OLIVER, Mary (1935–2019) : "Un rêve d’arbres" (1963, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quelque chose en moi a rêvé d’arbres,
D’une mai­son pais­i­ble, de quelques mod­estes arpents de ver­dure
Un peu éloignés de toute cité bruyante,
Un peu éloignés des usines, des écoles, des lamen­ta­tions.
J’y aurais du temps, pen­sais-je, et j’y gag­n­erais du temps,
Avec pour seule com­pag­nie riv­ières et oiseaux,
Pour extraire de ma vie quelques stro­phes sauvages.
Puis j’ai réal­isé que la mort était comme ça,
Un peu éloignée de n’importe où.

Quelque chose en moi rêve tou­jours d’arbres.
Mais qu’importe. Nos­tal­giques de la mod­éra­tion,
La moitié des artistes du monde se rétré­cis­sent ou dis­parais­sent.
Si quelqu’un trou­ve une solu­tion, qu’il le dise.
Entretemps, mon cœur glisse vers les lamen­ta­tions
Où, alors que le temps appelle notre réel engage­ment,
Les lames nues de chaque crise mon­trent le chemin.

Si seule­ment il n’en était pas ain­si… mais il en est ain­si.
Qui a déjà com­posé la musique d’un jour sans excès ?

A dream of trees

There is a thing in me that dreamed of trees,
A qui­et house, some green and mod­est acres
A lit­tle way from every trou­bling town,
A lit­tle way from fac­to­ries, schools, laments.
I would have time, I thought, and time to spare,
With only streams and birds for com­pa­ny,
To build out of my life a few wild stan­zas.
And then it came to me, that so was death,
A lit­tle way away from every­where.

There is a thing in me still dreams of trees.
But let it go. Home­sick for mod­er­a­tion,
Half the world’s artists shrink or fall away.
If any find solu­tion, let him tell it.
Mean­while I bend my heart toward lamen­ta­tion
Where, as the times implore our true involve­ment,
The blades of every cri­sis point the way.

I would it were not so, but so it is.
Who ever made music of a mild day?

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No Voy­age and Oth­er Poems (1963)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : No Voy­age and Oth­er Poems (1963) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : BLAKE, William : I want ! I want ! (détail, 1793) © The Fitzwilliam Muse­um.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Le voyage" (1963, trad. Patrick Thonart, 2023)

Un jour enfin tu as su
ce que tu devais faire et
tu t’y es mise,
mal­gré les voix autour de toi
qui hurlaient encore
leurs mau­vais con­seils-
mal­gré toute la mai­son
qui s’est mise à trem­bler
et la vieille corde que tu sen­tais à nou­veau
sur tes chevilles.
« Répare ma Vie ! »
pleu­rait chaque voix.
Mais tu ne t’es pas arrêtée.
Tu savais ce que tu avais à faire,
mal­gré le vent qui attaquait
de ses doigts raides
tes fon­da­tions les plus intimes,
mal­gré leur mélan­col­ie
déchi­rante.
Il était déjà fort
tard, et la nuit vio­lente,
et la route pleine de branch­es
tombées et de pier­res.
Mais, peu à peu,
comme tu lais­sais leurs voix der­rière toi,
les étoiles ont com­mencé à briller
à tra­vers le man­teau de nuages,
et il y a eu une voix nou­velle
que tu as lente­ment
recon­nue comme la tienne,
qui t’a tenu com­pag­nie
tan­dis que tu arpen­tais
le monde
de plus en plus loin,
déter­minée à faire
la seule chose que tu pou­vais faire-
déter­minée à sauver
la seule vie que tu pou­vais
sauver.

The Journey

One day you final­ly knew
what you had to do, and began,
though the voic­es around you
kept shout­ing
their bad advice –
though the whole house
began to trem­ble
and you felt the old tug
at your ankles.
"Mend my life!"
each voice cried.
But you didn't stop.
You knew what you had to do,
though the wind pried
with its stiff fin­gers
at the very foun­da­tions,
though their melan­choly
was ter­ri­ble.
It was already late
enough, and a wild night,
and the road full of fall­en
branch­es and stones.
But lit­tle by lit­tle,
as you left their voice behind,
the stars began to burn
through the sheets of clouds,
and there was a new voice
which you slow­ly
rec­og­nized as your own,
that kept you com­pa­ny
as you strode deep­er and deep­er
into the world,
deter­mined to do
the only thing you could do –
deter­mined to save
the only life that you could save.

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No Voy­age and Oth­er Poems (1963)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : No Voy­age and Oth­er Poems (1963) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Printemps" (1990, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quelque part,
une ourse noire
vient de se réveiller
et regarde

vers la val­lée.
La nuit durant,
dans le frémisse­ment et l’agitation
du print­emps nais­sant,

je pense à elle,
à ses qua­tre poings
foulant le gravier,
à sa langue rouge

comme le feu
qui frôle l’herbe
et l’eau fraîche.
Il n’y a qu’une ques­tion :

com­ment aimer ce monde.
Je pense à elle
qui se dresse
comme une cor­niche noire de feuilles

et qui carde de ses griffes
le silence
des arbres.
Quelle que soit

ma vie par ailleurs,
avec ses poèmes
et sa musique
et ses cités de verre,

elle est aus­si cette ombre écla­tante
qui descend
les flancs de la mon­tagne,
souf­flant et goû­tant ;

le jour durant je pense à elle –
à ses crocs blancs,
à son silence,
à son amour par­fait.

Spring

Some­where
a black bear
has just risen from sleep
and is star­ing

down the moun­tain.
All night
in the brisk and shal­low rest­less­ness
of ear­ly spring

I think of her,
her four black fists
flick­ing the grav­el,
her tongue

like a red fire
touch­ing the grass,
the cold water.
There is only one ques­tion:

how to love this world.
I think of her
ris­ing
like a black and leafy ledge

to sharp­en her claws against
the silence
of the trees.
What­ev­er else

my life is
with its poems
and its music
and its glass cities,

it is also this daz­zling dark­ness
com­ing
down the moun­tain,
breath­ing and tast­ing;

all day I think of her—
her white teeth,
her word­less­ness,
her per­fect love.

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House of Light (1990)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Hier soir, la pluie m’a parlé" (2003, trad. Patrick Thonart, 2023)

Hier soir
la pluie
m’a par­lé
douce­ment, elle m’a dit

sa joie
de tomber
des nuages pressés,
pour être heureuse,

d’une nou­velle manière,
sur la terre !
C’est ce qu’elle m’a dit,
goutte après goutte,

avec une saveur de fer,
puis elle a dis­paru
comme le rêve d’un océan
dans les branch­es

et l’herbe à mes pieds.
Ensuite, c’était fini.
Le ciel s’est éclair­ci.
J’étais debout

au pied d’un arbre.
L’arbre était un arbre
aux feuilles joyeuses,
et je me suis sen­tie moi-même,

et il y avait des étoiles dans le ciel
qui étaient aus­si elles-mêmes,
à ce moment-là,
à ce moment où

ma main droite
tenait ma main gauche
qui tenait l’arbre
qui était rem­pli d’étoiles

et de la pluie si douce—
imag­ine ! imag­ine !
les voy­ages sauvages et mer­veilleux
qui seront les nôtres.

Last Night the Rain Spoke To Me

Last night
the rain
spoke to me
slow­ly, say­ing,

what joy
to come falling
out of the brisk cloud,
to be hap­py again

in a new way
on the earth!
That’s what it said
as it dropped,

smelling of iron,
and van­ished
like a dream of the ocean
into the branch­es

and the grass below.
Then it was over.
The sky cleared.
I was stand­ing

under a tree.
The tree was a tree
with hap­py leaves,
and I was myself,

and there were stars in the sky
that were also them­selves
at the moment,
at which moment

my right hand
was hold­ing my left hand
which was hold­ing the tree
which was filled with stars

and the soft rain—
imag­ine! imag­ine!
the wild and won­drous jour­neys
still to be ours.

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What Do We Know: Poems And Prose Poems (2003)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Août" (1983, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quand les mûres pen­dent
généreuses dans les bois, dans les ronciers
qui ne sont à per­son­ne, je passe

Toute ma journée dans les hautes
branch­es, ten­dant
mon bras grif­fé, ne pen­sant

À rien, enfour­nant
le miel noir de l’été
dans ma bouche ; tout le jour, mon corps

S’accepte comme il est. Dans les ruis­seaux
som­bres qui coulent par là il y a
cette pat­te épaisse de ma vie qui picore

Les baies noires, les feuilles ; et cette langue
en fête.

August

When the black­ber­ries hang
swollen in the woods, in the bram­bles
nobody owns, I spend

all day among the high
branch­es, reach­ing
my ripped arms, think­ing

of noth­ing, cram­ming
the black hon­ey of sum­mer
into my mouth; all day my body

accepts what it is. In the dark
creeks that run by there is
this thick paw of my life dart­ing among

the black bells, the leaves; there is
this hap­py tongue.

