, quoi que ce soit, n’aie pas peur
de son abon­dance. La joie n’est pas faite pour être une miette.

Don’t hesitate

If you sud­den­ly and unex­pect­ed­ly feel joy,
don’t hes­i­tate. Give in to it. There are plen­ty
of lives and whole towns destroyed or about
to be. We are not wise, and not very often
kind. And much can nev­er be redeemed.
Still, life has some pos­si­bil­i­ty left. Per­haps this
is its way of fight­ing back, that some­times
some­thing hap­pens bet­ter than all the rich­es
or pow­er in the world. It could be any­thing,
but very like­ly you notice it in the instant
when love begins. Any­way, that’s often the case.
Any­way, what­ev­er it is, don’t be afraid
of its plen­ty. Joy is not made to be a crumb.

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Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (2017)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (2017) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DR.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Pluie" (1992, trad. Patrick Thonart, 2023)

1

Tout l’après-midi, il a plu, et soudain
un pou­voir inouï a sur­gi des nuages
le long d’un fil jaune,
aus­si impérieux que Dieu devrait l’être.
Quand il a frap­pé l’arbre, son corps
s’est ouvert à jamais.

2 Le marais

La nuit dernière, sous la pluie, des détenus ont escal­adé
la clô­ture de bar­belés de la prison.
Dans l’obscurité, ils se sont demandé s’ils pour­raient le faire, et ils savaient
qu’ils devaient essay­er de le faire.
Dans l’obscurité, ils ont escal­adé la clô­ture, poignant et poignant encore
dans les bar­belés.
Mal­gré l’obscurité, la plu­part d’entre eux ont été repris et ren­voyés à l’intérieur du camp.
Mais quelques-uns d’entre eux grimpent tou­jours les bar­belés ou errent
dans les marais bleuâtres, de l’autre côté.
Que ressent un fil bar­belé quand on le saisit, comme on
saisir­ait un quignon de pain ou d’une paire de chaus­sures ?
Que ressent un fil bar­belé quand on le saisit, comme on
saisir­ait une assi­ette ou une fourchette, ou un bou­quet de fleurs ?
Que ressent un fil bar­belé quand on le saisit, comme on
saisir­ait un bou­ton de porte, des papiers, un drap pro­pre pour se gliss­er dessous ?

3

Ou ceci : il pleu­vait, mon oncle
gisait dans le parterre fleuri,
froid et brisé,
tiré de sa voiture, moteur au ralen­ti,
calfeu­trée de chif­fons, et le bril­lant
de ce long tuyau. Mon père a crié,
puis l’ambulance est venue,
puis nous avons tous regardé la mort,
puis l’ambulance l’a emmené.
Du porche de la mai­son,
je me suis retournée une fois encore
cher­chant mon père, qui s’attardait,
qui était tou­jours debout dans les fleurs,
qui était cet homme de boue immo­bile,
qui était ce petit per­son­nage dans la pluie

4 Petit matin, mon anniversaire

Les escar­gots glis­sent sur le patin rose de leur corps
au milieu des belles-de-jour.
L’araignée est assoupie par­mi les pouces rouges
des frais­es.
Que vais-je faire, que vais-je faire ?
La pluie est lente.
Les petits oiseaux vivent en son sein.
Même les scarabées.
Les feuilles vertes lapent ses gouttes.
Que vais-je faire, que vais-je faire ?
La guêpe est assise sous le porche de son château de papi­er.
Le héron bleu plane hors des nuages.
Le pois­son saute hors des eaux som­bres, tout en bouche et en arc-en-ciel.
Ce matin, les nénuphars ne sont pas moins char­mants, selon moi,
que les nymphéas de Mon­et.
Je ne veux plus être utile, plus être docile, je ne veux plus emmen­er
les enfants loin des prairies jusque dans le dis­cours
de la décence, et leur incul­quer qu’ils sont (ou pas) mieux
que l’herbe elle-même.

5 Au bord de l’océan

J’ai déjà enten­du cette musique,
déclara le corps.

6 Le jardin

La gaine ourlée
du chou frisé,
la cloche creuse
du poivron,
l’oignon ver­nis.
Bet­ter­ave, bour­rache, tomates.
Hari­cots verts.
Je suis ren­trée et j’ai tout posé
sur la table de la cui­sine : ciboulette, per­sil, aneth,
le pot­iron comme une lune pâle,
les pois dans leurs pan­tou­fles de soie, l’éblouissant maïs
trem­pé de pluie.

7 La forêt

La nuit
sous les arbres
le ser­pent noir
rampe humide
en se frot­tant
dure­ment
con­tre les racines de san­guinaire,
les feuilles jaunes,
les petits ergots des écorces,
pour arracher
son anci­enne vie.
Je ne sais
s’il sait
ce qui se passe.
Je ne sais
s’il sait
s’il va y arriv­er.
Au loin,
la lune et les étoiles
parta­gent une faible lueur.
Au loin,
une chou­ette hul­ule.

Au loin
une chou­ette hul­ule.
Le ser­pent sait
que ces bois sont aux chou­ettes,
que ces bois sont à la mort,
que ces bois sont une épreuve,
où il faut ram­per et encore ram­per,
où il faut vivre par­mi les coss­es des arbres,
où il faut s’allonger sur les brindilles sauvages
qui ne peu­vent sup­port­er son poids,
où la vie n’a pas de sens
et n’est ni polie, ni intel­li­gente.
Où la vie n’a pas de sens
et n’est ni polie, ni intel­li­gente,
il com­mence
à pleu­voir,
il com­mence
à embaumer comme le corps
des fleurs.
Der­rière la tête
l’ancienne peau se fend.
Le ser­pent fris­sonne
mais n’hésite pas.
Il avance d’un pouce.
Il com­mence à s’écouler comme sang,
comme du satin.

Rain

1

All after­noon it rained, then
such pow­er came down from the clouds
on a yel­low thread,
as author­i­ta­tive as God is sup­posed to be.
When it hit the tree, her body
opened for­ev­er.

2 The Swamp

Last night, in the rain, some of the men climbed over
the barbed-wire fence of the deten­tion cen­ter.
ln the dark­ness they won­dered if they could do it, and knew
they had to try to do it.
ln the dark­ness they climbed the wire, hand­ful after hand­ful
of barbed wire.
Even in the dark­ness most of them were caught and sent back
to the camp inside.
But a few are still climb­ing the barbed wire, or wad­ing through the blue swamp on the oth­er side.

What does barbed wire feel like when you grip it, as though
it were a loaf of bread, or a pair of shoes?
What does barbed wire feel like when you grip it, as though
it were a plate and a fork, or a hand­ful of flow­ers?
What does barbed wire feel like when you grip it, as though
it were the han­dle of a door, work­ing papers, a clean sheet
you want to draw over your body?

3

Or this one: on a rainy day, my uncle
lying in the flower bed,
cold and bro­ken,
dragged from the idling car
with its plug of rags, and its gleam­ing
length of hose. My father
shout­ed,
then the ambu­lance came,
then we all looked at death,
then the ambu­lance took him away.
From the porch of the house
I turned back once again
look­ing for my father, who had lin­gered,
who was still stand­ing in the flow­ers,
who was that motion­less mud­dy man,
who was that tiny fig­ure in the rain.

4 Ear­ly Morn­ing, My Birth­day

The snails on the pink sleds of their bod­ies are mov­ing
among the morn­ing glo­ries.
The spi­der is asleep among the red thumbs
of the rasp­ber­ries.
What shall I do, what shall I do?

The rain is slow.
The lit­tle birds are alive in it.
Even the bee­tles.
The green leaves lap it up.
What shall I do, what shall I do?

The wasp sits on the porch of her paper cas­tle.
The blue heron floats out of the clouds.
The fish leap, all rain­bow and mouth, from the dark water.

This morn­ing the water lilies are no less love­ly, I think,
than the lilies of Mon­et.
And I do not want any­more to be use­ful, to be docile, to lead
chil­dren out of the fields into the text
of civil­i­ty, to teach them that they are (they are not) bet­ter
than the grass.

5 At the Edge of the Ocean

I have heard this music before,
saith the body.

6 The Gar­den

The kale's
puck­ered sleeve,
the pepper's
hol­low bell,
the lac­quered onion.

Beets, bor­age, toma­toes.
Green beans.

I came in and I put every­thing
on the counter: chives, pars­ley, dill,
the squash like a pale moon,
peas in their silky shoes, the daz­zling
rain-drenched corn.

7 The For­est

At night
under the trees
the black snake
jel­lies for­ward
rub­bing
rough­ly
the stems of the blood­root,
the yel­low leaves,
lit­tle boul­ders of bark,
to take off
the old life.
I don't know
if he knows
what is hap­pen­ing.
I don't know
if he knows
it will work.
In the dis­tance
the moon and the stars
give a lit­tle light.
In the dis­tance
the owl cries out.

In the dis­tance
the owl cries out.
The snake knows
these are the owl's woods,
these are the woods of death,
these are the woods of hard­ship
where you crawl and crawl,
where you live in the husks of trees,
where you lie on the wild twigs
and they can­not bear your weight,
where life has no pur­pose
and is nei­ther civ­il nor intel­li­gent.

Where life has no pur­pose,
and is nei­ther civ­il nor intel­li­gent,
it begins
to rain,
it begins
to smell like the bod­ies
of flow­ers.
At the back of the neck
the old skin splits.
The snake shiv­ers
but does not hes­i­tate.
He inch­es for­ward.
He begins to bleed through
like satin.

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New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Rage" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Tu es le chant ténébreux
du matin ;
sérieux et lent,
tu te ras­es, tu t’habilles,
tu descends les escaliers
dans tes habits publics
puis tu prends la route, tu deviens
le sage, le puis­sant,
qui rend chaque jour
pos­si­ble dans le monde.
Mais tu étais aus­si ce chant pour­pre
dans la nuit,
trébuchant à tra­vers la mai­son
jusqu’au lit de l’enfant,
jusqu’à la rose humide de son corps,
pour y laiss­er ton goût amer.
Et pour tou­jours ces nuits gron­dent sous
la machiner­ie déli­cate des jours.
Quand la mère de l’enfant sourit
tu vois sur ses pom­mettes
une vérité que tu ne con­fesseras jamais ;
et tu vois com­ment l’enfant grandit–
timide­ment, accroupie dans les coins de mur.
Quelque­fois dans la nuit pro­fonde
tu entends les larmes les plus désolantes,
un moment de viol et de ter­reur.
Dans tes rêves, elle est un arbre
qui n’aura jamais de feuilles–
dans tes rêves, elle est une mon­tre
que tu as jetée sur des pier­res som­bres
et dont per­son­ne ne retrou­vera tous les frag­ments–
dans tes rêves tu as souil­lé et tué,
et les rêves ne mentent jamais.

Rage

You are the dark song
of the morn­ing;
seri­ous and slow,
you shave, you dress,
you descend the stairs
in your pub­lic clothes
and dri­ve away, you become
the wise and pow­er­ful one
who makes all the days
pos­si­ble in the world.
But you were also the red song
in the night,
stum­bling through the house
to the child’s bed,
to the damp rose of her body,
leav­ing your bit­ter taste.
And for­ev­er those nights snarl
the del­i­cate machin­ery of the days.
When the child’s moth­er smiles
you see on her cheek­bones
a truth you will nev­er con­fess;
and you see how the child grows–
timid­ly, crouch­ing in cor­ners.
Some­times in the wide night
you hear the most mourn­ful cry,
a rav­ished and ter­ri­ble moment.
In your dreams she’s a tree
that will nev­er come to leaf–
in your dreams she’s a watch
you dropped on the dark stones
till no one could gath­er the frag­ments–
in your dreams you have sul­lied and mur­dered,
and dreams do not lie.

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Dream Work (1986)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Le matin, je descends sur la plage…" (2012, trad. Patrick Thonart, 2023)

Le matin, je descends sur la plage
où, selon l'heure, les vagues
mon­tent ou descen­dent,
et je leur dis, oh, comme je suis triste,
que vais-je–
que dois-je faire ? Et la mer me dit,
de sa jolie voix :
Excuse-moi, j'ai à faire.

I go down to the shore in the morn­ing
and depend­ing on the hour the waves
are rolling in or mov­ing out,
and I say, oh, I am mis­er­able,
what shall–
what should I do? And the sea says
in its love­ly voice:
Excuse me, I have work to do.

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A Thou­sand Morn­ings (2012)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "En hommage à une certaine folie" (2005, trad. Patrick Thonart, 2023)

Les soirs d’hiver,
ma grand’mère,
qui n’avait plus toute sa tête
(une par­tie s’en était retournée vers la Bohème),

éta­lait des jour­naux sur le sol de la véran­da
pour que les four­mis, dis­ait-elle, puis­sent s’y gliss­er,
comme sous une cou­ver­ture, et rester au chaud,

et moi, que pour­rais-je me souhaiter,
si ce n’est, une fois frap­pée par l’éclair des années,
d’être comme elle, avec ce qui lui restait, tout cet amour.

In Praise of Craziness of a Certain Kind

On cold evenings
my grand­moth­er,
with own­er­ship of half her mind-
the oth­er half hav­ing flown back to Bohemia-
spread news­pa­pers over the porch floor
so, she said, the gar­den ants could crawl beneath,
as under a blan­ket, and keep warm,
and what shall I wish for, for myself,
but, being so struck by the light­ning of years,
to be like her with what is left, that lov­ing.

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New and Select­ed Poems, Vol­ume Two (2005)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Un rêve d’arbres" (1963, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quelque chose en moi a rêvé d’arbres,
D’une mai­son pais­i­ble, de quelques mod­estes arpents de ver­dure
Un peu éloignés de toute cité bruyante,
Un peu éloignés des usines, des écoles, des lamen­ta­tions.
J’y aurais du temps, pen­sais-je, et j’y gag­n­erais du temps,
Avec pour seule com­pag­nie riv­ières et oiseaux,
Pour extraire de ma vie quelques stro­phes sauvages.
Puis j’ai réal­isé que la mort était comme ça,
Un peu éloignée de n’importe où.

Quelque chose en moi rêve tou­jours d’arbres.
Mais qu’importe. Nos­tal­giques de la mod­éra­tion,
La moitié des artistes du monde se rétré­cis­sent ou dis­parais­sent.
Si quelqu’un trou­ve une solu­tion, qu’il le dise.
Entretemps, mon cœur glisse vers les lamen­ta­tions
Où, alors que le temps appelle notre réel engage­ment,
Les lames nues de chaque crise mon­trent le chemin.

Si seule­ment il n’en était pas ain­si… mais il en est ain­si.
Qui a déjà com­posé la musique d’un jour sans excès ?

A dream of trees

There is a thing in me that dreamed of trees,
A qui­et house, some green and mod­est acres
A lit­tle way from every trou­bling town,
A lit­tle way from fac­to­ries, schools, laments.
I would have time, I thought, and time to spare,
With only streams and birds for com­pa­ny,
To build out of my life a few wild stan­zas.
And then it came to me, that so was death,
A lit­tle way away from every­where.

There is a thing in me still dreams of trees.
But let it go. Home­sick for mod­er­a­tion,
Half the world’s artists shrink or fall away.
If any find solu­tion, let him tell it.
Mean­while I bend my heart toward lamen­ta­tion
Where, as the times implore our true involve­ment,
The blades of every cri­sis point the way.

I would it were not so, but so it is.
Who ever made music of a mild day?

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No Voy­age and Oth­er Poems (1963)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : No Voy­age and Oth­er Poems (1963) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : BLAKE, William : I want ! I want ! (détail, 1793) © The Fitzwilliam Muse­um.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Le voyage" (1963, trad. Patrick Thonart, 2023)

Un jour enfin tu as su
ce que tu devais faire et
tu t’y es mise,
mal­gré les voix autour de toi
qui hurlaient encore
leurs mau­vais con­seils-
mal­gré toute la mai­son
qui s’est mise à trem­bler
et la vieille corde que tu sen­tais à nou­veau
sur tes chevilles.
« Répare ma Vie ! »
pleu­rait chaque voix.
Mais tu ne t’es pas arrêtée.
Tu savais ce que tu avais à faire,
mal­gré le vent qui attaquait
de ses doigts raides
tes fon­da­tions les plus intimes,
mal­gré leur mélan­col­ie
déchi­rante.
Il était déjà fort
tard, et la nuit vio­lente,
et la route pleine de branch­es
tombées et de pier­res.
Mais, peu à peu,
comme tu lais­sais leurs voix der­rière toi,
les étoiles ont com­mencé à briller
à tra­vers le man­teau de nuages,
et il y a eu une voix nou­velle
que tu as lente­ment
recon­nue comme la tienne,
qui t’a tenu com­pag­nie
tan­dis que tu arpen­tais
le monde
de plus en plus loin,
déter­minée à faire
la seule chose que tu pou­vais faire-
déter­minée à sauver
la seule vie que tu pou­vais
sauver.

The Journey

One day you final­ly knew
what you had to do, and began,
though the voic­es around you
kept shout­ing
their bad advice –
though the whole house
began to trem­ble
and you felt the old tug
at your ankles.
"Mend my life!"
each voice cried.
But you didn't stop.
You knew what you had to do,
though the wind pried
with its stiff fin­gers
at the very foun­da­tions,
though their melan­choly
was ter­ri­ble.
It was already late
enough, and a wild night,
and the road full of fall­en
branch­es and stones.
But lit­tle by lit­tle,
as you left their voice behind,
the stars began to burn
through the sheets of clouds,
and there was a new voice
which you slow­ly
rec­og­nized as your own,
that kept you com­pa­ny
as you strode deep­er and deep­er
into the world,
deter­mined to do
the only thing you could do –
deter­mined to save
the only life that you could save.

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No Voy­age and Oth­er Poems (1963)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Printemps" (1990, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quelque part,
une ourse noire
vient de se réveiller
et regarde

vers la val­lée.
La nuit durant,
dans le frémisse­ment et l’agitation
du print­emps nais­sant,

je pense à elle,
à ses qua­tre poings
foulant le gravier,
à sa langue rouge

comme le feu
qui frôle l’herbe
et l’eau fraîche.
Il n’y a qu’une ques­tion :

com­ment aimer ce monde.
Je pense à elle
qui se dresse
comme une cor­niche noire de feuilles

et qui carde de ses griffes
le silence
des arbres.
Quelle que soit

ma vie par ailleurs,
avec ses poèmes
et sa musique
et ses cités de verre,

elle est aus­si cette ombre écla­tante
qui descend
les flancs de la mon­tagne,
souf­flant et goû­tant ;

le jour durant je pense à elle –
à ses crocs blancs,
à son silence,
à son amour par­fait.

Spring

Some­where
a black bear
has just risen from sleep
and is star­ing

down the moun­tain.
All night
in the brisk and shal­low rest­less­ness
of ear­ly spring

I think of her,
her four black fists
flick­ing the grav­el,
her tongue

like a red fire
touch­ing the grass,
the cold water.
There is only one ques­tion:

how to love this world.
I think of her
ris­ing
like a black and leafy ledge

to sharp­en her claws against
the silence
of the trees.
What­ev­er else

my life is
with its poems
and its music
and its glass cities,

it is also this daz­zling dark­ness
com­ing
down the moun­tain,
breath­ing and tast­ing;

all day I think of her—
her white teeth,
her word­less­ness,
her per­fect love.

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House of Light (1990)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Thirst: Poems (2007) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Hier soir, la pluie m’a parlé" (2003, trad. Patrick Thonart, 2023)

Hier soir
la pluie
m’a par­lé
douce­ment, elle m’a dit

sa joie
de tomber
des nuages pressés,
pour être heureuse,

d’une nou­velle manière,
sur la terre !
C’est ce qu’elle m’a dit,
goutte après goutte,

avec une saveur de fer,
puis elle a dis­paru
comme le rêve d’un océan
dans les branch­es

et l’herbe à mes pieds.
Ensuite, c’était fini.
Le ciel s’est éclair­ci.
J’étais debout

au pied d’un arbre.
L’arbre était un arbre
aux feuilles joyeuses,
et je me suis sen­tie moi-même,

et il y avait des étoiles dans le ciel
qui étaient aus­si elles-mêmes,
à ce moment-là,
à ce moment où

ma main droite
tenait ma main gauche
qui tenait l’arbre
qui était rem­pli d’étoiles

et de la pluie si douce—
imag­ine ! imag­ine !
les voy­ages sauvages et mer­veilleux
qui seront les nôtres.

Last Night the Rain Spoke To Me

Last night
the rain
spoke to me
slow­ly, say­ing,

what joy
to come falling
out of the brisk cloud,
to be hap­py again

in a new way
on the earth!
That’s what it said
as it dropped,

smelling of iron,
and van­ished
like a dream of the ocean
into the branch­es

and the grass below.
Then it was over.
The sky cleared.
I was stand­ing

under a tree.
The tree was a tree
with hap­py leaves,
and I was myself,

and there were stars in the sky
that were also them­selves
at the moment,
at which moment

my right hand
was hold­ing my left hand
which was hold­ing the tree
which was filled with stars

and the soft rain—
imag­ine! imag­ine!
the wild and won­drous jour­neys
still to be ours.

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What Do We Know: Poems And Prose Poems (2003)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : What Do We Know: Poems And Prose Poems (2003) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Août" (1983, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quand les mûres pen­dent
généreuses dans les bois, dans les ronciers
qui ne sont à per­son­ne, je passe

Toute ma journée dans les hautes
branch­es, ten­dant
mon bras grif­fé, ne pen­sant

À rien, enfour­nant
le miel noir de l’été
dans ma bouche ; tout le jour, mon corps

S’accepte comme il est. Dans les ruis­seaux
som­bres qui coulent par là il y a
cette pat­te épaisse de ma vie qui picore

Les baies noires, les feuilles ; et cette langue
en fête.

August

When the black­ber­ries hang
swollen in the woods, in the bram­bles
nobody owns, I spend

all day among the high
branch­es, reach­ing
my ripped arms, think­ing

of noth­ing, cram­ming
the black hon­ey of sum­mer
into my mouth; all day my body

accepts what it is. In the dark
creeks that run by there is
this thick paw of my life dart­ing among

the black bells, the leaves; there is
this hap­py tongue.

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Amer­i­can Prim­i­tive (1983)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Quand la mort viendra" (1992, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quand la mort vien­dra
avide comme l’ours en automne ;
quand la mort vien­dra et sor­ti­ra tous les écus bril­lants de sa bourse

pour m’acheter, puis que, d’un geste, elle la refer­mera ;
quand la mort vien­dra
comme la rouge­ole ;

quand la mort vien­dra
comme un ice­berg entre mes omo­plates,

je veux pass­er la porte pleine de curiosité, en me deman­dant :
mais com­ment sera-t-elle, cette cabane de ténèbres ?

Pour ça, je regarde tout
comme un frère et une sœur,
et le temps, je le vois comme une sim­ple idée,
et l’éternité comme une autre pos­si­bil­ité,

et je vois chaque vie comme une fleur, aus­si com­mune
qu’une pâquerette, et aus­si sin­gulière,

et chaque nom est une musique douce à ma bouche,
ten­dant, comme toutes les musiques, vers le silence,

et chaque corps est un lion plein de courage, et quelque chose
de pré­cieux pour la terre.

Quand ce sera fini, je veux pou­voir dire que, toute ma vie,
je suis restée l’épouse de l’étonnement.
Que j’ai été le mar­ié qui prend le monde entier dans ses bras.

Quand ce sera fini, je ne veux pas me deman­der
si j’ai fait de ma vie quelque chose de par­ti­c­uli­er, et de réel.
Je ne veux pas me retrou­ver soupi­rant, effrayée
ou pleine de jus­ti­fi­ca­tions.

Je ne veux pas finir après n’avoir fait que vis­iter ce monde.

When death comes
like the hun­gry bear in autumn;
when death comes and takes all the bright coins from his purse

to buy me, and snaps the purse shut;
when death comes
like the measle-pox;

when death comes
like an ice­berg between the shoul­der blades,

I want to step through the door full of curios­i­ty, won­der­ing:
what is it going to be like, that cot­tage of dark­ness?

And there­fore I look upon every­thing
as a broth­er­hood and a sis­ter­hood,
and I look upon time as no more than an idea,
and I con­sid­er eter­ni­ty as anoth­er pos­si­bil­i­ty,

and I think of each life as a flower, as com­mon
as a field daisy, and as sin­gu­lar,

and each name a com­fort­able music in the mouth,
tend­ing, as all music does, toward silence,

and each body a lion of courage, and some­thing
pre­cious to the earth.

When it's over, I want to say: all my life
I was a bride mar­ried to amaze­ment.
I was the bride­groom, tak­ing the world into my arms.

When it's over, I don't want to won­der
if I have made of my life some­thing par­tic­u­lar, and real.
I don't want to find myself sigh­ing and fright­ened,
or full of argu­ment.

I don't want to end up sim­ply hav­ing vis­it­ed this world.

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New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Roses, Fin d’été" (1990, trad. Patrick Thonart, 2023)

Qu’est-ce qui arrive
aux feuilles quand
elles virent au rouge et or et tombent
sur le sol ? Qu’est-ce qui arrive
aux oiseaux chanteurs
quand ils doivent s’arrêter
de chanter ? Qu’est-ce qui arrive
à leurs ailes rapi­des ?

Crois-tu qu’il y ait
un ciel indi­vidu­el
pour cha­cun d’entre nous ?
Crois-tu que quiconque,

de l’autre côté des ténèbres,
va nous appel­er, nous, vrai­ment ?
Au-delà des arbres,
les renardes appren­nent tou­jours à leurs petits

à vivre dans la val­lée.
on dirait qu’elles ne dis­parais­sent jamais, qu’elles sont tou­jours là
dans l’éclosion de la lumière
qui se dresse chaque matin

dans le ciel som­bre.
Et, der­rière un autre épaule­ment de collines,
en bord de mer,
les dernières ros­es ont ouvert leur fab­rique de douceur

et la ren­dent au monde.
Si j’avais une autre vie
je voudrais la pass­er entière­ment dans
une jubi­la­tion sans retenue.