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Amer­i­can Prim­i­tive (1983)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Quand la mort viendra" (1992, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quand la mort vien­dra
avide comme l’ours en automne ;
quand la mort vien­dra et sor­ti­ra tous les écus bril­lants de sa bourse

pour m’acheter, puis que, d’un geste, elle la refer­mera ;
quand la mort vien­dra
comme la rouge­ole ;

quand la mort vien­dra
comme un ice­berg entre mes omo­plates,

je veux pass­er la porte pleine de curiosité, en me deman­dant :
mais com­ment sera-t-elle, cette cabane de ténèbres ?

Pour ça, je regarde tout
comme un frère et une sœur,
et le temps, je le vois comme une sim­ple idée,
et l’éternité comme une autre pos­si­bil­ité,

et je vois chaque vie comme une fleur, aus­si com­mune
qu’une pâquerette, et aus­si sin­gulière,

et chaque nom est une musique douce à ma bouche,
ten­dant, comme toutes les musiques, vers le silence,

et chaque corps est un lion plein de courage, et quelque chose
de pré­cieux pour la terre.

Quand ce sera fini, je veux pou­voir dire que, toute ma vie,
je suis restée l’épouse de l’étonnement.
Que j’ai été le mar­ié qui prend le monde entier dans ses bras.

Quand ce sera fini, je ne veux pas me deman­der
si j’ai fait de ma vie quelque chose de par­ti­c­uli­er, et de réel.
Je ne veux pas me retrou­ver soupi­rant, effrayée
ou pleine de jus­ti­fi­ca­tions.

Je ne veux pas finir après n’avoir fait que vis­iter ce monde.

When death comes
like the hun­gry bear in autumn;
when death comes and takes all the bright coins from his purse

to buy me, and snaps the purse shut;
when death comes
like the measle-pox;

when death comes
like an ice­berg between the shoul­der blades,

I want to step through the door full of curios­i­ty, won­der­ing:
what is it going to be like, that cot­tage of dark­ness?

And there­fore I look upon every­thing
as a broth­er­hood and a sis­ter­hood,
and I look upon time as no more than an idea,
and I con­sid­er eter­ni­ty as anoth­er pos­si­bil­i­ty,

and I think of each life as a flower, as com­mon
as a field daisy, and as sin­gu­lar,

and each name a com­fort­able music in the mouth,
tend­ing, as all music does, toward silence,

and each body a lion of courage, and some­thing
pre­cious to the earth.

When it's over, I want to say: all my life
I was a bride mar­ried to amaze­ment.
I was the bride­groom, tak­ing the world into my arms.

When it's over, I don't want to won­der
if I have made of my life some­thing par­tic­u­lar, and real.
I don't want to find myself sigh­ing and fright­ened,
or full of argu­ment.

I don't want to end up sim­ply hav­ing vis­it­ed this world.

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New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Roses, Fin d’été" (1990, trad. Patrick Thonart, 2023)

Qu’est-ce qui arrive
aux feuilles quand
elles virent au rouge et or et tombent
sur le sol ? Qu’est-ce qui arrive
aux oiseaux chanteurs
quand ils doivent s’arrêter
de chanter ? Qu’est-ce qui arrive
à leurs ailes rapi­des ?

Crois-tu qu’il y ait
un ciel indi­vidu­el
pour cha­cun d’entre nous ?
Crois-tu que quiconque,

de l’autre côté des ténèbres,
va nous appel­er, nous, vrai­ment ?
Au-delà des arbres,
les renardes appren­nent tou­jours à leurs petits

à vivre dans la val­lée.
on dirait qu’elles ne dis­parais­sent jamais, qu’elles sont tou­jours là
dans l’éclosion de la lumière
qui se dresse chaque matin

dans le ciel som­bre.
Et, der­rière un autre épaule­ment de collines,
en bord de mer,
les dernières ros­es ont ouvert leur fab­rique de douceur

et la ren­dent au monde.
Si j’avais une autre vie
je voudrais la pass­er entière­ment dans
une jubi­la­tion sans retenue.

Je serais une renarde, ou un arbre
plein de branch­es agitées.
Et cela ne me gên­erait pas d’être une rose
dans un champ plein de ros­es.

Elles n’ont pas encore été touchées par la peur, ou l’ambition.
C’est pourquoi elles n’y ont pas encore pen­sé.
Elles ne se deman­dent pas non plus com­bi­en de temps il y aura des ros­es,
et quoi après.

Ou n’importe quelle autre ques­tion futile.

Roses, Late Summer

What hap­pens
to the leaves after
they turn red and gold­en and fall
away? What hap­pens

to the singing birds
when they can't sing
any longer? What hap­pens
to their quick wings?

Do you think there is any
per­son­al heav­en
for any of us?
Do you think any­one,

the oth­er side of that dark­ness,
will call to us, mean­ing us?
Beyond the trees
the fox­es keep teach­ing their chil­dren

to live in the val­ley.
so they nev­er seem to van­ish, they are always there
in the blos­som of light
that stands up every morn­ing

in the dark sky.
And over one more set of hills,
along the sea,
the last ros­es have opened their fac­to­ries of sweet­ness

and are giv­ing it back to the world.
If I had anoth­er life
I would want to spend it all on some
unstint­ing hap­pi­ness.

I would be a fox, or a tree
full of wav­ing branch­es.
I wouldn't mind being a rose
in a field full of ros­es.

Fear has not yet occurred to them, nor ambi­tion.
Rea­son they have not yet thought of.
Nei­ther do they ask how long they must be ros­es, and then what.
Or any oth­er fool­ish ques­tion.

Paru dans…
House of Light (1990)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Quand je suis parmi les arbres…" (2017, trad. Patrick Thonart, 2023)

Quand je suis par­mi les arbres,
par­ti­c­ulière­ment par­mi les saules et les féviers,
mais aus­si les hêtres, les chênes et les épicéas,
ils envoient de vrais sig­naux de joie.
Je pour­rais presque dire qu’ils me sauvent, chaque jour.

Je suis si loin de l’espoir de me voir un jour,
n’être que bon­té, et dis­cerne­ment,
et ne jamais me press­er pour tra­vers­er le monde
mais marcher lente­ment, et m’incliner sou­vent.

Autour de moi, les arbres remuent leurs feuilles
et lan­cent leur appel, “Reste un peu.”
La lumière s’écoule de leurs branch­es.

Et ils appel­lent à nou­veau, “C’est si sim­ple,” dis­ent-ils,
“et toi aus­si tu es venue
au monde pour cela, aller pais­i­ble­ment, être rem­plie
de lumière, et resplendir.”

When I am among the trees,
espe­cial­ly the wil­lows and the hon­ey locust,
equal­ly the beech, the oaks and the pines,
they give off such hints of glad­ness.
I would almost say that they save me, and dai­ly.

I am so dis­tant from the hope of myself,
in which I have good­ness, and dis­cern­ment,
and nev­er hur­ry through the world
but walk slow­ly, and bow often.

Around me the trees stir in their leaves
and call out, “Stay awhile.”
The light flows from their branch­es.

And they call again, “It's sim­ple,” they say,
“and you too have come
into the world to do this, to go easy, to be filled
with light, and to shine.”

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Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (2017)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (2017) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DR.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Des usages du chagrin" (2007, trad. Patrick Thonart, 2023)

(J’ai rêvé ce poème dans mon som­meil)
Quelqu’un que j’aimais, un jour, m’a don­né
une boîte pleine d’ombres.
J’ai mis des années à com­pren­dre
que, cela aus­si, était un cadeau.

The Uses of Sorrow

(In my sleep I dreamed this poem)
Some­one I loved once gave me
a box full of dark­ness.
It took me years to under­stand
that this, too, was a gift.

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Thirst: Poems (2007)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Vraiment" (2010, trad. Patrick Thonart, 2023)

Vrai­ment, nous vivons au milieu de mys­tères
trop mer­veilleux pour être com­pris.
Com­ment l’herbe peut-elle être si nour­ris­sante dans
la bouche des agneaux ?
Com­ment les riv­ières et les pier­res sont-elles pour tou­jours
soumis­es à la grav­ité
alors que nous, nous ne rêvons que d’élévation ?
Com­ment deux mains peu­vent se touch­er et le lien créé
ne jamais s’interrompre ?
Com­ment cha­cun peut-il pass­er, du plaisir ou des cica­tri­ces,
au récon­fort d’un poème ?

Pour tou­jours, lais­sez-moi rester à dis­tance de ceux
qui pensent avoir les répons­es.

Pour tou­jours, lais­sez-moi tenir com­pag­nie à ceux qui dis­ent
“Regarde !” et rient d’étonnement,
et bais­sent la tête.