Je serais une renarde, ou un arbre
plein de branch­es agitées.
Et cela ne me gên­erait pas d’être une rose
dans un champ plein de ros­es.

Elles n’ont pas encore été touchées par la peur, ou l’ambition.
C’est pourquoi elles n’y ont pas encore pen­sé.
Elles ne se deman­dent pas non plus com­bi­en de temps il y aura des ros­es,
et quoi après.

Ou n’importe quelle autre ques­tion futile.

Roses, Late Summer

What hap­pens
to the leaves after
they turn red and gold­en and fall
away? What hap­pens

to the singing birds
when they can't sing
any longer? What hap­pens
to their quick wings?

Do you think there is any
per­son­al heav­en
for any of us?
Do you think any­one,

the oth­er side of that dark­ness,
will call to us, mean­ing us?
Beyond the trees
the fox­es keep teach­ing their chil­dren

to live in the val­ley.
so they nev­er seem to van­ish, they are always there
in the blos­som of light
that stands up every morn­ing

in the dark sky.
And over one more set of hills,
along the sea,
the last ros­es have opened their fac­to­ries of sweet­ness

and are giv­ing it back to the world.
If I had anoth­er life
I would want to spend it all on some
unstint­ing hap­pi­ness.

I would be a fox, or a tree
full of wav­ing branch­es.
I wouldn't mind being a rose
in a field full of ros­es.

Fear has not yet occurred to them, nor ambi­tion.
Rea­son they have not yet thought of.
Nei­ther do they ask how long they must be ros­es, and then what.
Or any oth­er fool­ish ques­tion.

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House of Light (1990)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Des usages du chagrin" (2007, trad. Patrick Thonart, 2023)

(J’ai rêvé ce poème dans mon som­meil)
Quelqu’un que j’aimais, un jour, m’a don­né
une boîte pleine d’ombres.
J’ai mis des années à com­pren­dre
que, cela aus­si, était un cadeau.

The Uses of Sorrow

(In my sleep I dreamed this poem)
Some­one I loved once gave me
a box full of dark­ness.
It took me years to under­stand
that this, too, was a gift.

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Thirst: Poems (2007)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Vraiment" (2010, trad. Patrick Thonart, 2023)

Vrai­ment, nous vivons au milieu de mys­tères
trop mer­veilleux pour être com­pris.
Com­ment l’herbe peut-elle être si nour­ris­sante dans
la bouche des agneaux ?
Com­ment les riv­ières et les pier­res sont-elles pour tou­jours
soumis­es à la grav­ité
alors que nous, nous ne rêvons que d’élévation ?
Com­ment deux mains peu­vent se touch­er et le lien créé
ne jamais s’interrompre ?
Com­ment cha­cun peut-il pass­er, du plaisir ou des cica­tri­ces,
au récon­fort d’un poème ?

Pour tou­jours, lais­sez-moi rester à dis­tance de ceux
qui pensent avoir les répons­es.

Pour tou­jours, lais­sez-moi tenir com­pag­nie à ceux qui dis­ent
“Regarde !” et rient d’étonnement,
et bais­sent la tête.

Truly…

Tru­ly, we live with mys­ter­ies too mar­velous
to be under­stood.
How grass can be nour­ish­ing in the
mouths of the lambs.
How rivers and stones are for­ev­er
in alle­giance with grav­i­ty
while we our­selves dream of ris­ing.
How two hands touch and the bonds will
nev­er be bro­ken.
How peo­ple come, from delight or the
scars of dam­age,
to the com­fort of a poem.

Let me keep my dis­tance, always, from those
who think they have the answers.

Let me keep com­pa­ny always with those who say
“Look!” and laugh in aston­ish­ment,
and bow their heads.

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Evi­dence: Poems (2010)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Petit matin" (1992, trad. Patrick Thonart, 2023)

Le sel bril­lant au tra­vers de son cylin­dre de verre.
Le lait dans un bol bleu. Le linoleum jaune.
La chat­te qui étire son corps noir en quit­tant le coussin.
La manière incurvée dont elle répond à ma caresse ten­dre.
Puis elle lape le bol et le vide.
Puis elle veut sor­tir dans le monde
où elle se glisse légère­ment et, sans rai­son appar­ente, tra­verse la pelouse,
puis s’assied, par­faite­ment immo­bile, dans l’herbe.
Je la regarde un peu et je pense :
que ferais-je de plus avec mes mots inspirés ?
Je suis debout dans la cui­sine, penchée vers elle.
Je suis debout dans la cui­sine fraîche, tout est mer­veilleux autour de moi.

Morning

Salt shin­ing behind its glass cylin­der.
Milk in a blue bowl. The yel­low linoleum.
The cat stretch­ing her black body from the pil­low.
The way she makes her cur­va­ceous response to the small, kind ges­ture.
Then laps the bowl clean.
Then wants to go out into the world
where she leaps light­ly and for no appar­ent rea­son across the lawn,
then sits, per­fect­ly still, in the grass.
I watch her a lit­tle while, think­ing:
what more could I do with wild words?
I stand in the cold kitchen, bow­ing down to her.
I stand in the cold kitchen, every­thing won­der­ful around me.

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New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : FRANCOTTE, Cather­ine : Petit panier de frais­es à la men­the © Cather­ine Fran­cotte.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Quand je suis parmi les arbres…" (2017, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quand je suis par­mi les arbres,
par­ti­c­ulière­ment par­mi les saules et les féviers,
mais aus­si les hêtres, les chênes et les épicéas,
ils envoient de vrais sig­naux de joie.
Je pour­rais presque dire qu’ils me sauvent, chaque jour.

Je suis si loin de l’espoir de me voir un jour,
n’être que bon­té, et dis­cerne­ment,
et ne jamais me press­er pour tra­vers­er le monde
mais marcher lente­ment, et m’incliner sou­vent.

Autour de moi, les arbres remuent leurs feuilles
et lan­cent leur appel, “Reste un peu.”
La lumière s’écoule de leurs branch­es.

Et ils appel­lent à nou­veau, “C’est si sim­ple,” dis­ent-ils,
“et toi aus­si tu es venue
au monde pour cela, aller pais­i­ble­ment, être rem­plie
de lumière, et resplendir.”

When I am among the trees,
espe­cial­ly the wil­lows and the hon­ey locust,
equal­ly the beech, the oaks and the pines,
they give off such hints of glad­ness.
I would almost say that they save me, and dai­ly.

I am so dis­tant from the hope of myself,
in which I have good­ness, and dis­cern­ment,
and nev­er hur­ry through the world
but walk slow­ly, and bow often.

Around me the trees stir in their leaves
and call out, “Stay awhile.”
The light flows from their branch­es.

And they call again, “It's sim­ple,” they say,
“and you too have come
into the world to do this, to go easy, to be filled
with light, and to shine.”

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Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (2017)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Conséquences" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Par après,
J’ai sen­ti sous mon épaule gauche
la plus curieuse des blessures.
Comme si je m’étais appuyée
sur un objet vibrant trop fort,
elle saig­nait secrète­ment.
Per­son­ne ne con­naît son nom.

Par après,
par droi­ture plutôt que par rai­son,
j’ai repen­sé à ce gros Alle­mand
dans son pardessus mal ajusté,
dans les bois, près de Vienne, réal­isant
que les oiseaux s’éloignaient encore et encore, et
que même en marchant plus vite
il ne les rat­trap­erait jamais.

Com­ment vivons-nous cha­cun dans ce monde ?
Chaque chose en com­pense une autre, je sup­pose.
Quelque­fois un mal­heur ne fait pas de tort du tout,
mais au con­traire

brille comme la lune nou­velle.

Je pense sou­vent à Beethoven
se lev­ant, quand il ne pou­vait dormir,
trébuchant dans la pous­sière et les par­ti­tions frois­sées,
bail­lant, s’asseyant au piano,
traçant rapi­de­ment note après note après note.

Consequences

After­ward,
I found under my left shoul­der
the most curi­ous wound.
As though I had leaned against
some whirring thing,
it bleeds secret­ly.
Nobody knows its name.

After­ward,
for a rea­son more right than ratio­nal,
I thought of that fat Ger­man
in his ill-fit­ting over­coat
in the woods near Vien­na, real­iz­ing
that the birds were going far­ther and far­ther away, and
no mat­ter how fast he walked
he couldn’t keep up.

How does any of us live in this world?
One thing com­pen­sates for anoth­er, I sup­pose.
Some­times what’s wrong does not hurt at all, but rather
shines like a new moon.

I often think of Beethoven
ris­ing, when he couldn’t sleep,
stum­bling through the dust and crum­pled papers,
yawn­ing, set­tling at the piano,
ink­ing in rapid­ly note after note after note.

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Dream Work (1986)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Dormir dans la forêt" (1979, trad. Patrick Thonart, 2023)

Je pen­sais que la terre
se sou­ve­nait de moi, elle
me repre­nait si ten­drement, arrangeant
ses jupes som­bres, les poches
pleines de lichens et de graines. J’ai dor­mi
comme jamais aupar­a­vant, comme un galet
sur le lit de la riv­ière, rien
entre moi et le feu blanc des étoiles,
rien que mes pen­sées, et elles flot­taient,
aus­si légères que des papil­lons de nuit, dans les branch­es
des arbres par­faits. Toute la nuit,
j’ai enten­du respir­er les petits roy­aumes
tout autour de moi, les insectes, et les oiseaux
qui besog­nent dans l’obscurité. Toute la nuit,
je me rel­e­vais, je rep­longeais, comme dans l’eau, aux pris­es
avec un lumineux halo. Au matin,
j’avais dis­paru au moins une douzaine de fois
dans quelque chose de meilleur.

Sleeping in the Forest

I thought the earth
remem­bered me, she
took me back so ten­der­ly, arrang­ing
her dark skirts, her pock­ets
full of lichens and seeds. I slept
as nev­er before, a stone
on the riverbed, noth­ing
between me and the white fire of the stars
but my thoughts, and they float­ed
light as moths among the branch­es
of the per­fect trees. All night
I heard the small king­doms breath­ing
around me, the insects, and the birds
who do their work in the dark­ness. All night
I rose and fell, as if in water, grap­pling
with a lumi­nous doom. By morn­ing
I had van­ished at least a dozen times
into some­thing bet­ter.

Paru dans…
Twelve Moons (1979)

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JUARROZ, Roberto (1925–2021) : "Comment comprendre l’espace…" (1958)

Com­ment com­pren­dre l’espace
qui me sépare de l’arbre,
si son écorce des­sine les lignes
qui man­quent à ma pen­sée.

Com­ment com­pren­dre la par­en­thèse
qui va du nuage à mes yeux,
si les fig­ures du vent
délient le temps ser­ré de ma petite his­toire ?

Com­ment com­pren­dre le cri pétri­fié
qui gèle toutes les paroles du monde,
si de même qu’il n’est qu’un seul silence
il n’est au fond qu’une seule parole ?

Je ne com­prends pas la dis­tance.
L’ultime preuve en est l’espace absurde
qui sépare en deux vies
ton exis­tence et la mienne.

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Poésie ver­ti­cale (1958)

En savoir plus, dans la wal­loni­ca…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Poésie ver­ti­cale (1958) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © José Cor­ti.