Truly…

Tru­ly, we live with mys­ter­ies too mar­velous
to be under­stood.
How grass can be nour­ish­ing in the
mouths of the lambs.
How rivers and stones are for­ev­er
in alle­giance with grav­i­ty
while we our­selves dream of ris­ing.
How two hands touch and the bonds will
nev­er be bro­ken.
How peo­ple come, from delight or the
scars of dam­age,
to the com­fort of a poem.

Let me keep my dis­tance, always, from those
who think they have the answers.

Let me keep com­pa­ny always with those who say
“Look!” and laugh in aston­ish­ment,
and bow their heads.

Paru dans…
Evi­dence: Poems (2010)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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OLIVER, Mary (1935–2019) : "Petit matin" (1992, trad. Patrick Thonart, 2023)

Le sel bril­lant au tra­vers de son cylin­dre de verre.
Le lait dans un bol bleu. Le linoleum jaune.
La chat­te qui étire son corps noir en quit­tant le coussin.
La manière incurvée dont elle répond à ma caresse ten­dre.
Puis elle lape le bol et le vide.
Puis elle veut sor­tir dans le monde
où elle se glisse légère­ment et, sans rai­son appar­ente, tra­verse la pelouse,
puis s’assied, par­faite­ment immo­bile, dans l’herbe.
Je la regarde un peu et je pense :
que ferais-je de plus avec mes mots inspirés ?
Je suis debout dans la cui­sine, penchée vers elle.
Je suis debout dans la cui­sine fraîche, tout est mer­veilleux autour de moi.

Morning

Salt shin­ing behind its glass cylin­der.
Milk in a blue bowl. The yel­low linoleum.
The cat stretch­ing her black body from the pil­low.
The way she makes her cur­va­ceous response to the small, kind ges­ture.
Then laps the bowl clean.
Then wants to go out into the world
where she leaps light­ly and for no appar­ent rea­son across the lawn,
then sits, per­fect­ly still, in the grass.
I watch her a lit­tle while, think­ing:
what more could I do with wild words?
I stand in the cold kitchen, bow­ing down to her.
I stand in the cold kitchen, every­thing won­der­ful around me.

Paru dans…
New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : New and Select­ed Poems, Vol­ume One (1992) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : FRANCOTTE, Cather­ine : Petit panier de frais­es à la men­the © Cather­ine Fran­cotte.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Conséquences" (1986, trad. Patrick Thonart, 2023)

Par après,
J’ai sen­ti sous mon épaule gauche
la plus curieuse des blessures.
Comme si je m’étais appuyée
sur un objet vibrant trop fort,
elle saig­nait secrète­ment.
Per­son­ne ne con­naît son nom.

Par après,
par droi­ture plutôt que par rai­son,
j’ai repen­sé à ce gros Alle­mand
dans son pardessus mal ajusté,
dans les bois, près de Vienne, réal­isant
que les oiseaux s’éloignaient encore et encore, et
que même en marchant plus vite
il ne les rat­trap­erait jamais.

Com­ment vivons-nous cha­cun dans ce monde ?
Chaque chose en com­pense une autre, je sup­pose.
Quelque­fois un mal­heur ne fait pas de tort du tout,
mais au con­traire

brille comme la lune nou­velle.

Je pense sou­vent à Beethoven
se lev­ant, quand il ne pou­vait dormir,
trébuchant dans la pous­sière et les par­ti­tions frois­sées,
bail­lant, s’asseyant au piano,
traçant rapi­de­ment note après note après note.

Consequences

After­ward,
I found under my left shoul­der
the most curi­ous wound.
As though I had leaned against
some whirring thing,
it bleeds secret­ly.
Nobody knows its name.

After­ward,
for a rea­son more right than ratio­nal,
I thought of that fat Ger­man
in his ill-fit­ting over­coat
in the woods near Vien­na, real­iz­ing
that the birds were going far­ther and far­ther away, and
no mat­ter how fast he walked
he couldn’t keep up.

How does any of us live in this world?
One thing com­pen­sates for anoth­er, I sup­pose.
Some­times what’s wrong does not hurt at all, but rather
shines like a new moon.

I often think of Beethoven
ris­ing, when he couldn’t sleep,
stum­bling through the dust and crum­pled papers,
yawn­ing, set­tling at the piano,
ink­ing in rapid­ly note after note after note.

Paru dans…
Dream Work (1986)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Dream Work (1986) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

OLIVER, Mary (1935–2019) : "Dormir dans la forêt" (1979, trad. Patrick Thonart, 2023)

Je pen­sais que la terre
se sou­ve­nait de moi, elle
me repre­nait si ten­drement, arrangeant
ses jupes som­bres, les poches
pleines de lichens et de graines. J’ai dor­mi
comme jamais aupar­a­vant, comme un galet
sur le lit de la riv­ière, rien
entre moi et le feu blanc des étoiles,
rien que mes pen­sées, et elles flot­taient,
aus­si légères que des papil­lons de nuit, dans les branch­es
des arbres par­faits. Toute la nuit,
j’ai enten­du respir­er les petits roy­aumes
tout autour de moi, les insectes, et les oiseaux
qui besog­nent dans l’obscurité. Toute la nuit,
je me rel­e­vais, je rep­longeais, comme dans l’eau, aux pris­es
avec un lumineux halo. Au matin,
j’avais dis­paru au moins une douzaine de fois
dans quelque chose de meilleur.

Sleeping in the Forest

I thought the earth
remem­bered me, she
took me back so ten­der­ly, arrang­ing
her dark skirts, her pock­ets
full of lichens and seeds. I slept
as nev­er before, a stone
on the riverbed, noth­ing
between me and the white fire of the stars
but my thoughts, and they float­ed
light as moths among the branch­es
of the per­fect trees. All night
I heard the small king­doms breath­ing
around me, the insects, and the birds
who do their work in the dark­ness. All night
I rose and fell, as if in water, grap­pling
with a lumi­nous doom. By morn­ing
I had van­ished at least a dozen times
into some­thing bet­ter.

Paru dans…
Twelve Moons (1979)

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Une Ourse dans le jardin (2023)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Twelve Moons (1979) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Béné­dicte Wesel.

JUARROZ, Roberto (1925–2021) : "Comment comprendre l’espace…" (1958)

Com­ment com­pren­dre l’espace
qui me sépare de l’arbre,
si son écorce des­sine les lignes
qui man­quent à ma pen­sée.

Com­ment com­pren­dre la par­en­thèse
qui va du nuage à mes yeux,
si les fig­ures du vent
délient le temps ser­ré de ma petite his­toire ?

Com­ment com­pren­dre le cri pétri­fié
qui gèle toutes les paroles du monde,
si de même qu’il n’est qu’un seul silence
il n’est au fond qu’une seule parole ?

Je ne com­prends pas la dis­tance.
L’ultime preuve en est l’espace absurde
qui sépare en deux vies
ton exis­tence et la mienne.

Paru dans…
Poésie ver­ti­cale (1958)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Poésie ver­ti­cale (1958) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © José Cor­ti.

YEATS, William Butler (1865–1923) : "Chanson à boire" (1916, trad. Patrick Thonart, 2023)

Par la bouche, on boit le vin
Et par les yeux, on boit l’amour ;
C’est là tout ce que nous appren­drons,
Avant de vieil­lir, avant de mourir.
Je porte le verre à ma bouche,
Je te regarde… et je soupire.

A Drinking Song

Wine comes in at the mouth
And love comes in at the eye;
That’s all we shall know for truth
Before we grow old and die.
I lift the glass to my mouth,
I look at you, and I sigh.

Paru dans…
Respon­si­bil­i­ties and Oth­er Poems (1916)

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statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, com­pi­la­tion et icono­gra­phie | tra­duc­teur & con­tribu­teur : Patrick Thonart | sources : Respon­si­bil­i­ties and Oth­er Poems (The Macmil­lan Com­pa­ny, 1916) | crédits illus­tra­tions : © radiofrance.fr.

ELUARD, Paul (1895–1952) : "Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres…" (1926)

Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres,
Nos silences, nos paroles,
La lumière qui s’en va, la lumière qui revient,
Un seul sourire pour nous deux,
Par besoin de savoir, j’ai vu la nuit créer le jour sans que nous chan­gions d’apparence,
Ô bien-aimé de tous et bien-aimé d’un seul,
En silence ta bouche a promis d’être heureuse,
De loin en loin, ni la haine,
De proche en proche, ni l’amour,
Par la caresse nous sor­tons de notre enfance,
Je vois de mieux en mieux la forme humaine,
Comme un dia­logue amoureux, le cœur ne fait qu’une seule bouche
Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser,
Les sen­ti­ments à la dérive, les hommes tour­nent dans la ville,
Le regard, la parole et le fait que je t’aime,
Tout est en mou­ve­ment, il suf­fit d’avancer pour vivre,
D’aller droit devant soi vers tout ce que l’on aime,
J’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumière,
Si tu souris, c’est pour mieux m’envahir,
Les rayons de tes bras entrou­vraient le brouil­lard.

Extrait de…
(pré­ten­du­ment) Cap­i­tale de la douleur (1926)

Et dans wallonica.org, pour con­naître la vérité sur ce poème…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : pré­ten­du­ment, recueil Cap­i­tale de la douleur (1926)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : l’en-tête mon­tre une pho­to de Hanne Karin Bay­er, dite Anna Kari­na (1940–2019) dans le film Alphav­ille © N.I..

SAMAIN, Albert (1858–1900) : "Il est d’étranges soirs…" (1893)

Il est d’étranges soirs, où les fleurs ont une âme,
Où dans l’air énervé flotte du repen­tir,
Où sur la vague lente et lourde d’un soupir
Le cœur le plus secret aux lèvres vient mourir.
Il est d’étranges soirs, où les fleurs ont une âme,
Et, ces soirs-là, je vais ten­dre comme une femme.

Il est de clairs matins, de ros­es se coif­fant,
Où l’âme a des gai­etés d’eaux vives dans les roches,
Où le cœur est un ciel de Pâques plein de cloches,
Où la chair est sans tache et l’esprit sans reproches.
Il est de clairs matins, de ros­es se coif­fant,
Ces matins-là, je vais joyeux comme un enfant.

Il est de mornes jours, où las de se con­naître,
Le cœur, vieux de mille ans, s’assied sur son butin,
Où le plus cher passé sem­ble un décor déteint
Où s’agite un minable et vague cabotin.
Il est de mornes jours las du poids de con­naître,
Et, ces jours-là, je vais cour­bé comme un ancêtre.

Il est des nuits de doute, où l’angoisse vous tord,
Où l’âme, au bout de la spi­rale descen­due,
Pâle et sur l’infini ter­ri­ble sus­pendue,
Sent le vent de l’abîme, et recule éper­due !
Il est des nuits de doute, où l’angoisse vous tord,
Et, ces nuits-là, je suis dans l’ombre comme un mort.

Extrait de…
Au jardin de l’infante (1893)

En savoir plus, dans wallonica.org…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Au jardin de l’infante (Paris : Édi­tions de l’Art, 1893)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Fer­nand Khnopff © Munich Neue Pinakothek.

VALERY, Paul (1871–1945) : "Le cimetière marin" (1920)

Ce toit tran­quille, où marchent des colombes,
Entre les pins pal­pite, entre les tombes ;
Midi le juste y com­pose de feux
La mer, la mer, tou­jours recom­mencée !
Ô récom­pense après une pen­sée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !

Quel pur tra­vail de fins éclairs con­sume
Maint dia­mant d’imperceptible écume,
Et quelle paix sem­ble se con­cevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d’une éter­nelle cause,
Le Temps scin­tille et le Songe est savoir.

Sta­ble tré­sor, tem­ple sim­ple à Min­erve,
Masse de calme, et vis­i­ble réserve,
Eau sour­cilleuse, Œil qui gardes en toi
Tant de som­meil sous un voile de flamme,
Ô mon silence!… Édi­fice dans l’âme,
Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !

Tem­ple du Temps, qu’un seul soupir résume,
À ce point pur je monte et m’accoutume,
Tout entouré de mon regard marin;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scin­til­la­tion sere­ine sème
Sur l’altitude un dédain sou­verain.

Comme le fruit se fond en jouis­sance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l’âme con­sumée
Le change­ment des rives en rumeur.

Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change !
Après tant d’orgueil, après tant d’étrange
Oisiveté, mais pleine de pou­voir,
Je m’abandonne à ce bril­lant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m’apprivoise à son frêle mou­voir.

L’âme exposée aux torch­es du sol­stice,
Je te sou­tiens, admirable jus­tice
De la lumière aux armes sans pitié !
Je te rends pure à ta place pre­mière:
Regarde-toi!… Mais ren­dre la lumière
Sup­pose d’ombre une morne moitié.

Ô pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d’un cœur, aux sources du poème,
Entre le vide et l’événement pur,
J’attends l’écho de ma grandeur interne,
Amère, som­bre et sonore citerne,
Son­nant dans l’âme un creux tou­jours futur !

Sais-tu, fausse cap­tive des feuil­lages,
Golfe mangeur de ces mai­gres gril­lages,
Sur mes yeux clos, secrets éblouis­sants,
Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
Quel front l’attire à cette terre osseuse ?
Une étin­celle y pense à mes absents.

Fer­mé, sacré, plein d’un feu sans matière,
Frag­ment ter­restre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dom­iné de flam­beaux,
Com­posé d’or, de pierre et d’arbres som­bres,
Où tant de mar­bre est trem­blant sur tant d’ombres ;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !

Chi­enne splen­dide, écarte l’idolâtre !
Quand soli­taire au sourire de pâtre,
Je pais longtemps, mou­tons mys­térieux,
Le blanc trou­peau de mes tran­quilles tombes,
Éloignes-en les pru­dentes colombes,
Les songes vains, les anges curieux !

Ici venu, l’avenir est paresse.
L’insecte net grat­te la sécher­esse ;
Tout est brûlé, défait, reçu dans l’air
À je ne sais quelle sévère essence…
La vie est vaste, étant ivre d’absence,
Et l’amertume est douce, et l’esprit clair.

Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mys­tère.
Midi là-haut, Midi sans mou­ve­ment
En soi se pense et con­vient à soi-même…
Tête com­plète et par­fait diadème,
Je suis en toi le secret change­ment.

Tu n’as que moi pour con­tenir tes craintes !
Mes repen­tirs, mes doutes, mes con­traintes
Sont le défaut de ton grand dia­mant…
Mais dans leur nuit toute lourde de mar­bres,
Un peu­ple vague aux racines des arbres
A pris déjà ton par­ti lente­ment.

Ils ont fon­du dans une absence épaisse,
L’argile rouge a bu la blanche espèce,
Le don de vivre a passé dans les fleurs !
Où sont des morts les phras­es famil­ières,
L’art per­son­nel, les âmes sin­gulières ?
La larve file où se for­maient des pleurs.

Les cris aigus des filles cha­touil­lées,
Les yeux, les dents, les paupières mouil­lées,
Le sein char­mant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se ren­dent,
Les derniers dons, les doigts qui les défend­ent,
Tout va sous terre et ren­tre dans le jeu!

Et vous, grande âme, espérez-vous un songe
Qui n’aura plus ces couleurs de men­songe
Qu’aux yeux de chair l’onde et l’or font ici ?
Chanterez-vous quand serez vaporeuse ?
Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse,
La sainte impa­tience meurt aus­si !

Mai­gre immor­tal­ité noire et dorée,
Con­so­la­trice affreuse­ment lau­rée,
Qui de la mort fais un sein mater­nel,
Le beau men­songe et la pieuse ruse !
Qui ne con­naît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éter­nel !

Pères pro­fonds, têtes inhab­itées,
Qui sous le poids de tant de pel­letées,
Êtes la terre et con­fondez nos pas,
Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N’est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas !

Amour, peut-être, ou de moi-même haine ?
Sa dent secrète est de moi si prochaine
Que tous les noms lui peu­vent con­venir !
Qu’importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche
Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
À ce vivant je vis d’appartenir !

Zénon ! Cru­el Zénon ! Zénon d’Élée !
M’as-tu per­cé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas !
Le son m’enfante et la flèche me tue !
Ah ! le soleil… Quelle ombre de tortue
Pour l’âme, Achille immo­bile à grands pas !

Non, non !… Debout! Dans l’ère suc­ces­sive !
Brisez, mon corps, cette forme pen­sive !
Buvez, mon sein, la nais­sance du vent !
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme… O puis­sance salée !
Courons à l’onde en rejail­lir vivant !

Oui ! Grande mer de délires douée
Peau de pan­thère et chlamyde trouée
De mille et mille idol­es du soleil
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l’étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil,

Le vent se lève !… Il faut ten­ter de vivre!
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jail­lir des rocs !
Env­olez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tran­quille où pico­raient des focs !

Extrait de…
Le cimetière marin (1920)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Le cimetière marin (1920) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © SIPA.