BRATHWAITE, Edward Kamau (1930–2020) : "Ark" (2004, trad. Christine Pagnoulle)

Le dernier Body_Soul de Hawk
chez Ron­nie Scott à Lon­dres
11 sep­tem­bre 1968 _ suite

Hawk

dans un linceul de miroirs. ondées. han­té par les Jumelles
. voix de câbles croulants. Tours terr
-assées longtemps avant son temps ici fulg. urant l'avenir

  Rollins Bridge is fallin down

à lon­dres . où il arrive
ce tournoy-
ant temps doré

 arbres cédant leurs feuilles

tôt comme ceci . cette sai­son trot­toir pré­coce automne crissant
esprits vol.ants blancs comme chute
de neige chute de cha­grin

 dans le froid

embras­sant l’air ten­dre qui ne peut te
soutenir pas
de chaude pirogue mon sonû­gal

 qui ne peut . qui ne peut te soutenir
o mon amour mes pétales fra-
giles fanés flétris

 pétales d’amour de toi ce temps doré à lon-
dres pré­coce automne du pre­mier temps  s’effeuil-
lant brû-
lant les

traît­toirs
et les mar­ronniers. et tourn­er
le dernier coin s’engouffrer chez Ron­nie Scott

les lumières bais­sées déjà même au bar
la salle bondée ten­due serveurs silen­cieux
ce soir. là toutes ces années

un son jamais vu
jusqu’ici . monte sur scène aux applaud­isse­ments frémis­sants
sous le choc pour toutes les fois où nous ten­dons

nos oreilles à sa force fruitée, au ton­nerre
le saut
sou­ple du Mis­souri stomp en do dièse

                                                                                          au
blues coun­try uptem­po. la grâce
brune con­va­in­cante insoucieuse de Hawk qui approche

qui main­tenant se dresse len. tement sous les spots de Lon­dres
dégin­gandé et frêle . crinière clairsemée et grise
la musique qu’il com­mence à bal­ancer si im-

per­cep­ti­ble juste un rêve sur
ses lèvres . les pre­mières notes chu-
chotant quelque chose comme la mort

de toutes les cer­ti­tudes con­nues .
nos usages . notre force
fonçant à tombeau ouvert les tombereaux

de notre avenir caram.
bolent et soudain dans cette intim­ité inau­gu­rale
il sem­ble ne pou­voir jouer les créa­tures de dieu petites et grandes

pour­raient ne pas avoir la force de faire swinguer
son souf­fle dans cette embouchure courbe de plas­tique placide
la faire respir­er

et sûr . et la faire fris­son­ner vivace comme les tours
de sa métro­pole ouvrant nos oreilles pour nous clore les yeux aux sourires
et nous rassem­bler en un moment

mag­ique que lui seul pour­rait calmerde myrrhe et de sel d’anageda & de can­nelle sur notre
chair

Et alors le souf­fle revient . lent . vac­ill-
ant d’abord
et puis il sem­ble cham­bouler incon­nue dan­gereuse

une lumière
bien loin à l’horizon  . frais
vols clign/otants, une grande flotte tra­ver­sant la flu­ide

nuit & l’air là-haut
une grande marée mon­tant mon­tant osti­na­to  vers lui sur le
podi­um grand

main­tenant . le saxo s’étirant argen­té jusqu’à envelop­per
l’or du cor . et c’est à nou­veau Hawk
et nou­veau . le doux cri soule­vant les plumes de tous les sons

autour de lui .  pli-
é et déployé comme le chœur presque chant
du coq nous atteint  dans cet air dis­tant de New

York par delà ce que nous appelons vieil­lesse . infir­mité . la perte
de l’el dora­do le para. box du para. dés . vie
dans ce petit jeu roulant de pirogue chau­vi­rant au hasard.

Car ceci est quelque chose d’autre . autre autre
chose . loin loin au-delà de ce que jamais nous auri­ons conçu . anti-
cipé quand com­mence la muse

ique. croyons
que nous con­nais­sons de la muse
douce­ment rageuse piège et image et col­lage . croyons
que nous parta­geons l’homme qui fait cette mus . ante musique

et que avec la folie faite hommes en cette sai­son
d’été indi­en et pas­toral il n’y aurait pas déclin de pou­voirs .
nos han­ti. cipa­tions là en plein éveil et presque toutes ac-
com­plies . pas encore l’hésitation en sus­pens . cuiv­rée . coupable

les yeux liq­uides séduisent  bercent scin­til­lent la pause
avant que les clés ne com­men­cent à tourn­er
le coin du globe . et ain­si mal­gré la chute
des pétales de prière – rien ne se fan­erait – ne se flétri­rait.

Mais ceci est quelque chose d’autre . autre autre
hose
autre autre chose au-delà du par­a­digme
loin loin au-delà de la lim­ite

            du para .
dés . que ce que nous faisons . faisons bien pour­rait bien
dur­er longtemps longtemps après que le pre­mier souf­fle dé-

faille . après la chute des dernières feuilles des dernières graines
à tra­vers cet air de Lon­dres la mince
et creuse image de Hawk

seul enc­los dans la lumière
comblant lente­ment son ombre  au pied du
micro. le pre­mier pas

gauche, tout tout pre­mier pas. pre­mière
attaque con­fi­ante de notes leg­ba . écar-
tant le silence pour que l’homme se remette à marcher sur

la fraîche eau laconique . ploy-
ant les genoux pour saluer la sen­sa­tion
du pou­voir qui revient

les pétales . accordages . les som­bres ros­es de mag­no­lias
les change­ments . riffs
flam­boy­ants

ain­si le bassiste  peut repren­dre sa pose voûtée son sourire habi.
tuel . cuiv­re betcha betcha des cym­bales et radar glous­sant tzi
ing aper. cevant où nous sommes
à avancer ensem­ble vers le Nil fer­tile

nous sou­venant rede­venant entiers & puis­sants
les paniers de bol­gatan­ga débor­dants & oranges
généreuses & radeaux de canne à sucre . jus

frais sirop de tamarinier. à mi chemin de l’allée
le sax­o­phone axe + axé mijotant la salle d’obscurité enfumée
avec une gaie. té que nous savons main­tenant ravie à nos yeux par

trop d’inattention . lour­deur langueur las­si­tude morne
dés­espoir impuis­sant ravageur
le clapo­tis brisé de l’eau qui s’infiltre dans notre unique pirogue
. peut-être notre dernier bon temps à lon­dres

mais un jour cer­tain de l’avenir de new
york.  sa majesté mag­ique énig­ma­tique fleuris-
sant la salle . la lueur de son

corps le seul mot que nous ayons pour ce qui est – cet éber-
lue­ment autour de ces tours futures de son chef d’œuvre solo
se dres­sant à nou­veau sonore vers la croix d’argent

d’un jet qui approche . dis­séquant dans le bleu
la pleine mosquée et présages blancs de la lune
juste des après-midis avant . haut au-dessus de Berke­ley Square .
au-dessus de

Heroes Square . au dessus de Wash­ing­ton Square. Wall Street
Canal. Le cimetière des nègress. corps . corps . corps . corps
se déver-

sant de ce som­bre strom­boli de Man-
hat­tan dans de con­fus­es cat­a­combes de dis-
pari­tion d’amour et grâce et douleur & brûlure per­sis­tante .

le cénote de cristal effon­dré . les
tôles styrées fendues éclatées spi­ralant du vol­can
muet en cloche de fumée

leurs vit­res . éparpil­lées en mélopées étran­glées
vers la valence mas­ca­rade d'un sol loin­tain.   le chant
brumeux mon­tant des puits du car­nage . quelque part .  quelque

pesant don-
jon errant par­fum loin­tain échec de l’ibis
cette nour­ri­t­ure & promesse d’un mir­a­cle . mais pas encore pas

encore. même si nous le savons en route tan­dis que nous comp­tons
les maux les morts les mutilés le grince­ment le coût écra.sant
les débris les petits les aveu­gles tombant de l’air car­bone

& claque­ments lacéra­tions des blessés
amassés . odeur de car­nage
de chair tor­due et imprimée sur les fers . chair

dev­enue sel . sel de-
venu bran­don gru­au car­bon­isé cen­dres cen­dres éclair de
larmes . les larmes au bout des doigts comme goudron

le noir col­lant  brouil­lages brûlés bom­bardés
lacérés le dia­mant
les gens marchent sur leur cœur en bouil­lie & vivent ds la lune

et d’autres s’arrêtent écartelés à demi vivants atten­dent
mon­tée d’une bur­ka de pous­sière & mon­stre tout autour
de nous dans ces vagues rugis­santes et ven­tre de rage qui chu­chote main­tenant

un al-quai­da lové noyé devant nous et sous nous
bien-aimés descen­dus  dans les arêtes de ton­nerre démo­ni­aque
descen­dus dis­parus dans la ruée as . pirée d’air
hurlant de lave et de cimetière mes petites filles chéries chéries

o hurlez héros . Hiroshi­ma . au quelle dom­mage
. quel Agent Ornage kora

 souf­flées avec leurs rubans . pré­cip­itées dans le caniveau
leurs douces huiles rouges
tachent le silence de park­ing et sif­fle­ment de minu­it nucléaire
éveil­lant lente­ment les larges trot­toirs blan­chissant s’élargissant

toc toc à la porte des cieux

mon oncle du Coin des Bonnes Affaires chez Filene
n’ira plus jamais y acheter ni là ni nulle part si mer­veilleuse­ment .
sa lèvre de titane cell.ulaire si affamée naguère de don­ner des
nou­velles ne se plain­dra plus du 92e étage

on n’a pas trou­vé son corps . on n’a pas trou­vé son télé­phone
quelque part dans le vaste fleuve béant des pléni­tudes de la
blessure de la ville . il est aveu­gle lig­oté et béd.ouin échoué

on ne peut même pas partager le chu­chote­ment sans voix sans
fil de son des­tin . pas savoir s’il a sauté ou brûlé
pas savoir s’il est encore là-haut s'il est tombé

Et ain­si ce matin veille de sans lumière ni choix
je ne puis nag­er
la pierre . je ne puis m’accrocher à l’eau . je me noie
j’avale aban­don­né . je tourne et dé-

vale dans la peur suf­fo­cante . une nuit si pro­fonde qu’elle fait
tourn­er et pleur­er la file d’araignées de l’avenir que l’on voit fil-
ant ici leur voix d’argent
de larmes . les bijoux de leurs yeux sans . paupières ni éclat

à tra­vers les coups de cette éter­nité . je me débats, je brûle
et quand j’émerge léviathan des pro­fondeurs .
noire luit ma peau
de phoque . de noirs galets é . den­tés minent la rive

han­tée par pous­sière et brome
mon­tres bracelets sans marée
ni son
com­mu­nion sans mains

brisées   x-
plo­sions de frus­tra­tions . drones .
transsub­stan­ti­a­tion de la sueur
de haine . les lèvres rubis absentes

sur le bord trem­blant
du vin . je m’éveille au top
pour te dire que dans ces eaux sonores de mon pays

il n’y a ni racine ni espoir ni nuage ni rêve ni bar­que à voile
ni mir­a­cle ten­ta­teur . bonjour ne peut com
penser mau­vaise nuit  nos dents rica­nent mor­dent

même l’acier en fusion
des ren­con­tres vespérales d’anges sans défense
dans ce nou­veau jardin fer­mi­er des délices de la terre

cet incon­nu d’injustices vac­il­lant
descen­dant brin­que­bal­lant la roue et cime-
tière du vent . les rues étroites comme des en faux

air clair pour un moment . claire
inno­cence où nous courons si si si si nom­breux . la foule
qui coule

sur le pont de Brook­lyn . si si nom­breux . je ne pen­sais pas que la
mort en avait défait autant
. se fond dans ce qui devient soupir
fanal lumineux de l’avenue vide à jamais

notre âme par­fois déjà loin devant nos apparences
et notre vie se retourne
sel comme à Bhuj à Grenade . Guer­ni­ca . Amrit­sar . Tad­jik­istan

les cités hagardes frap­pées par le soufre des plaines
de l’Etna . Pelée . Naples et Kraka­toa
les jeunes mères enfants veuves à la vit­re pros­ti­tuées

revoient le passé comme en Bosnie . au Soudan . à Tch­er­nobyl
Oax­a­ca ter­re­mo­to incom­pre­hende . al’fata el Janin . à Bhopal
bébés tètent le lait tox­ique . nos langues empâtées alour­dies

s’habituent à quel est le mot qu’il n’y a pas en français
au-delà de Schaden­freude pas pas du tout
comme fado dodona ou duende  ce moment sur un pic à Darien

Bal­boa ü Mai Lai

Ain­si donc quel est le mot
pour cette haute poutre de sui­cide . la colombe de la corde
étouf­fant la gorge qui roucoule douce­ment des prêtres de la                                                                                                      réus­site

le choc

de votre mort dans la fis­sion du bour­bier
de la dette. gâchis . vif-argent virant à sable
mou­vant et déver­soir . boy­aux mous de sida de Mon Frère . les

jeunes sat­urés du goût de la mort dans le chau­dron d’eau bosselé
quel prophète ma langue
avec la perte tsuna­mi de Ma Mère le Nom, l’é-

chec de l’espoir d’angéliques tombées. les alpha­bets s’entassent
à l’envers dans ma bouche
de mélass­es . ban­dalou . babel. et l’écrou-

lement du plâtre sur ces voix ces par­ti­tions
dub rap hip-hop scouse . la chaîne
qui barre les marchés de Mar­rakech

mijotant de vieilles blessures de verbes dis­parus qui peu­vent guérir
. de bap­têmes dis­parus qui hurleront
ton nom du som­met du désas­tre. adjec­tifs déjà en-

volés en tin­ta­marre . flâ­nant dans la honte . le silence de pour­ri­t­ure
des non-cieux tor­rides . les hor­ri­bles fours de kapo de la bête
sur l’aire à rat de ta syphilis. pied

plat de la peur . l’animal incon­nu avide
qui est ta sœur sybille à la porte
du par­adis les qua­tre

petites filles xplosées de Bir-
ming­ham cette ku-
klux chré­ti­enne nuit de taber­na­cle à Sodome & Herero Alaba­ma

flim

& ter­reur volant au vent Nya­ma­ta Rwan­da . les pau­vres de bom-
fin gouges de pierre et failles de nos pa-
lais décorés . la veuve aux ros­es à la vit­re à . jamais cher-

chant dans la frus.tration sur le siège arrière criblé
de balles de sa lim­ou­sine son héros héros de prési­den­tiel époux et
son cer-

veau éclaté en con­fet­ti à Dal­las . le champignon fulig­ineux de la
Mort Noire de Dieu à Nagasa­ki . les exploits de Pol Pot
la Grande Pyra­mide de Crânes du Roi Léopold au cœur du Con­go

belge

comme Judas venu au Chriss . comme le léopard venu à l’agneau
juste sur ce som­bre sol in.égal de cat­a­stro­phe où bien­tôt
les vis­ages sauriens dévastés des morts nous dévis­ageront

de leurs orbites cli­que­tants . le ten­dre lan­gage irie
de leurs prières
douces lames d’yeux chan­delles en psaumes de douleur et                                                                                                         inno­cence irie

de pho­tos de ruines et jeunes cœurs clig­no­tants d’ours
en peluche d’enfance con­tre l’encens des grilles noires
et luisantes des parcs . tous leurs oiseaux

par­tis
esprits de feuilles de céré­monies de verte végé­ta­tion
par­tis

Rita Lasar Joseph O’Reilly Masu­da wa.Sultan . ses neuf enfants
par­tis
Fitzroy St Rose l’Echelle de 16 mètres tant de mil tant de mil­liers

par­tis
il sem­ble que presque tous ceux mon­tés tra­vailler là ils sont
par­tis

comme le jour où tu m’as fait avaler le bout de ma langue
dans les vil­lages. en suiv­ant les traces
de pas de moi-même moi-même . la détresse

de mes pro­pres fleuves de cette chair
qui le ressent le sait Seigneur !
ma pro­pre cen­dre mon pro­pre alpha . mes pro­pres lim­ites de cri

com­ment tu m’as fait chanter ces étranges meschants dans un                                                                                                             étrange pays

si loin de musique sexe et saxo
& rien rien rien de neuf

tout naufrage
tout épave . et
tombant du bleu vers des champs sonores
Iran Irak Colom­bus Ayi­ti Colom­bo Bey­routh Man­hat­tan                                                                          Afghanistan et toi