LEOTARD, Philippe (1940–2001) : "Je rêve que je dors" (1996)

Je voudrais te par­ler encore
Mais voilà que tu t’endors
Tu sais
Tu par­les en dor­mant
Pas avec moi
Mais par­fois même tu ris
Ou tu chantes
Alors moi j’attends
Dans les phras­es, les mots absents
L’illumination ter­ri­ble
D’un son d’une mer­veille
Et je dis encore je t’aime
Mais c’est pour laiss­er mon souf­fle
Traîn­er dans tes cheveux
Tu souris en rêve
Tu dors
Oh peut-être qu’il ne faut pas
Trop sou­vent dire je t’aime
Oui, c’est comme vouloir s’assurer
Du cœur et des bais­ers
Douter de soi-même
Pour­tant je con­tin­ue
Je te le dis encore : je t’aime
Je veux encore par­ler
Mais voilà que tu t’endors
Alors
Je rêve que je dors

Extrait de…
album Je rêve que je dors (1996)

Et dans wallonica.org…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : album Je rêve que je dors (1996)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Jean-Louis / Gam­ma-Rapho.

BYRON, George Gordon (1788–1824) : "Il est en forêt un charme solitaire…" (1812, trad. Patrick Thonart)

Il est en forêt un charme soli­taire,
Un plaisir pur le long du rivage désert,
Et des présences amies
Où nul ne paraît ;
Face à l’Océan et
Dans sa musique qui gronde,
Ce n’est pas l’Homme que j’aime moins,
Mais la Nature
Que j’aime plus encore.

There is a plea­sure in the path­less woods,
There is a rap­ture on the lone­ly shore,
There is soci­ety where none intrudes,
By the deep Sea, and music in its roar:
I love not Man the less, but Nature more…

Paru dans…
Childe Harold’s Pil­grim­age (extrait, 1812)

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statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, com­pi­la­tion et icono­gra­phie | tra­duc­teur & con­tribu­teur : Patrick Thonart | sources : Childe Harold’s Pil­grim­age (1812) | crédits illus­tra­tions : Joseph Mal­lord William TURNER, Childe Harold’s Pil­grim­age (1823) © Sotheby’s.

BRATHWAITE, Edward Kamau (1930–2020) : "Ark" (2004, trad. Christine Pagnoulle)

Le dernier Body_Soul de Hawk
chez Ron­nie Scott à Lon­dres
11 sep­tem­bre 1968 _ suite

Hawk

dans un linceul de miroirs. ondées. han­té par les Jumelles
. voix de câbles croulants. Tours terr
-assées longtemps avant son temps ici fulg. urant l'avenir

  Rollins Bridge is fallin down

à lon­dres . où il arrive
ce tournoy-
ant temps doré

 arbres cédant leurs feuilles

tôt comme ceci . cette sai­son trot­toir pré­coce automne crissant
esprits vol.ants blancs comme chute
de neige chute de cha­grin

 dans le froid

embras­sant l’air ten­dre qui ne peut te
soutenir pas
de chaude pirogue mon sonû­gal

 qui ne peut . qui ne peut te soutenir
o mon amour mes pétales fra-
giles fanés flétris

 pétales d’amour de toi ce temps doré à lon-
dres pré­coce automne du pre­mier temps  s’effeuil-
lant brû-
lant les

traît­toirs
et les mar­ronniers. et tourn­er
le dernier coin s’engouffrer chez Ron­nie Scott

les lumières bais­sées déjà même au bar
la salle bondée ten­due serveurs silen­cieux
ce soir. là toutes ces années

un son jamais vu
jusqu’ici . monte sur scène aux applaud­isse­ments frémis­sants
sous le choc pour toutes les fois où nous ten­dons

nos oreilles à sa force fruitée, au ton­nerre
le saut
sou­ple du Mis­souri stomp en do dièse

                                                                                          au
blues coun­try uptem­po. la grâce
brune con­va­in­cante insoucieuse de Hawk qui approche

qui main­tenant se dresse len. tement sous les spots de Lon­dres
dégin­gandé et frêle . crinière clairsemée et grise
la musique qu’il com­mence à bal­ancer si im-

per­cep­ti­ble juste un rêve sur
ses lèvres . les pre­mières notes chu-
chotant quelque chose comme la mort

de toutes les cer­ti­tudes con­nues .
nos usages . notre force
fonçant à tombeau ouvert les tombereaux

de notre avenir caram.
bolent et soudain dans cette intim­ité inau­gu­rale
il sem­ble ne pou­voir jouer les créa­tures de dieu petites et grandes

pour­raient ne pas avoir la force de faire swinguer
son souf­fle dans cette embouchure courbe de plas­tique placide
la faire respir­er

et sûr . et la faire fris­son­ner vivace comme les tours
de sa métro­pole ouvrant nos oreilles pour nous clore les yeux aux sourires
et nous rassem­bler en un moment

mag­ique que lui seul pour­rait calmerde myrrhe et de sel d’anageda & de can­nelle sur notre
chair

Et alors le souf­fle revient . lent . vac­ill-
ant d’abord
et puis il sem­ble cham­bouler incon­nue dan­gereuse

une lumière
bien loin à l’horizon  . frais
vols clign/otants, une grande flotte tra­ver­sant la flu­ide

nuit & l’air là-haut
une grande marée mon­tant mon­tant osti­na­to  vers lui sur le
podi­um grand

main­tenant . le saxo s’étirant argen­té jusqu’à envelop­per
l’or du cor . et c’est à nou­veau Hawk
et nou­veau . le doux cri soule­vant les plumes de tous les sons

autour de lui .  pli-
é et déployé comme le chœur presque chant
du coq nous atteint  dans cet air dis­tant de New

York par delà ce que nous appelons vieil­lesse . infir­mité . la perte
de l’el dora­do le para. box du para. dés . vie
dans ce petit jeu roulant de pirogue chau­vi­rant au hasard.

Car ceci est quelque chose d’autre . autre autre
chose . loin loin au-delà de ce que jamais nous auri­ons conçu . anti-
cipé quand com­mence la muse

ique. croyons
que nous con­nais­sons de la muse
douce­ment rageuse piège et image et col­lage . croyons
que nous parta­geons l’homme qui fait cette mus . ante musique

et que avec la folie faite hommes en cette sai­son
d’été indi­en et pas­toral il n’y aurait pas déclin de pou­voirs .
nos han­ti. cipa­tions là en plein éveil et presque toutes ac-
com­plies . pas encore l’hésitation en sus­pens . cuiv­rée . coupable

les yeux liq­uides séduisent  bercent scin­til­lent la pause
avant que les clés ne com­men­cent à tourn­er
le coin du globe . et ain­si mal­gré la chute
des pétales de prière – rien ne se fan­erait – ne se flétri­rait.

Mais ceci est quelque chose d’autre . autre autre
hose
autre autre chose au-delà du par­a­digme
loin loin au-delà de la lim­ite

            du para .
dés . que ce que nous faisons . faisons bien pour­rait bien
dur­er longtemps longtemps après que le pre­mier souf­fle dé-

faille . après la chute des dernières feuilles des dernières graines
à tra­vers cet air de Lon­dres la mince
et creuse image de Hawk

seul enc­los dans la lumière
comblant lente­ment son ombre  au pied du
micro. le pre­mier pas

gauche, tout tout pre­mier pas. pre­mière
attaque con­fi­ante de notes leg­ba . écar-
tant le silence pour que l’homme se remette à marcher sur

la fraîche eau laconique . ploy-
ant les genoux pour saluer la sen­sa­tion
du pou­voir qui revient

les pétales . accordages . les som­bres ros­es de mag­no­lias
les change­ments . riffs
flam­boy­ants

ain­si le bassiste  peut repren­dre sa pose voûtée son sourire habi.
tuel . cuiv­re betcha betcha des cym­bales et radar glous­sant tzi
ing aper. cevant où nous sommes
à avancer ensem­ble vers le Nil fer­tile

nous sou­venant rede­venant entiers & puis­sants
les paniers de bol­gatan­ga débor­dants & oranges
généreuses & radeaux de canne à sucre . jus

frais sirop de tamarinier. à mi chemin de l’allée
le sax­o­phone axe + axé mijotant la salle d’obscurité enfumée
avec une gaie. té que nous savons main­tenant ravie à nos yeux par

trop d’inattention . lour­deur langueur las­si­tude morne
dés­espoir impuis­sant ravageur
le clapo­tis brisé de l’eau qui s’infiltre dans notre unique pirogue
. peut-être notre dernier bon temps à lon­dres

mais un jour cer­tain de l’avenir de new
york.  sa majesté mag­ique énig­ma­tique fleuris-
sant la salle . la lueur de son

corps le seul mot que nous ayons pour ce qui est – cet éber-
lue­ment autour de ces tours futures de son chef d’œuvre solo
se dres­sant à nou­veau sonore vers la croix d’argent

d’un jet qui approche . dis­séquant dans le bleu
la pleine mosquée et présages blancs de la lune
juste des après-midis avant . haut au-dessus de Berke­ley Square .
au-dessus de

Heroes Square . au dessus de Wash­ing­ton Square. Wall Street
Canal. Le cimetière des nègress. corps . corps . corps . corps
se déver-

sant de ce som­bre strom­boli de Man-
hat­tan dans de con­fus­es cat­a­combes de dis-
pari­tion d’amour et grâce et douleur & brûlure per­sis­tante .

le cénote de cristal effon­dré . les
tôles styrées fendues éclatées spi­ralant du vol­can
muet en cloche de fumée

leurs vit­res . éparpil­lées en mélopées étran­glées
vers la valence mas­ca­rade d'un sol loin­tain.   le chant
brumeux mon­tant des puits du car­nage . quelque part .  quelque

pesant don-
jon errant par­fum loin­tain échec de l’ibis
cette nour­ri­t­ure & promesse d’un mir­a­cle . mais pas encore pas

encore. même si nous le savons en route tan­dis que nous comp­tons
les maux les morts les mutilés le grince­ment le coût écra.sant
les débris les petits les aveu­gles tombant de l’air car­bone

& claque­ments lacéra­tions des blessés
amassés . odeur de car­nage
de chair tor­due et imprimée sur les fers . chair

dev­enue sel . sel de-
venu bran­don gru­au car­bon­isé cen­dres cen­dres éclair de
larmes . les larmes au bout des doigts comme goudron

le noir col­lant  brouil­lages brûlés bom­bardés
lacérés le dia­mant
les gens marchent sur leur cœur en bouil­lie & vivent ds la lune

et d’autres s’arrêtent écartelés à demi vivants atten­dent
mon­tée d’une bur­ka de pous­sière & mon­stre tout autour
de nous dans ces vagues rugis­santes et ven­tre de rage qui chu­chote main­tenant

un al-quai­da lové noyé devant nous et sous nous
bien-aimés descen­dus  dans les arêtes de ton­nerre démo­ni­aque
descen­dus dis­parus dans la ruée as . pirée d’air
hurlant de lave et de cimetière mes petites filles chéries chéries

o hurlez héros . Hiroshi­ma . au quelle dom­mage
. quel Agent Ornage kora

 souf­flées avec leurs rubans . pré­cip­itées dans le caniveau
leurs douces huiles rouges
tachent le silence de park­ing et sif­fle­ment de minu­it nucléaire
éveil­lant lente­ment les larges trot­toirs blan­chissant s’élargissant

toc toc à la porte des cieux

mon oncle du Coin des Bonnes Affaires chez Filene
n’ira plus jamais y acheter ni là ni nulle part si mer­veilleuse­ment .
sa lèvre de titane cell.ulaire si affamée naguère de don­ner des
nou­velles ne se plain­dra plus du 92e étage

on n’a pas trou­vé son corps . on n’a pas trou­vé son télé­phone
quelque part dans le vaste fleuve béant des pléni­tudes de la
blessure de la ville . il est aveu­gle lig­oté et béd.ouin échoué

on ne peut même pas partager le chu­chote­ment sans voix sans
fil de son des­tin . pas savoir s’il a sauté ou brûlé
pas savoir s’il est encore là-haut s'il est tombé

Et ain­si ce matin veille de sans lumière ni choix
je ne puis nag­er
la pierre . je ne puis m’accrocher à l’eau . je me noie
j’avale aban­don­né . je tourne et dé-

vale dans la peur suf­fo­cante . une nuit si pro­fonde qu’elle fait
tourn­er et pleur­er la file d’araignées de l’avenir que l’on voit fil-
ant ici leur voix d’argent
de larmes . les bijoux de leurs yeux sans . paupières ni éclat

à tra­vers les coups de cette éter­nité . je me débats, je brûle
et quand j’émerge léviathan des pro­fondeurs .
noire luit ma peau
de phoque . de noirs galets é . den­tés minent la rive

han­tée par pous­sière et brome
mon­tres bracelets sans marée
ni son
com­mu­nion sans mains

brisées   x-
plo­sions de frus­tra­tions . drones .
transsub­stan­ti­a­tion de la sueur
de haine . les lèvres rubis absentes

sur le bord trem­blant
du vin . je m’éveille au top
pour te dire que dans ces eaux sonores de mon pays

il n’y a ni racine ni espoir ni nuage ni rêve ni bar­que à voile
ni mir­a­cle ten­ta­teur . bonjour ne peut com
penser mau­vaise nuit  nos dents rica­nent mor­dent

même l’acier en fusion
des ren­con­tres vespérales d’anges sans défense
dans ce nou­veau jardin fer­mi­er des délices de la terre

cet incon­nu d’injustices vac­il­lant
descen­dant brin­que­bal­lant la roue et cime-
tière du vent . les rues étroites comme des en faux

air clair pour un moment . claire
inno­cence où nous courons si si si si nom­breux . la foule
qui coule

sur le pont de Brook­lyn . si si nom­breux . je ne pen­sais pas que la
mort en avait défait autant
. se fond dans ce qui devient soupir
fanal lumineux de l’avenue vide à jamais

notre âme par­fois déjà loin devant nos apparences
et notre vie se retourne
sel comme à Bhuj à Grenade . Guer­ni­ca . Amrit­sar . Tad­jik­istan

les cités hagardes frap­pées par le soufre des plaines
de l’Etna . Pelée . Naples et Kraka­toa
les jeunes mères enfants veuves à la vit­re pros­ti­tuées

revoient le passé comme en Bosnie . au Soudan . à Tch­er­nobyl
Oax­a­ca ter­re­mo­to incom­pre­hende . al’fata el Janin . à Bhopal
bébés tètent le lait tox­ique . nos langues empâtées alour­dies

s’habituent à quel est le mot qu’il n’y a pas en français
au-delà de Schaden­freude pas pas du tout
comme fado dodona ou duende  ce moment sur un pic à Darien

Bal­boa ü Mai Lai

Ain­si donc quel est le mot
pour cette haute poutre de sui­cide . la colombe de la corde
étouf­fant la gorge qui roucoule douce­ment des prêtres de la                                                                                                      réus­site

le choc

de votre mort dans la fis­sion du bour­bier
de la dette. gâchis . vif-argent virant à sable
mou­vant et déver­soir . boy­aux mous de sida de Mon Frère . les

jeunes sat­urés du goût de la mort dans le chau­dron d’eau bosselé
quel prophète ma langue
avec la perte tsuna­mi de Ma Mère le Nom, l’é-

chec de l’espoir d’angéliques tombées. les alpha­bets s’entassent
à l’envers dans ma bouche
de mélass­es . ban­dalou . babel. et l’écrou-

lement du plâtre sur ces voix ces par­ti­tions
dub rap hip-hop scouse . la chaîne
qui barre les marchés de Mar­rakech

mijotant de vieilles blessures de verbes dis­parus qui peu­vent guérir
. de bap­têmes dis­parus qui hurleront
ton nom du som­met du désas­tre. adjec­tifs déjà en-

volés en tin­ta­marre . flâ­nant dans la honte . le silence de pour­ri­t­ure
des non-cieux tor­rides . les hor­ri­bles fours de kapo de la bête
sur l’aire à rat de ta syphilis. pied

plat de la peur . l’animal incon­nu avide
qui est ta sœur sybille à la porte
du par­adis les qua­tre

petites filles xplosées de Bir-
ming­ham cette ku-
klux chré­ti­enne nuit de taber­na­cle à Sodome & Herero Alaba­ma

flim

& ter­reur volant au vent Nya­ma­ta Rwan­da . les pau­vres de bom-
fin gouges de pierre et failles de nos pa-
lais décorés . la veuve aux ros­es à la vit­re à . jamais cher-

chant dans la frus.tration sur le siège arrière criblé
de balles de sa lim­ou­sine son héros héros de prési­den­tiel époux et
son cer-

veau éclaté en con­fet­ti à Dal­las . le champignon fulig­ineux de la
Mort Noire de Dieu à Nagasa­ki . les exploits de Pol Pot
la Grande Pyra­mide de Crânes du Roi Léopold au cœur du Con­go

belge

comme Judas venu au Chriss . comme le léopard venu à l’agneau
juste sur ce som­bre sol in.égal de cat­a­stro­phe où bien­tôt
les vis­ages sauriens dévastés des morts nous dévis­ageront

de leurs orbites cli­que­tants . le ten­dre lan­gage irie
de leurs prières
douces lames d’yeux chan­delles en psaumes de douleur et                                                                                                         inno­cence irie

de pho­tos de ruines et jeunes cœurs clig­no­tants d’ours
en peluche d’enfance con­tre l’encens des grilles noires
et luisantes des parcs . tous leurs oiseaux

par­tis
esprits de feuilles de céré­monies de verte végé­ta­tion
par­tis

Rita Lasar Joseph O’Reilly Masu­da wa.Sultan . ses neuf enfants
par­tis
Fitzroy St Rose l’Echelle de 16 mètres tant de mil tant de mil­liers

par­tis
il sem­ble que presque tous ceux mon­tés tra­vailler là ils sont
par­tis

comme le jour où tu m’as fait avaler le bout de ma langue
dans les vil­lages. en suiv­ant les traces
de pas de moi-même moi-même . la détresse

de mes pro­pres fleuves de cette chair
qui le ressent le sait Seigneur !
ma pro­pre cen­dre mon pro­pre alpha . mes pro­pres lim­ites de cri

com­ment tu m’as fait chanter ces étranges meschants dans un                                                                                                             étrange pays

si loin de musique sexe et saxo
& rien rien rien de neuf

tout naufrage
tout épave . et
tombant du bleu vers des champs sonores
Iran Irak Colom­bus Ayi­ti Colom­bo Bey­routh Man­hat­tan                                                                          Afghanistan et toi