<

J’étais sur les march­es du City Hall – dans toute cette pous­sière
et je savais que Ter­ry [son mari, le cap­i­taine de l’Equipe] devait être

… à un des étages, aus­si haut qu’il pou­vait attein­dre … dans ce bâti­ment …
car c’est ce que fait sa brigade … et quand j’ai vu tomber le bâti­ment

j’ai su qu’il n’avait aucune chance

par­fois je me tra­casse à me deman­der s’il avait peur … mais … comme je le con­nais

je pense qu’il était con­cen­tré sur ce qu’il avait à faire … par­fois ça me met en colère

[ici elle a un petit rire de cha­grin]

… mais je ne crois pas qu’il …
je pense qu’à l’arrière de sa tête … il se demandait plus où
j’étais ? si j’étais assez loin … de ce qui se pas­sait ?
Mais je ne pense pas qu’il envis­ageait … qu’il ne ren­tr­erait pas à la mai­son

et par­fois ça me met en colère … presque comme s’il ne me choi­sis­sait pas … ?
Mais je ne peux pas lui en vouloir … il fai­sait son travail…il était comme cela
et c’est pour cela que je l’aimais tant

… donc je ne peux pas le lui reprocher …

son ami Jim m’a dit qu’il a vu entr­er Ter­ry et Ter­ry lui a dit
peut-être qu’on ne se rever­ra pas
et l’a embrassé sur la joue …  et il est mon­té … en courant

[dans la tour­mente de flammes de march­es hautes étroites brûlantes sans retour de la Tour Nord]

… quand le bâti­ment est tombé …
… j’ai juste sen­ti une décon­nec­tion totale dans mon cœur …
c’était juste comme si tout m’était juste arraché de la poitrine

je pen­sais que Ter­ry était juste

i n c i n é r é

je grat­tais la pous­sière … du sol … en pen­sant qu’il était
dans la pous­sière

Bethe Petrone lors de l’hommage aux héros du 11 sep­tem­bre
(HBO/Tv Memo­r­i­al Trib­ute, le 26 May 2002)
pour elle-même si belle
et pour toutes les femmes du monde de ce poème – je voudrais avoir leurs
mots – à New-York, au Rwan­da, à Kingston, en Irak, en Afghanistan
Quand son mari est mort le 11 sept. il ne savait même pas qu'elle était enceinte

J’ai per­du mon mari … mais je pense qu’il a fait …  de son mieux
… parce que je crois vrai­ment que quand Ter­ry est arrivé au Ciel …
il avait tant de points en sa faveur qu’il a plaidé pour cet enfant parce qu’il savait
que ce serait la seule chose qui me sauverait

… Et … je pense que de ce point de vue …
…  j’ai eu …  [… ] … je vais vivre …  j’ai encore quelque chose de Ter­ry …
… que je vais voir en mai …

Et tant de gens de la Pomme n’ont pas cela

alors je me dis que d’une façon …  j’ai eu de la chance …  mais sinon
[ici elle essaye de sourire]

… c’est clair …  je n’en ai pas eu
[et d'un geste elle fait excusez-moi]

>

Ain­si même en ce moment

rap­pelons-nous les pau­vres et les déshérités
qui ont froid et faim. les damnés de la terre

 les malades de corps et d’esprit . ceux qui porteront
le sol en flammes la frac­ture du deuil sur leur vis­age
les estropiés les soli­taires les anonymes sans amour à don­ner
ou recevoir

 les vieil­lards déglin­gués au nom de Dieu . les petits enfants
accordéon sans trace qui glanent dans les rues sans mois­son de
Rio Mysore Sre­breni­ca nul qui ne con­naît ni ne con­naî­tra la pure
ten­dresse vivante aimante du Seigneur sur un autre rivage

Et la mélodie presque évanouie main­tenant du solo
juste son doux frémis­sant éche­veau d’archipels
juste wal­ter john­son et les boys le sou­tenant  dans ce

cer­cle et mariage de lumière
dans l'harmonie de tes accords . les pétales repliés de métal cuiv­ré se
déploient sur le ténor tin­tant qui tombe en lentes spi­rales
de ton chant

& tombent ici tels des plumes de moineaux mélan­col­ies
o mon amour
mais dressés encore dressés là d’où tu as été pré­cip­ité

en bas des murs de pour­pre & d’orgueil & fir­ma­ment
les rich­es demeures-pris­ons où pix­ie et yeux mul­ti­ples
dégringo­lent dans le gron­de­ment

de la marée d’épines et de rochers . et de détri­tus . trônes
trônes ren­ver­sés d’une Baby­lone où tu de-
meures . souil­lé . ce furent tant d’après-midi de lyn­chage

étrange fruit gravé de soli­taires cru­ci­fix­ion où sont sys­té­ma-
tique­ment cassés mains et os cata­toniques tant
de cordes de gui­tare cassées . un tel dégât essen­tiel

dans des salles de bain aux car­reaux blancs des palais de la police – le sen­ti­men­tal bal­ai de gom­or­rhe
dépasse . o Hawk louima lové.  ton angoisse haï­ti­enne brisée

°

avec ton frêle solo rageur
brûlant dans la lumière changeante de cette salle si bleue
si indi­go

°

les plumes tom.bent vo.lent tom.bent é.chouent tom.
bent dans ce nou­veau
mon­u­ment new yorkais de froid mor­tel & aber­fan

où tant de gloire  est un coup
de dés . soleil
vert si vif que les ombres quand on marche dessus

sont épines rouges & brû.lantes & muhar­ram
. tant tant d’enfants abikù & nés
avec la mort et leurs his­toires en lam­beaux per­dues et non-dites

°

Ces enfants font fils et mères
cte bande avec toi du monde tru­cidé
mais leurs godass­es sans tête sans appui
bail­lent et rient . vi- sans abri les enfants de femmes
dant sang du IIImonde aban-
dans le sol don­nés aux march­es d'un hôpi­tal
brûlant sur des trot­toirs défon­cés
  pleine loi pleine ran­coeur
ô reviens Black Hawk sur des sites
reviens reviens décon­stru­its sans lumière
  dans des brèch­es
monte au pignon des palais
le son noir plus fort dans les feuilles de bananier
qu'il laboure encore bien en vue . la cab­ine
des champs de patientes ter­rass­es de ser­vice de nos
longs rugisse­ments soli­taires voitures de chemin
de maïs pour Gins­berg Whit- de fer . dans des touffes
man pour Hart de roseaux sans
Crane pour Louis Ornette tou- joie . dans l'osier
jours pour Rollins et pour bien tressé
Trane . pour vent pour le cor­bil­lard de métal
pièges pour tours tun- dans le cheval de Troie
nels sous blessures & sous terre men­tal . trois cent
et sous fleuve . esca- cinquante hommes du feu
liers se déver- eux
sant sans fin mêmes de-
dans le vide venus feu . les machines
sans issue sans sur- de braise ardente de
prenante échap­pée sans leurs yeux hurlant
grâce sal­va­trice encore ishak me-
pour tous les shak et abed­ne­gro

Αin­si vivons-nous main­tenant
à l’intérieur de cet après-midi
cré­pus­cu­laire . bonne

journée je répète
ne peut com­penser mau­vaise
nuit . nos dents rica­nent

mor­dent
même des anges
impuis­sants dans ce

nou­veau jardin
de pous­sière des
délices de la terre

les papiers dis­per­sés
du plus haut monu-
ment du com­merce

mon­di­al . ces let­tres
au soleil
des esprits

bric à brac blanc
des morts
des tours

oiseau pierre chair
passera sera pajari­ta
et de ce qui est encore à

dé-
faire dé-
faire

main­tenant vo-
lant tris­te­ment par-
fois dou-

cement par-
fois chose
ver­tig­ineuse dans le tran­chant soudain

de colombes
chauves dans la
lumière du ciel

comme des désas­tres
d’étoiles clig­no­tantes
dans la vie

du bleu
°

tout comme toi
qui viens qui viens chaud  kon­nu
comme à la fin de cette longue ten­sion et pal­im

de ton chant

Et comme j’entre
dans le club
Rollins Scott
où tu as joué
ton des­tin
où tu te
dress­es presque
dépouil-
lé de ton roy-
aume tré-
buchant d’abord dans de faux
arpèges de faus­set
mais pas­sant du bémol
au plein vol
du corps
du son
non plus tout seul
en quelque fiat
de pou­voir
per­so
jouant
ta muse jusque au-
delà de la butte
du mo-
ment et mou-
vement du chant
dans la mé-

moire esprit
ailé de
la flûte
dans tes os
car aus­si long-
temps qu’il y aura
ce ten­dre para-
chute
du blues
dans le(s) doux
saxophone(s)
de ton chant
il y aura
chant
il y aura
chan­son

mais même si je dis toutes ces choses
écris ain­si de toi
revis et ressens et relève toutes ces choses

comme je dis
si proche de soi de moi-même que même ce
froid ou la chaleur de ces habits de douleur

et même si je vais écrire ceci en feu. par le feu. à tra­vers la pous­sière du
désert de pas.  dans le vor­tex de l’arche du tour­bil­lon titan­ic
où ma man­man se rap­pelle même pas mon nom

et je ne sais pas pourquoi ce rid­dim advient advient advient advient
ce que veut dire ce poème ce qu’il sig­ni­fie une fois fait
quand vien­dra son temps d’oracle cer­cle et appel et je devrai affron­ter
la musique
devant toi et le lire tout haut tout seul

quand le sang dans la voix portée à tes oreilles
s’épandra en autant d’échardes autant de larmes si vaine­ment répan­dues en muti­la­tions si vaine­ment partagées . con­stel­la­tions trop cru­elle­ment déplacées trop de minu­its accordés au désas­tre

beauté cul­tivée en vas­es et sculp­tures . charismes élec­triques . céra-
miques écroulées . pou­voir pan­to­cra­tique hale­tant sous la frise
et la vigne tombée enroulée autour du pili­er de l’Empire Romain d’Occident
. où que je me tourne . j’entends le ton­nerre .

si j’essaye de dormir . éclabous­sures de fusil­lade et pil­lage . bris­es sul.furieuses
même si je vais en touche aux arbres noirs syco­rax je sens qu’ils reti­en­nent
le fruit qu’ils offrent encore offrant du sel avec les cen­dres som­bre crispa­tion du pét­role leurs fleurs de cerisi­er
por­tant les uni­formes oranges de la souf­france entre­vue

le long des bar­ri­cades de bro­cart d’abugraib guan­tanamo ther­mopy­les
wound­ed knee
la voix laborieuse à la radio deman­dant où sont les tulipes qui ouvriront la porte aux colombes tue tue tue tue

tortue tor­tu­ga tor­ture pornographique
images d’Irak Afghanistan Cortez Con­quis­ta­dor
cheva­liers d’armoiries en armure bull­doz­er sans amour revêtues de buf­fle
6000 milles de dis­parus . Chili . Incas . Tupac Amaru
les 6000 milles de la Grande Muraille de Berlin de Belleville-Bar­bade
de Chine

de Gaza Pales­tine aveu­gle dépos­sédée . con­traintes immu­muri­ales de la vie par delà la loi
où est la vérité l’honneur la beauté la perte brûlée au matin
où est l’ . où est l’ . où est l’amour
pais­i­ble comme à Koshkonong sur le lac de Black Hawk atten­dant le chant
de Lorine Niedek­er vue par Cyn­thia Wil­son

Hawk

dans un linceul de miroirs
han­té par ondées
fleurs tombant

longtemps avant son temps ici avenir
ful­gu­rant
où il arrive

ce temps doré
pré­coce comme celui-ci
cet automne pré­coce de new york

frais le frais le clair les tours qui tombent
o laisse-moi
ma bien-aimée

aXe

aXe

àXé

°

devant ces mon­des de fer de griffes tombant
je te perds
toi

à tra­vers grilles brisées affais­sées de tombes d’eau
je te perds
toi

ces mots pour des guer­res sou­veraines
je te perds je te perds
toi

- même dans la tour en
feu de ce sax­o­phone
o laisse-moi t’aimer t’aimer t’aimer o

rede­venir grand & beau
que les mers se déri­dent & que la terre soit grain
les arbres patients ancêtres & que nos prières appor­tent la pluie
les his­toires de tous ces autres peu­ples aus­si cru­els & aus­si braves.