<

J’étais sur les march­es du City Hall – dans toute cette pous­sière
et je savais que Ter­ry [son mari, le cap­i­taine de l’Equipe] devait être

… à un des étages, aus­si haut qu’il pou­vait attein­dre … dans ce bâti­ment …
car c’est ce que fait sa brigade … et quand j’ai vu tomber le bâti­ment

j’ai su qu’il n’avait aucune chance

par­fois je me tra­casse à me deman­der s’il avait peur … mais … comme je le con­nais

je pense qu’il était con­cen­tré sur ce qu’il avait à faire … par­fois ça me met en colère

[ici elle a un petit rire de cha­grin]

… mais je ne crois pas qu’il …
je pense qu’à l’arrière de sa tête … il se demandait plus où
j’étais ? si j’étais assez loin … de ce qui se pas­sait ?
Mais je ne pense pas qu’il envis­ageait … qu’il ne ren­tr­erait pas à la mai­son

et par­fois ça me met en colère … presque comme s’il ne me choi­sis­sait pas … ?
Mais je ne peux pas lui en vouloir … il fai­sait son travail…il était comme cela
et c’est pour cela que je l’aimais tant

… donc je ne peux pas le lui reprocher …

son ami Jim m’a dit qu’il a vu entr­er Ter­ry et Ter­ry lui a dit
peut-être qu’on ne se rever­ra pas
et l’a embrassé sur la joue …  et il est mon­té … en courant

[dans la tour­mente de flammes de march­es hautes étroites brûlantes sans retour de la Tour Nord]

… quand le bâti­ment est tombé …
… j’ai juste sen­ti une décon­nec­tion totale dans mon cœur …
c’était juste comme si tout m’était juste arraché de la poitrine

je pen­sais que Ter­ry était juste

i n c i n é r é

je grat­tais la pous­sière … du sol … en pen­sant qu’il était
dans la pous­sière

Bethe Petrone lors de l’hommage aux héros du 11 sep­tem­bre
(HBO/Tv Memo­r­i­al Trib­ute, le 26 May 2002)
pour elle-même si belle
et pour toutes les femmes du monde de ce poème – je voudrais avoir leurs
mots – à New-York, au Rwan­da, à Kingston, en Irak, en Afghanistan
Quand son mari est mort le 11 sept. il ne savait même pas qu'elle était enceinte

J’ai per­du mon mari … mais je pense qu’il a fait …  de son mieux
… parce que je crois vrai­ment que quand Ter­ry est arrivé au Ciel …
il avait tant de points en sa faveur qu’il a plaidé pour cet enfant parce qu’il savait
que ce serait la seule chose qui me sauverait

… Et … je pense que de ce point de vue …
…  j’ai eu …  [… ] … je vais vivre …  j’ai encore quelque chose de Ter­ry …
… que je vais voir en mai …

Et tant de gens de la Pomme n’ont pas cela

alors je me dis que d’une façon …  j’ai eu de la chance …  mais sinon
[ici elle essaye de sourire]

… c’est clair …  je n’en ai pas eu
[et d'un geste elle fait excusez-moi]

>

Ain­si même en ce moment

rap­pelons-nous les pau­vres et les déshérités
qui ont froid et faim. les damnés de la terre

 les malades de corps et d’esprit . ceux qui porteront
le sol en flammes la frac­ture du deuil sur leur vis­age
les estropiés les soli­taires les anonymes sans amour à don­ner
ou recevoir

 les vieil­lards déglin­gués au nom de Dieu . les petits enfants
accordéon sans trace qui glanent dans les rues sans mois­son de
Rio Mysore Sre­breni­ca nul qui ne con­naît ni ne con­naî­tra la pure
ten­dresse vivante aimante du Seigneur sur un autre rivage

Et la mélodie presque évanouie main­tenant du solo
juste son doux frémis­sant éche­veau d’archipels
juste wal­ter john­son et les boys le sou­tenant  dans ce

cer­cle et mariage de lumière
dans l'harmonie de tes accords . les pétales repliés de métal cuiv­ré se
déploient sur le ténor tin­tant qui tombe en lentes spi­rales
de ton chant

& tombent ici tels des plumes de moineaux mélan­col­ies
o mon amour
mais dressés encore dressés là d’où tu as été pré­cip­ité

en bas des murs de pour­pre & d’orgueil & fir­ma­ment
les rich­es demeures-pris­ons où pix­ie et yeux mul­ti­ples
dégringo­lent dans le gron­de­ment

de la marée d’épines et de rochers . et de détri­tus . trônes
trônes ren­ver­sés d’une Baby­lone où tu de-
meures . souil­lé . ce furent tant d’après-midi de lyn­chage

étrange fruit gravé de soli­taires cru­ci­fix­ion où sont sys­té­ma-
tique­ment cassés mains et os cata­toniques tant
de cordes de gui­tare cassées . un tel dégât essen­tiel

dans des salles de bain aux car­reaux blancs des palais de la police – le sen­ti­men­tal bal­ai de gom­or­rhe
dépasse . o Hawk louima lové.  ton angoisse haï­ti­enne brisée

°

avec ton frêle solo rageur
brûlant dans la lumière changeante de cette salle si bleue
si indi­go

°

les plumes tom.bent vo.lent tom.bent é.chouent tom.
bent dans ce nou­veau
mon­u­ment new yorkais de froid mor­tel & aber­fan

où tant de gloire  est un coup
de dés . soleil
vert si vif que les ombres quand on marche dessus

sont épines rouges & brû.lantes & muhar­ram
. tant tant d’enfants abikù & nés
avec la mort et leurs his­toires en lam­beaux per­dues et non-dites

°

Ces enfants font fils et mères
cte bande avec toi du monde tru­cidé
mais leurs godass­es sans tête sans appui
bail­lent et rient . vi- sans abri les enfants de femmes
dant sang du IIImonde aban-
dans le sol don­nés aux march­es d'un hôpi­tal
brûlant sur des trot­toirs défon­cés
  pleine loi pleine ran­coeur
ô reviens Black Hawk sur des sites
reviens reviens décon­stru­its sans lumière
  dans des brèch­es
monte au pignon des palais
le son noir plus fort dans les feuilles de bananier
qu'il laboure encore bien en vue . la cab­ine
des champs de patientes ter­rass­es de ser­vice de nos
longs rugisse­ments soli­taires voitures de chemin
de maïs pour Gins­berg Whit- de fer . dans des touffes
man pour Hart de roseaux sans
Crane pour Louis Ornette tou- joie . dans l'osier
jours pour Rollins et pour bien tressé
Trane . pour vent pour le cor­bil­lard de métal
pièges pour tours tun- dans le cheval de Troie
nels sous blessures & sous terre men­tal . trois cent
et sous fleuve . esca- cinquante hommes du feu
liers se déver- eux
sant sans fin mêmes de-
dans le vide venus feu . les machines
sans issue sans sur- de braise ardente de
prenante échap­pée sans leurs yeux hurlant
grâce sal­va­trice encore ishak me-
pour tous les shak et abed­ne­gro