Ain­si si nous nous tenons par la main . chair
de chair déchirée sur os vivant . sous
la chair . le sang comme un gant roucoulant de frères et de sœurs

Ain­si si nous nous tenons par la main . accrochant
tout ce que nous sommes à tout ce que nous voudri­ons devenir
ton cœur & mon cœur

& mon cœur & ton cœur
& l’innocence de l’oiselet à jamais à jamais
enflam­mant le trébuche­ment de là où nous allons

réu­nis­sant la cour­bu­re de la vague de l’univers
cette chaîne d’esprits à l’exigence du bleu
cette clameur mon­tante qui n’est que toi

asso­cié par nos oura­gans & rage de cœur
ce cer­cle auréole de mir­a­cle
où nous accé­dons

étrav­es
étoiles
loin­tains
voy­ages
sil­ice tombe
comme ton­nerre
dans val­lées
sans forêts
angoiss­es de cataractes flu­viales
fal­lu­jahs & leurs con­so­la­tions
inondées d’argent
ombres de cal­ices sans épi-
neux ni buis­sons
ombres pro­jetées dans la mosquée
déchirée de Tombouc­tou
le vieux baobab impa­vide du Niger
presque muet à présent
les lamelles de clair de lune à Sind
feuilles douces du Rwan­da les douces
rues de pluie bal­ayant Lon­dres
les hauts fan­tômes de verre
une fois de plus in memo­ri­am man­hat­tan des casuar­ines
cette cité finit
O  filles
où com­mença son his­toire son his­toire com­mence
… ces eaux …

Ain­si
si je te tiens la main
tis­su . doux . espoir . tenu le mal à l’écart en attente
& tu me tiens
la main
repos . repos . rose . proche de la fin du jour
& tu lui tiens
la main à elle
je ne veux pas y penser . si proche du jeu
des dunes
de mon cœur dans ta main
& ta main
dans sa main à lui
Danse Mona Lisa Danse
(si tu le veux)
& sa main à lui
est sa main à elle

et sa main exacte­ment ton mal
dans son cal­ice . accep­tant ta souf­france
pluie drue implaca­ble­ment péni­tente

au nom du Seigneur des eaux calmes
dans les som­bres feuilles les palmes de tes mains
où l’arbre de nos mains est pour tous

ô ten­dre vent de baume des champs
de canne au loin

vivace + vert + radi­ance

Que la paix soit . sur le pays

Que la paix soit . sur le pays

Hawk

dans un linceul de miroirs
han­té par ondées
chute de feuilles

longtemps avant son temps ici avenir
ful­gu­rant
où il arrive

ce temps doré
pré­coce comme celui-ci
cet automne pré­coce de new york

arbres cédant leurs feuilles
si bien qu’enfin nous les rassem­blons dans leurs mes­sages
chu­chotés leurs douces sor­cel­leries secrètes de salut

ne les perds plus jamais
ma bien-aimée
dans cette moi­teur dans cette dureté dans cette douleur
dans ces cha­grins

frais le frais le clair la chute des tours

o laisse-moi
ma bien aimée
dans ces brais­es man­hat­tan de nos années

dans ce sou­venir de nos peurs en avers­es impuis­santes
si dif­férent main­tenant ce nou­veau sep­tem­bre de ces années
cer­taines vers la fin . cer­taines vers le début de leur longue gayelle

o yer­ri yer­ri yer­ri yarrow
o silence hâvre salut

ain­si laisse-moi
ma bien-aimée
t’aimer t’aimer t’aimer t’aimer

vivace + vert + doré

body

body & soul

Paru dans…
Ark (New York & Kingston : Sava­cou North, 2004, trad. Arche)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : tra­duc­tion de Chris­tine Pag­noulle et Annette Gérard (cette tra­duc­tion fait par­tie d'une série de trois poèmes présen­tés par Chris­tine Pag­noulle dans l'article Trois poètes, trois plaidoy­ers pour la paix (2021) : HULSE Michael, La mère des batailles (1991) traduit de The Moth­er of Bat­tle (Hull : Lit­tle­wood Arc, 1991) ; SCHWARTZ Leonard, Nou­velle Babel (2016) traduit de The New Babel in  The Tow­er of Diverse Shores (Jer­sey City NJ : Tal­is­man House, 2003) ; BRATHWAITE Kamau, Ark (2004) traduit de Ark (New York & Kingston : Sava­cou North, 2004) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Bar­ba­dos Under­ground.

SCHWARTZ, Leonard (né en 1963) : "Nouvelle Babel" (2016, trad. C. Pagnoulle et A. Gérard)

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Babel, c’est bien sûr la chute d’une Tour, et après, grande con­fu­sion et manip­u­la­tion de paroles.

Babel, c’est aus­si babil, com­mence­ment de la langue, avant qu’elle ne soit langue, quand elle est encore chant.

Babel, c’est donc un début et un écroule­ment – Ground Zero, du moyen-anglais grund et de l’arabe zefir, chiffre, latin­isé en zéro.

Babel, c’est défi lancé au démi­urge, inso­lence du cœur, zig­gourat pointée vers des soleils à naître, dans la bouche la bouche comme désir : l’homme crée les dieux.

Où avant se dres­saient le Phal­lus du Nord et le Phal­lus du Sud bée désor­mais une fente embrasée, fumées au gré des vents.

La fumée con­tient des corps ; nous nous entre-respirons. Ain­si Babel, c’est Kaboul. Nous nous entre-respirons.

Comme Arès cou­ve toutes les cap­i­tales du monde : frag­ments de sièges tournoy­ant hors de cock­pits détournés, des étrangers qui s’éberluent devant des cratères de Mars.

Babel, c’est Kaboul : Babel, c’est une Bible dans une com­mode de motel à Birm­ing­ham, Alaba­ma : Babel, c’est l’esplanade de Bat­tery Park et les pas­sagers en attente à l’aéroport de San­to Domin­go.

Babel, c’est la plus jolie fille de tout Kash­gar, cheveux noirs, yeux noirs, peut-être treize ans, en robe rouge écar­late, qui fixe avec admi­ra­tion l’étrangère entrée par hasard dans sa ruelle, et douce­ment, timide­ment, artic­ule cette seule phrase en anglais, adressée à la dame : ‘How do you do ?’

Babel est bravoure, ses bours­es en ont fait baver, notre métro­pole démesurée con­tin­ue à vis­er les som­mets.

Babel, c’était la Mésopotamie, seule super­puis­sance de son temps, retombées de Gil­gamesh, Irak d’aujourd’hui.

Babel, c’est Bag­dad, Babel, c’est Bel­grade, Babel, c’est notre bal­con, un cen­tre qui sans cesse se déplace et se renomme – World/Trade/Center.

Babil en trois langues, babil en trois mille langues : mets donc une bavette.

Un bébé babil­lait de lions qui man­gent des livres. Et les lions mangeaient des livres : Babel, ce sont des livres dans les rayons de la Bib­lio­thèque Inver­tie.

Rien de vil à Babel : la parole de l’un est la muse de l’autre. Alors : les bom­barder de beurre.

Voici la lame qui abolit Babel, voici les sil­lons où Babel com­mence, que nulle semence ne peut boy­cotter.

Babel rince ses géni­teurs dans le cha­grin, Babel récom­pense ses créa­teurs avec des couleu­vres, Babel est nais­sance, recon­stru­isant avec des grues toutes sortes de crimes, de même que la vie est un poignard, que toute guerre com­mence dans quelque débâ­cle de lit.

Qui se rasa le con au cut­ter : nés des décom­bres, ‘ba’ pour papa, ‘ma’ pour maman, des babouins sacrés en patrouille à ses fron­tières.

Babel est Boud­dha qui se passe de mots, Babel est accou­ple­ment, ton­nerre, blanc de baleine et pluie, Babel est oppro­bre,  Babel est hache et axe, Babel est Bush-ben-Laden et les médias.

Tan­dis que de hautes façades s’effritent comme parois de schiste, mon­tagnes déver­gondées, le Cap­i­taine FBI ne peut que s’excuser au pas­sage ‘Bavure’.

Babils de vagues, babils de quais, de marchands, d’entrepôts, ville fière de son fer et de ses cerveaux : babil van­tardise babil ser­mon babil ce mot sur le bout de la langue ou les ennuis qui pal­pi­tent dans les naseaux du tau­reau.

Je tombe avec la Tour de Babel.

Jamais je ne peux me réjouir d’un brin d’herbe si je ne sais qu’il y a tout près une bouche de métro ou un mag­a­sin de dis­ques ou quelque autre signe que les gens ne regret­tent pas com­plète­ment de vivre.

Ça bégaie, ça bas­cule, pierre lisse comme peau, tours qui oscil­lent comme des tours oscil­lent dans le vent, comme nous sommes les mar­i­on­nettes à demi con­sen­tantes de la langue.

C’est le boulanger aux gâteaux trop chauds, aux crêpes col­lantes, aux pains pétris de peine.

C’est chair cou­verte de saumure, bitume craque­lé de fièvre, loups dans le sang qui hurlent au cœur gibbeux.

Babel c’est le base­balleur bat­tu qui pète les plombs ; Babel c’est un glaçon dans la bouche aus­si mélodieux qu’une flûte, aus­si per­cu­tant qu’un tam­bour.

Tour dont les vrilles tor­dues ressem­blent à la vigne, destruc­tion exigée par le Dionysos de l’orient ren­con­trant l’occident, refus de con­sen­tir à toute perte de soi.

Babel n’est que célébra­tion des mots, dis­cours armé de torch­es, rêves chavirés par des rêves plus grands, la vérité de tout cratère, le dou­ble bang qui vous réveille d’un rêve, la faille entre « c’est un acci­dent » et « bon dieu c’est un atten­tat », les bom­bardiers B1 qu’ils per­sis­tent à con­stru­ire, les repré­sailles et les repré­sailles aux repré­sailles et les repré­sailles des repré­sailles aux repré­sailles, O Bar­rio de Bar­rières, notre république de la peur.

Assez d’élasticité pour osciller dans le vent, assez de rigid­ité pour qu’on ne s’en aperçoive pas : Babel c’est du bub­ble-gum qui vous colle au vis­age.

Babel est présence, Babel est absence : rien que la célébra­tion de la présence. No mas aux explo­sions sacrées, no mas à l’occupation de la terre : explo­sions sacrées, occu­pa­tion de la terre.

Babel c’est un homme qui hurle en sautant dans le vide quand aucun autre ne l’entend ; Babel c’est ce moment où l’on s’imagine pou­voir vol­er, un instant qui dure à jamais dans l’inconscient de Babel.

Babel est un ray­on de soleil qui se fra­casse au sol, un ruis­selle­ment de rayons qui se fra­cassent au sol, un champ miné de lumière.

La Tour de Babel : ça boume ?

Si l’architecture est de la musique figée, alors ces décom­bres cal­cinés et tor­dus sont ses mélodies, ses cimetières incan­des­cents – Babel devenu ce qui sup­plie de la chanter.

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“C’est très pré­cisé­ment dans l’ardeur de la guerre qu’ont lieu ces pro­fondes con­vul­sions sociales qui détru­isent les vieilles insti­tu­tions et remod­è­lent l’homme, en d’autres ter­mes, les semences de la paix ger­ment dans les dévas­ta­tions de la guerre. L’aspiration de l’homme pour la paix n’est jamais plus intense qu’en temps de guerre. Il s’ensuit qu’aucune autre cir­con­stance ne façonne une déter­mi­na­tion aus­si ferme à chang­er les con­di­tions qui pro­duisent la guerre. L’homme apprend à con­stru­ire des bar­rages lorsqu’il a subi des inon­da­tions. La paix ne peut se forg­er qu’en temps de guerre.” Wil­helm Reich, La psy­cholo­gie de masse du fas­cisme (1933)

Com­bi­en de vagues la lune a‑t-elle générées dans le Golfe per­sique depuis 1991 ?

Com­bi­en de vagues la lune et l’Atlantique ont-ils ensem­ble créées depuis 1491-et-demi ?

Quelle est la somme des rouleaux qui sont mon­tés du fond des mers de notre terre avant même le début de la vie ?

Peut-on s’imaginer le nom­bre de vagues qu’a pleurées le Paci­fique depuis Nagasa­ki et Hiroshi­ma ?

Ils déploient des dra­peaux comme les chevaux por­tent des œil­lères ; ils déploient grande abon­dance de dra­peaux. Ils veu­lent des guer­res, sans le savoir.

Ils mon­trent le chemin de la guerre, cer­tains le savent d’autres pas ; ils agi­tent des dra­peaux comme le mata­dor agite sa mule­ta.

Cha­cun souf­frant en silence dans le silence de son lit à lui, à elle ; deux robi­nets gout­tent à con­tre-temps ; trois lava­bos, qua­tre, cinq lava­bos, cha­cun avec un robi­net qui goutte ; toutes les mers fou­et­tées et bal­lot­tées par des vents colos­saux.

La Tour de Babel : pris­on­nière des ter­res, un chantier aban­don­né où vien­nent se servir les fer­miers d’alentour.

La Tour de Babel : dans le texte il y a d’abord un Déluge.

A l’intérieur d’une chute au Nou­veau Mex­ique il y a plus que de l’eau, plus que la pesan­teur, moins que tout ce que la vul­gar­ité de cet instant ne pour­rait jamais exprimer.

Il est naturel que l’eau tombe. Il est naturel que l’eau tombe de falais­es et il est naturel que des tours fondent si elles sont exposées à une chaleur exces­sive. Cela s’applique aus­si aux cabanes. 7 octo­bre 2001.

Les huttes de terre ont leur pro­pre façon de tomber, d’être destruc­tive­ment trans­for­mées. 8 octo­bre 2001.

La mort de la paix s’est pro­duite il y a longtemps mais n’a été mar­quée ni d’une pierre ni d’une date.

Les guer­res vien­nent en vagues.

Les dégâts col­latéraux, c’est une fig­ure de style mais la pleine force du texte frappe l’adversaire du texte.

 Poésie : mort sans paix.

6 août 1945 : mort sans fin.

Mourir chaque mort. Refuser de tuer. 11 octo­bre 2001.

12 octo­bre 2001 : non, ça c’est l’argent de mes impôts.

Quand le deuil même cède à la com­plai­sance. Le dis­cours de Bush à la Nation, 20 sep­tem­bre 2001.

La Nation se vautre dans son deuil, les fautes de la Nation sont glo­ri­fiées, auréolées, trans­for­mées en moments héroïques, actes sac­ri­fi­ciels : actes qui n’auraient pas été néces­saires si des fautes avaient été évitées par­mi les dirigeants, l’élite ; et de fait on peut vrai­ment dire que ceux qui ont péri se sont sac­ri­fiés pour les péchés des maîtres du pét­role. Automne 2001.

Ni inno­cents, ni méri­tant la force de ces flammes : nul ne mérite la force de ces flammes, nul n’est inno­cent.

Deuil. Rien que deuil. Sans se par­er de gestes héroïques, privé de cette con­so­la­tion d’héroïsme dont on dit qu’ont besoin les proches des morts. Mais les proches ont-ils vrai­ment besoin de voir leurs morts en héros ? Les proches n’ont-ils pas plutôt besoin de voir en leurs morts des vic­times à qui la vie a été volée par une vaine dialec­tique d’extrêmes dis­pro­por­tion­nés ?

Une autre sorte d’attitude : une autre sorte de mis­sion : une autre sorte de vie intérieure.

Pas le pom­pi­er qui a amené sa sirène au ral­lye de la paix à Times Square et noyé tous les dis­cours, tous les ora­teurs dans le hurlement de son méti­er : mais les pom­piers fouil­lant la fos­se com­mune qu’eux les pre­miers ont déclarée terre sacrée.

A l’intérieur d’une chute au Nou­veau Mex­ique il y a plus que de l’eau, plus que la pesan­teur, plus que le plon­geon fatal, quelque chose qui sub­tile­ment est moins que ce qu’un monothéiste ne pour­ra jamais exprimer.

Le nom­bre de vagues pleurées par le Paci­fique depuis Nagasa­ki et Hiroshi­ma ne cesse de se mul­ti­pli­er.

Il est naturel que l’eau tombe. Il est naturel d’imaginer la fin du monde. En imag­i­nant la fin du monde nous pro­té­geons notre mode de vie.

En ces jours où les répons­es sont pro­posées comme autant d’évidences, for­geons une nou­velle tour de Babel : non pas con­fu­sion mais des mots pour trans­muer le silence d’un con­sen­te­ment frap­pé de mutisme – qu’il cesse d’être sidéré devant une seule autorité divine, un seul empire.

Qu’une nou­velle tour de Babel touche le ciel. Qu’une nou­velle tour de Babel s’incline à l’appel de la lune. Ishtar, Inch’allah, Quet­zal­coatl. Babil babil babil.

2

Bar­ry Bear­ak, The New York Times, 15 décem­bre 2001, Madou, Afghanistan :

Peut-être qu’un jour il fau­dra ren­dre compte de ce petit vil­lage de 15 maisons, toutes trans­for­mées en bouts de bois et pous­sière par des bombes améri­caines. Un jour le com­man­de­ment mil­i­taire des États-Unis pour­rait expli­quer pourquoi 55 per­son­nes sont mortes le 1er décem­bre… Mais il est plus prob­a­ble que Madou n’apprendra jamais si les bombes sont tombées par mégarde ou ont été lâchées délibéré­ment et que cet inci­dent sera oublié par­mi les con­séquences plus graves de la guerre. Restera un hameau anonyme avec des habi­tants anonymes enter­rés dans des tombes anonymes… Même les alliés anti-Tal­iban des Etats-Unis se sont récriés, hor­ri­fiés, qu’il y avait eu des erreurs de cible provo­quant la mort de cen­taines d’innocents. C’était ‘comme un crime con­tre l’humanité’, a dit Hajji Muham­mad Zaman, un offici­er de la région.

Les cul­ti­va­teurs de Madou sont en pièces détachées. Ils sont devenus leur pro­pre engrais… si vient la pluie, nous leur avons ren­du ser­vice, sug­gère une car­i­ca­ture présen­tant le Secré­taire de la Défense R. (gros rire). Mais nous n’avons pas besoin de ce genre de trait. Nous avons déjà bien con­solidé le con­cept de dégâts col­latéraux.

Celui qui voit avec le cœur, comme dirait Octavio Paz, se voit en Madou ; et qui ne peut voir Madou avec le cœur ? (‘Des hommes à l’esprit fos­sile, à la langue pétro­lifère’, sug­gère le trait du car­i­ca­tur­iste.)

Chaque vis­age, un masque ; chaque mai­son une ruine de bois et de torchis.

Qui a per­du ses sœurs ? Les dégâts col­latéraux ne peu­vent jamais le prédire. (Les ter­ror­istes ne visent pas des sœurs en par­ti­c­uli­er.) (L’attaque améri­caine a eu lieu en qua­tre vagues suc­ces­sives.)

Après Madou, écrire de la poésie est indé­cent. (Theodor Adorno)

Il nous faut encore trou­ver les corps
beau­coup de couch­es dans ces décom­bres
et main­tenant c’est avec ça que nous vivons
mys­tère :

Ain­si par­lait M. Gul, habi­tant âgé de Madou,

Il aurait pu par­ler de Man­hat­tan.

« Vieil­lard acca­blé » « barbe blanche » « front ridé » :

« puis Paia Gul » « jeune homme » « le regard amer » : « ‘j’accuse’ »

« ‘les Arabes’ » « puis cor­rigeant ses pro­pres » « dires »

« ‘J’accuse les Arabes’ » « ‘et les Améri­cains’ »

« ‘ils sont tous ter­ri­bles’ »

« ‘ils sont tous les pires du monde’ »

« ‘la plu­part des morts étaient des enfants’ »

Sen­teurs chants d’oiseaux champs de blé

M. Bear­ak sur place quinze jours après l’apocalypse.

Récoltent la fer­raille des bombes,

espèrent sur­vivre à l’hiver.

Au-delà de l’anecdote s’élève un hymne que nous ne pou­vons qu’ébaucher, hum­bles faiseurs, les oiseaux gri­bouil­lant dans l’éphémère sai­sis­sant de l’air, les vrais auteurs.

En me ren­dant dans le potager
tard le soir, j’ai décou­vert
avec sur­prise la tête de ma
fille qui gisait sur le sol.
Ses yeux révul­sés me fix­aient, comme en extase…
(De loin on aurait dit
une grosse pierre, dans un halo de lumière,
comme jetée là par le Big Bang.)
Que dia­ble fais-tu là, lui dis-je,
Tu as l’air ridicule.
Des garçons m’ont enter­rée ici,
Fit-elle d’un ton boudeur.

Ara­ki Yasu­sa­da, Dou­ble Flow­er­ing (Flo­rai­son dou­ble), alen­tours d’Hirohima, 25 décem­bre 1945

Cratères. Car­cass­es de tracteurs. Mou­tons morts.

          Jarre aplatie en disque ;

insouten­able, « involon­taire », non-améri­cain

          Ax Amer­i­cana ;

loin de la Mecque, à Madou, Tora Bora,

une seule cham­bre intacte.

Impos­si­ble d’enterrer la colère.

La prière est par­faite quand celui qui prie ne se sou­vient pas qu’il prie.

Tout ce qui est mort trem­ble. (Kandin­sky)

Note : Cour­riel au jour­nal­iste, lui deman­der s’il y avait des rangées de peu­pli­ers.

Pierre de lune aspirée dans l’atmosphère des arts rabougris ; pas de Héros pas de Néron non plus ; la face qui nous regarde cette nuit est pleine.

Comme le dit l’Upanishad Kaushi­ta­ki, « le souf­fle de vie est un. »

Le mot ‘Madou’ est la tran­scrip­tion d’un nom pach­toune tel que le reporter l’a enten­du.

‘Madou’, ‘ma douce’.

3

Il s’imaginait être le sage célèbre qui avait réus­si à par­ler au sable du désert.

Pas bien sage à lui de ren­dre le sable qu’il arpen­tait aus­si fameux.

Était-il sage que cet homme bien habil­lé entouré de silence con­tin­ue à babiller quand il n’y avait per­son­ne ?

Il y avait beau­coup d’air. Très chaud.

Vingt-et-un pas dans le désert et la route s’efface de la vue. Tout sens de l’orientation quitte l’esprit comme un col­ib­ri. Nul ne saurait où vous êtes allé, vous non plus.

Les dunes se dépla­cent. La route dis­paraît même si vous ne bougez pas, immo­bile au milieu. On pour­rait engager des gens pour bal­ay­er le sable. Mais pour ça il faut de l’argent.

Le silence du Tak­li­makan est très réputé.

Les Chi­nois ont con­stru­it cette route pour des camions-citernes. Pour leur pas­sage. Et ils passent. Mais cela n’a guère d’importance ; des camions sont à peine des têtes d’épingle.

Il s’imaginait être le sage obscur qui avait appris à par­ler aux peu­pli­ers du désert.

« Com­ment vivez-vous dans le désert ? » deman­da-t-il à un arbre par­ti­c­ulière­ment robuste, et il atten­dit. Car les lignes de vie sont d’essence ligneuse.

Dans l’éphémère sai­sis­sant de l’air, du rose tour­bil­lonne d’un soleil en adieux, de l’énergie s’élève de dessous son feuil­lage, ou peut-être est-ce l’homme, l’homme que l’amour tourne lavande.

Et le peu­pli­er du désert de répon­dre : « Mets une bavette. » Et d’ajouter : « Con­cède s’il te plaît le mot ‘calme’. »

Et l’homme s’en fut, sans être sûr d’avoir bien com­pris, sans être sûr d’avoir jamais par­lé la langue des peu­pli­ers du désert.

Mais il mit une bavette. Il por­ta tou­jours sa bavette. De la cham­bre à couch­er à la salle du con­seil.

Quand ses col­lègues de la direc­tion lui demandèrent ce qui se pas­sait, il répon­dit calme­ment : « Je reste un petit enfant. »

L’avenir de l’esprit n’est jamais don­né.

Evidem­ment le sage se fit vir­er.

La route dis­parut sous ses pieds.

Le sable irrite les pre­mières sen­tinelles.

C’est la faute de mon vocab­u­laire, se dit-il.

Il me faut aug­menter mon vocab­u­laire.

4

Com­mencer à con­stru­ire la nou­velle Babel là où avant se dres­sait l’ancienne.

Babel c’est de l’eau qui gèle mal­gré l’éclat du soleil, par-dessus un gril­lage de devan­ture sur Broad­way et la 168e rue ; Babel est un glaçon qui vous invite à venir le caress­er de la chaleur de votre gant de cuir.

Recon­stru­ire le bas de Man­hat­tan, comme Hiroshi­ma fut recon­stru­ite, si lim­itée que soit par com­para­i­son la récente destruc­tion, des cor­morans se sèchent les ailes dans un courant d’air chaud.