Αin­si vivons-nous main­tenant
à l’intérieur de cet après-midi
cré­pus­cu­laire . bonne

journée je répète
ne peut com­penser mau­vaise
nuit . nos dents rica­nent

mor­dent
même des anges
impuis­sants dans ce

nou­veau jardin
de pous­sière des
délices de la terre

les papiers dis­per­sés
du plus haut monu-
ment du com­merce

mon­di­al . ces let­tres
au soleil
des esprits

bric à brac blanc
des morts
des tours

oiseau pierre chair
passera sera pajari­ta
et de ce qui est encore à

dé-
faire dé-
faire

main­tenant vo-
lant tris­te­ment par-
fois dou-

cement par-
fois chose
ver­tig­ineuse dans le tran­chant soudain

de colombes
chauves dans la
lumière du ciel

comme des désas­tres
d’étoiles clig­no­tantes
dans la vie

du bleu
°

tout comme toi
qui viens qui viens chaud  kon­nu
comme à la fin de cette longue ten­sion et pal­im

de ton chant

Et comme j’entre
dans le club
Rollins Scott
où tu as joué
ton des­tin
où tu te
dress­es presque
dépouil-
lé de ton roy-
aume tré-
buchant d’abord dans de faux
arpèges de faus­set
mais pas­sant du bémol
au plein vol
du corps
du son
non plus tout seul
en quelque fiat
de pou­voir
per­so
jouant
ta muse jusque au-
delà de la butte
du mo-
ment et mou-
vement du chant
dans la mé-

moire esprit
ailé de
la flûte
dans tes os
car aus­si long-
temps qu’il y aura
ce ten­dre para-
chute
du blues
dans le(s) doux
saxophone(s)
de ton chant
il y aura
chant
il y aura
chan­son

mais même si je dis toutes ces choses
écris ain­si de toi
revis et ressens et relève toutes ces choses

comme je dis
si proche de soi de moi-même que même ce
froid ou la chaleur de ces habits de douleur

et même si je vais écrire ceci en feu. par le feu. à tra­vers la pous­sière du
désert de pas.  dans le vor­tex de l’arche du tour­bil­lon titan­ic
où ma man­man se rap­pelle même pas mon nom

et je ne sais pas pourquoi ce rid­dim advient advient advient advient
ce que veut dire ce poème ce qu’il sig­ni­fie une fois fait
quand vien­dra son temps d’oracle cer­cle et appel et je devrai affron­ter
la musique
devant toi et le lire tout haut tout seul

quand le sang dans la voix portée à tes oreilles
s’épandra en autant d’échardes autant de larmes si vaine­ment répan­dues en muti­la­tions si vaine­ment partagées . con­stel­la­tions trop cru­elle­ment déplacées trop de minu­its accordés au désas­tre

beauté cul­tivée en vas­es et sculp­tures . charismes élec­triques . céra-
miques écroulées . pou­voir pan­to­cra­tique hale­tant sous la frise
et la vigne tombée enroulée autour du pili­er de l’Empire Romain d’Occident
. où que je me tourne . j’entends le ton­nerre .

si j’essaye de dormir . éclabous­sures de fusil­lade et pil­lage . bris­es sul.furieuses
même si je vais en touche aux arbres noirs syco­rax je sens qu’ils reti­en­nent
le fruit qu’ils offrent encore offrant du sel avec les cen­dres som­bre crispa­tion du pét­role leurs fleurs de cerisi­er
por­tant les uni­formes oranges de la souf­france entre­vue

le long des bar­ri­cades de bro­cart d’abugraib guan­tanamo ther­mopy­les
wound­ed knee
la voix laborieuse à la radio deman­dant où sont les tulipes qui ouvriront la porte aux colombes tue tue tue tue

tortue tor­tu­ga tor­ture pornographique
images d’Irak Afghanistan Cortez Con­quis­ta­dor
cheva­liers d’armoiries en armure bull­doz­er sans amour revêtues de buf­fle
6000 milles de dis­parus . Chili . Incas . Tupac Amaru
les 6000 milles de la Grande Muraille de Berlin de Belleville-Bar­bade
de Chine

de Gaza Pales­tine aveu­gle dépos­sédée . con­traintes immu­muri­ales de la vie par delà la loi
où est la vérité l’honneur la beauté la perte brûlée au matin
où est l’ . où est l’ . où est l’amour
pais­i­ble comme à Koshkonong sur le lac de Black Hawk atten­dant le chant
de Lorine Niedek­er vue par Cyn­thia Wil­son

Hawk

dans un linceul de miroirs
han­té par ondées
fleurs tombant

longtemps avant son temps ici avenir
ful­gu­rant
où il arrive

ce temps doré
pré­coce comme celui-ci
cet automne pré­coce de new york

frais le frais le clair les tours qui tombent
o laisse-moi
ma bien-aimée

aXe

aXe

àXé

°

devant ces mon­des de fer de griffes tombant
je te perds
toi

à tra­vers grilles brisées affais­sées de tombes d’eau
je te perds
toi

ces mots pour des guer­res sou­veraines
je te perds je te perds
toi

- même dans la tour en
feu de ce sax­o­phone
o laisse-moi t’aimer t’aimer t’aimer o

rede­venir grand & beau
que les mers se déri­dent & que la terre soit grain
les arbres patients ancêtres & que nos prières appor­tent la pluie
les his­toires de tous ces autres peu­ples aus­si cru­els & aus­si braves.

Ain­si si nous nous tenons par la main . chair
de chair déchirée sur os vivant . sous
la chair . le sang comme un gant roucoulant de frères et de sœurs

Ain­si si nous nous tenons par la main . accrochant
tout ce que nous sommes à tout ce que nous voudri­ons devenir
ton cœur & mon cœur

& mon cœur & ton cœur
& l’innocence de l’oiselet à jamais à jamais
enflam­mant le trébuche­ment de là où nous allons

réu­nis­sant la cour­bu­re de la vague de l’univers
cette chaîne d’esprits à l’exigence du bleu
cette clameur mon­tante qui n’est que toi

asso­cié par nos oura­gans & rage de cœur
ce cer­cle auréole de mir­a­cle
où nous accé­dons

étrav­es
étoiles
loin­tains
voy­ages
sil­ice tombe
comme ton­nerre
dans val­lées
sans forêts
angoiss­es de cataractes flu­viales
fal­lu­jahs & leurs con­so­la­tions
inondées d’argent
ombres de cal­ices sans épi-
neux ni buis­sons
ombres pro­jetées dans la mosquée
déchirée de Tombouc­tou
le vieux baobab impa­vide du Niger
presque muet à présent
les lamelles de clair de lune à Sind
feuilles douces du Rwan­da les douces
rues de pluie bal­ayant Lon­dres
les hauts fan­tômes de verre
une fois de plus in memo­ri­am man­hat­tan des casuar­ines
cette cité finit
O  filles
où com­mença son his­toire son his­toire com­mence
… ces eaux …

Ain­si
si je te tiens la main
tis­su . doux . espoir . tenu le mal à l’écart en attente
& tu me tiens
la main
repos . repos . rose . proche de la fin du jour
& tu lui tiens
la main à elle
je ne veux pas y penser . si proche du jeu
des dunes
de mon cœur dans ta main
& ta main
dans sa main à lui
Danse Mona Lisa Danse
(si tu le veux)
& sa main à lui
est sa main à elle

et sa main exacte­ment ton mal
dans son cal­ice . accep­tant ta souf­france
pluie drue implaca­ble­ment péni­tente

au nom du Seigneur des eaux calmes
dans les som­bres feuilles les palmes de tes mains
où l’arbre de nos mains est pour tous

ô ten­dre vent de baume des champs
de canne au loin

vivace + vert + radi­ance

Que la paix soit . sur le pays

Que la paix soit . sur le pays

Hawk

dans un linceul de miroirs
han­té par ondées
chute de feuilles

longtemps avant son temps ici avenir
ful­gu­rant
où il arrive

ce temps doré
pré­coce comme celui-ci
cet automne pré­coce de new york

arbres cédant leurs feuilles
si bien qu’enfin nous les rassem­blons dans leurs mes­sages
chu­chotés leurs douces sor­cel­leries secrètes de salut

ne les perds plus jamais
ma bien-aimée
dans cette moi­teur dans cette dureté dans cette douleur
dans ces cha­grins

frais le frais le clair la chute des tours

o laisse-moi
ma bien aimée
dans ces brais­es man­hat­tan de nos années

dans ce sou­venir de nos peurs en avers­es impuis­santes
si dif­férent main­tenant ce nou­veau sep­tem­bre de ces années
cer­taines vers la fin . cer­taines vers le début de leur longue gayelle

o yer­ri yer­ri yer­ri yarrow
o silence hâvre salut

ain­si laisse-moi
ma bien-aimée
t’aimer t’aimer t’aimer t’aimer

vivace + vert + doré

body

body & soul

Paru dans…
Ark (New York & Kingston : Sava­cou North, 2004, trad. Arche)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : tra­duc­tion de Chris­tine Pag­noulle et Annette Gérard (cette tra­duc­tion fait par­tie d'une série de trois poèmes présen­tés par Chris­tine Pag­noulle dans l'article Trois poètes, trois plaidoy­ers pour la paix (2021) : HULSE Michael, La mère des batailles (1991) traduit de The Moth­er of Bat­tle (Hull : Lit­tle­wood Arc, 1991) ; SCHWARTZ Leonard, Nou­velle Babel (2016) traduit de The New Babel in  The Tow­er of Diverse Shores (Jer­sey City NJ : Tal­is­man House, 2003) ; BRATHWAITE Kamau, Ark (2004) traduit de Ark (New York & Kingston : Sava­cou North, 2004) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Bar­ba­dos Under­ground.