« Kom, tout près, à côté. Ger­manique : ga, vieil anglais ge, ensem­ble. Latin cum, avec. Forme suf­fixée : kom-tra, en latin con­tra, con­tre, forme suf­fixée kom-yo, en grec koinos, com­mun, partagé. »

Ain­si : il est venu le temps de jouir, il est passé le temps de jouer à la guerre. (Patri­o­tisme comme libido débile.)

Babel, c’est la seule arme accept­able, une langue dans ta bouche, puis la langue d’une autre dans ta bouche, une langue dans la bouche est la seule arme accept­able et voici que vient la langue d’un autre.

Babel n’est jamais marchan­dise ; Babel n’est jamais au grand jamais marchan­dise, puisque la marchan­dise l’abat.

Libérons le désir de la marchan­dise, même si la lin­gerie est désir­able ; Babel est con­tra­dic­tion sans hypocrisie, marchan­dise qui engen­dre l’amour.

Babel, ce sont des mains sur les épaules, des caress­es sur les seins, bois de pom­mi­er qui brûle sans cesse, bois de cerisi­er qui brille sans cesse, brumes qui se déga­gent de mus­cles et de lèvres humides.

Com­ment rimer tout un séquoia ? Telle est la fleur qui pousse dans le cerveau de Babel.

Babel c’est un ven­tre aus­si plat qu’un livre, une courbe aus­si douce qu’une dune, un rêve aus­si sou­ple qu’une gym­naste

Un pénis qui se niche dans la bouche, une chat­te qui encer­cle le majeur : le cocon du babil.

Babel c’est le désir d’affirmer quand on sait que c’est impos­si­ble, un ren­fle­ment dans le pan­talon aus­si doux que le roc où grave le faiseur de pétro­glyphes ; Babel c’est un nez trop long qui pour­tant vous excite, un rebondisse­ment dans le débat qui vous laisse sans voix, les prophètes bibliques quand ils recu­lent dans une ter­reur sacrée, des tun­nels dans le crâne qu’aucune étin­celle n’a jamais par­cou­rus, appren­dre pas seule­ment à manœu­vr­er le gou­ver­nail mais à s’y aban­don­ner.

Babel c’est le léopard des neiges dont la présence impose le silence, un tigre que vous devenez au moment où vos paupières se fer­ment, un chien qui reni­fle le der­rière d’un autre ; Babel est une hyène pro­pre et une hyène sale, une hyène pro­pre et une hyène baveuse, une hyène pro­pre et un suri­cate au muse­au affreuse­ment pointu.

Babel est la bulle sans cesse en train d’éclater, les ban­ques en ban­quer­oute, le plaisir qui ne coûte que votre énergie à le créer.

Babel est une série de caress­es qui se fondent l’une en l’autre.

Babel implique que vous déci­diez de sor­tir nu-tête sous les tem­pêtes du Seigneur afin de saisir de vos mains l’éclair du Père et d’offrir au peu­ple ce don du Ciel, voilé dans votre chant. (Hölder­lin)

Comme je suis prêt à t’honorer et à blas­phémer con­tre toi dans un seul souf­fle, mon esprit mosquée où hommes et femmes se mêlent – Mon­sieur Dernier Dieu Monothéiste Encore Debout.

Babel est con­science et joui­science, péni-sci­ence et cuni-sci­ence, con-sci­ences qui se goû­tent ici et ici et ici…

Hypothèse de tra­vail n°1 : pré­cis pour s’aimer et non bom­barde­ment de pré­ci­sion.

5

Les nerfs ensevelis sous la bur­ka, comme pre­scrit dans cer­tains pays ; le regard qui ne ren­con­tre que la bur­ka, comme cela se passe dans cer­taines cul­tures : des ter­ri­toires entiers où les hommes exi­gent les uns des autres qu’ils vivent sous la bur­ka.

Pas le tech­no voile de la cul­ture de con­som­ma­tion mais la tech­no bur­ka sans trou pour la tête.

C’est une sen­si­bil­ité sauvage, sauvage et déli­cate, mar­quée par la surabon­dance et la pénurie, scan­dal­isée et anesthésiée par sa pro­pre faim de vio­lence. Ses ados flinguent leur pro­pre école, leurs condis­ci­ples, puis se sui­ci­dent. Leur cul­ture est un masque de mort, la bur­ka son insigne, hordes encagoulées ivres d’un culte de tueurs chosi­fiés qui font mal sans rai­son, engen­drées par le mar­ket­ing le plus sophis­tiqué.

La bur­ka intérieure qui entrave l’apercevoir, la lourde bur­ka qui est en moi, la bur­ka opaque dont la présence nie toute réflex­ion, la bur­ka oblig­a­toire dans les sphères poli­tiques, la bur­ka en con­serve qui cache le corps à son pro­pre éro­tisme, la fausse oppo­si­tion entre bur­ka et biki­ni, et d’autres étranges cou­tumes de par là-bas : pré­ten­dre que le pou­voir ne s’enracine pas dans la pul­sion sex­uelle, faire porter cette pul­sion à des enfants que rien n’y pré­pare.

Réfléchir sur soi illu­mine tou­jours les coins dis­simulés, c’est du moins ce qu’enseignent les Lumières, la philoso­phie qui imprég­nait les pères fon­da­teurs : ‘l’œil qui ne veut pas voir dépérit’ (Dun­can).

Pas d’Orientalisme, pas d’exotisme, pas de déshu­man­i­sa­tion de l’autre : nos citoyens refusent désor­mais de porter la bur­ka noire ou turquoise.

Pas de refuge dans le statut de vic­time, dans l’amnésie uni­forme, dans la sub­jec­tiv­ité encagoulée : les Améri­cains ne veu­lent plus jeter de toile d’emballage sur ce qui se passe ailleurs dans le monde, ne veu­lent plus louch­er vers le monde de der­rière leur bur­ka de sécu­rité.

Pas de nation­al­isme qui nous aveu­gle sur les ter­ri­bles crimes de la Nation : le Pro­cureur Général ne jet­tera plus de bur­ka sur les crimes qu’il com­met lui-même, ni le Min­istre de la Défense.

Pas de fausse mod­estie, pas de faux-fuyants ; la Prési­dence et autres instru­ments du cap­i­tal ne sont plus cachés par leur divers­es et mul­ti­ples burkas.

Les papiers qui s’envolent des fenêtres en feu de la Tour de Babel indiquent que les mots sont tout ce qui reste ; le papi­er survit là où se brisent os et poutres. Aus­si Babel n’est jamais bur­ka et les hommes doivent hon­or­er les morts avec des mots.

Babel survit à la révéla­tion de son pro­pre mys­tère, comme les femmes ; la bur­ka n’est  que sa masse sans forme.

La bur­ka c’est le tri­om­phe du mas­culin sur le féminin, qui ban­nit le féminin de la vie publique, comme les mots sont ban­nis de la vie publique dans une cul­ture où la réal­ité des mots est cachée.

Babel c’est le mas­culin qui aspire à attein­dre le féminin et sans cesse échoue, et retombant se met à se vivre dans tout son poten­tiel de semence.

Babel est l’ambition fémi­nine et la poten­tial­ité de toute chose, y com­pris de ces cel­lules spé­cial­isées qui aspirent à la ver­ti­cal­ité.

Si seule­ment on pou­vait s’emparer des étoiles mortes et rassem­bler toutes ces pier­res en un seul lieu pour con­stru­ire une tour…

Et pour­tant le corps flotte dans un pla­cen­ta de mots et aucun mot n’est com­préhen­si­ble s’il n’émerge tout fris­son­nant d’entre les jambes, nu comme l’espace entre les jambes et en un clin d’œil devient hurlement, puis retombe, n’est plus que les mots qu’il a rapi­de­ment dis­per­sés…

C’est une petite épine qui perce le bal­lon géant. (Oppen). C’est le sperme dans sa course à l’œuf. Ce nerf qui n’a rien à voir avec la sécu­rité ou la con­tre-sécu­rité.

Hypothèse de tra­vail n°2 : pré­cis pour s’aimer et non bom­barde­ments de pré­ci­sion.

Et plus jamais la bur­ka.

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bulle libido cerveau Pen­tagone réclu­sion
vil­lage Allah chants d’oiseaux sœurs lavande
métal mys­tère Emir Améri­cain glaçon
enfants mar­guerites plumes torchis phallique
mou­ton Quet­zal­coatl aéro­port orphique Prési­dent
feu de vie bavoir fer­mi­er féminin potager
pierre de lune Mecque Man­hat­tan Madou per­cep­tion
pierre de lune Mère peu­pli­er bar­rage prière
Ax cour­riel halo fille cen­tre-ville
bais­er ori­en­tal pré­ci­sion deuil écos­sais

7

Ce que l’on vénère n’est pas en haut. Tu l’as sou­vent embrassé près des flancs liss­es du chêne vivant, ce qui explique que tu le sais à la périphérie, pen­sée visuelle et non visuelle, un allant mouil­lé entre les jambes, un lien entre réal­ités con­tin­gentes et la tour de Baby­lone, pour lequel il nous faut encore trou­ver un mot adéquat.

Les pots de fleurs se cassent tout autour, les cara­paces de tortue per­dent leurs mar­ques en cet instant où la ville sem­ble se défaire. C’est comme la Révo­lu­tion Cul­turelle qui recom­mencerait, les Pères envoyés à la cam­pagne, la rup­ture défini­tive avec la Mère, Cen­tral Park qui s’étire au ralen­ti vaste espace parsemé de pas­sants figés dans leur incré­dulité. Tu savais que ta peau aurait à jamais faim, que les larmes et leur accom­pa­g­ne­ment son­deraient à jamais l’absence de mots ; des affich­es en Gros Car­ac­tères seraient la grande affaire du jour, et aller bous­culer des repaires de tigres. En décem­bre de l’eau verte stagne dans le cratère.

Pour­tant « la guerre insat­is­faite et plus pro­fonde sous et der­rière la guerre déclarée » (Dun­can), les con­flits d’égoïsmes,  les hooli­gans de la démesure, les mil­ices, les poli­tiques du chaos, le pou­voir du pét­role, tout cède à une dialec­tique plus vaste. L’abondance explose de partout, la pléni­tude passe à toute allure, d’autant plus déchi­rante qu’elle est belle : rochers et soleil aveuglant.

Et les langues étaient tant éton­nées que cha­cun deve­nait étranger à son ami si bien que même mari et femme ne savaient plus com­ment se par­ler… des assas­sins occupés en plein jour, et il ne reste que ces per­cep­tions dis­posées en petits paque­ts de réso­lu­tion dynamique, mémoire et antic­i­pa­tion face à face, sachant depuis tou­jours que le devoir imposé est qua­si impos­si­ble : com­ment récupér­er les mots de la tribu ? Con­fon­dant.

Le sable irrite les pre­mières sen­tinelles.

« Sauvez ceux qui pleurent » (Elu­ard).

Ce que l’on vénère n’est pas en haut. Car nous sommes déjà à l’étage supérieur. Comme Bina, en ben­gali, désigne l’instrument dont Saraswati, la déesse de l’étude,  se devait de pin­cer les cordes. Sens comme ces cordes sont ten­dues. Sou­viens-toi de ces livres aux cou­ver­tures et pages de titres arrachées, et donc sans titres ni auteurs : des mots lus dans leur forme la plus pure, des livres acquis en douce, un incendie dont on accepte enfin qu’il est impos­si­ble à étein­dre.

Ce que l’on vénère n’est pas en haut. Car nous sommes au niveau du sol. Par­mi des plantes mys­térieuses tu te baignes dans les rayons de celle qui est ton soleil et pour­tant est couchée en dessous de toi, comme une fon­da­tion. Fais gliss­er tes doigts entre ses orteils. Fis­sures d’une source qui révèle mer­veille sur mer­veille.

Les choses s’assemblent bien dans leur pro­pre ron­deur ; une cigogne perche sur le cyprès, par­tie de tout un écosys­tème, sans cap­i­tale ni cen­tre.

Le temps vrai­ment raje­u­nit.

Paru dans…
The Tow­er of Diverse Shores (Jer­sey City NJ : Tal­is­man House, 2003)

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Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | tra­duc­tri­ces : Chris­tine Pag­noulle & Annette Gérard | crédits illus­tra­tions : © Mag­a­lie Dar­souze | Cette tra­duc­tion fait par­tie d’une série de trois poèmes présen­tés par Chris­tine Pag­noulle dans l’article Trois poètes, trois plaidoy­ers pour la paix (2021) : (1) HULSE Michael, La mère des batailles (1991) traduit de The Moth­er of Bat­tle (Hull : Lit­tle­wood Arc, 1991) ; (2) SCHWARTZ Leonard, Nou­velle Babel (2016) traduit de The New Babel in The Tow­er of Diverse Shores (Jer­sey City NJ : Tal­is­man House, 2003) ; (3) BRATHWAITE Kamau, Ark (2004) traduit de Ark (New York & Kingston : Sava­cou North, 2004).