PONTHUS, Joseph (1978–2021) : "ça a débuté comme ça…" (2019)

ça a débuté comme ça
Moi j’avais rien demandé mais
Quand un chef à ma prise de poste me demande
si j’ai déjà égout­té du tofu
Égout­ter du tofu
Je me répète les mots sans trop y croire
Je vais égout­ter du tofu cette nuit
Toute la nuit je serai un égout­teur de tofu

Je me dis que je vais vivre une expéri­ence par­ti­c­ulière
dans ce monde déjà par­al­lèle qu’est l’usine
de dix-neuf heures jusqu’à qua­tre heures trente
ce qui en comp­tant la demi-heure de pause quo­ti­di­enne me fera un bon neuf heures de boulot

Je com­mence à tra­vailler
J’égoutte du tofu
Je me répète cette phrase
Comme un mantra
Presque
Comme une for­mule mag­ique
Sacra­mentelle
Un mot de passe
Une sorte de résumé de la van­ité de l’existence du tra­vail du monde entier de l’usine
Je me marre

J’essaie de chan­ton­ner dans ma tête
Y a d’la joie
du bon Trenet pour me motiv­er
Je pense aux fameux vers de Shake­speare où le monde est une scène dont nous ne sommes que les mau­vais acteurs

Je pense que le Tofu c’est dégueu­lasse et que s’il n’y avait pas de végé­tariens je ne me collerais pas ce chantier de fou de tofu

Les gestes com­men­cent à devenir machin­aux
Cut­ter
Ouvrir le car­ton de vingt kilos de tofu
Met­tre les sachets de trois kilos env­i­ron chaque
sur ma table de tra­vail
Cut­ter
Ouvrir les sachets
Met­tre le tofu à la ver­ti­cale sur un genre de pas­soire hor­i­zon­tale en inox d’où tombe le liq­uide saumâtre
Laiss­er le tofu s’égoutter un cer­tain temps

Un cer­tain temps
Comme aurait dit Fer­nand Ray­naud pour son fût du canon
J’essaie de me sou­venir des sketch­es de Fer­nand Ray­naud en égout­tant du tofu
Je me sou­viens que ma grand-mère ado­rait me les mon­tr­er à la télé quand j’étais gamin
Je me sou­viens
je me sou­viens de Georges Perec
For­cé­ment
J’égoutte du tofu

De temps en temps
Les grands sacs où j’entrepose mes déchets
car­tons et sachets plas­tique
Je les emporte aux poubelles extérieures
C’est bien ça
Aller aux poubelles
ça change un peu

Celui qui n’a jamais égout­té de tofu pen­dant neuf heures de nuit ne pour­ra jamais com­pren­dre
Il n’y a aucune gloire à en tir­er
Pas de mépris pour les non-ouvri­ers
Le mépris
Je pense au chef‑d’oeuvre de Godard

Les heures passent ne passent pas je suis per­du
Je suis dans un état de demi-som­meil exta­tique
Mais je ne rêve pas
Je ne cauchemar pas
Je ne m’endors pas
Je tra­vaille

J’égoutte du tofu
Je me répète cette phrase
Comme un mantra
je me dis qu’il faut avoir une sacrée foi dans la paie qui fini­ra bien par tomber
dans l’amour de l’absurde
ou dans la lit­téra­ture
Pour con­tin­uer
Il faut con­tin­uer
Égout­ter du tofu
De temps à autre
Aller aux poubelles

La pause arrive à une heure dix du matin
Clope Café Clope Un Snick­ers Clope
Mais c’est l’heure
La poin­teuse
C’est repar­ti

J’égoutte du tofu
Encore trois heures à tir­er
Plus que trois heures à tir­er
Il faut con­tin­uer
J’égoutte du tofu
Je vais con­tin­uer
La nuit n’en finit pas
J’égoutte du tofu
La nuit n’en finit plus
J’égoutte du tofu

On gagne des sous
Et l’usine nous bouf­fera
Et nous bouffe déjà
Mais ça on ne le dit pas
Car à l’usine
C’est comme chez Brel
“Mon­sieur
On ne dit pas
On ne dit pas”

Extrait de…
à la ligne ; feuil­lets d'usine (2019)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : A la ligne ; feuil­lets d'usine (2019)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Joseph Pon­thus en 2019 © rtbf.be.

GRAHAM, Desmond (né en 1940) : "La bourse et la vie" ("The Scale of Change", 2011, trad. Christine Pagnoulle)

Classes
Mon enfance

temps de princes
et de monar­ques
quand le Shah
et l’impératrice Farah
c’étaient les bons

et un homme
comme le roi Farouk01
pou­vait se trans­former
quelques années plus tard
en excrois­sance ver­ruqueuse

un truc qu’avaient
les filles Aldridge
ou l’une d’elles
et bien trop aris­to
pour nous faire peur

comme les filles réus­sis­saient
à attrap­er
de leurs tress­es d’or
leur monar­que
le petit Jor­danien02

comme un bat­teur
de milieu de match
en cos­tume ajusté
et des siè­cles
de paix et de civil­i­sa­tion

ou comme Rainier
et ce grand cir­cuit
sur la colline
de Mona­co

nous étions si mul­ti
-raci­aux –
Learie Con­stan­tine03
pou­vait me sem­bler à demi
irlandais comme grand-maman

le Nabab
de Patau­di04
pou­vait
bat­te à la main
venir à bout
d’un été anglais
fait de soirs d’automne

nous étions supérieurs
comme les Saou­di­ens
avec tous leurs haras
de chevaux de course
fracs et jumelles

de la main nous saluions
au temps d’avant les caméras
le car­rosse de la reine
qui pas­sait la ligne d’arrivée
tous les autres sur celle de départ

et si notre rôle
si nous nous risquions
à en avoir un
était sen­tinelle
regard fixe lanière au men­ton

femme de cham­bre
ou cocher
fier de ses chevaux
nous étions tou­jours
de leur monde

bien qu’eux
pas de doute
ne fussent jamais
du nôtre

Mon père

au club de crick­et
venait tou­jours après
Mr Lee
et toute sa famille
et après
Neil Cork­er
Eric Staunton
Tony Nunn
et tous les jeunes
en petite cas­quette
et blaz­er rayé

il avait per­du son rythme
et per­du sa longueur
et rece­vait la balle
un pied en avant
peu importe le serveur
il assur­ait quand même
dans la nuit tombante
et le dernier over

dans les pièces
il jouait tou­jours le major­dome
ou dans les dernières années
l’inspecteur en chef
qui rece­vait les ordres
du colonel du nobli­au
et du médecin de famille
alors que le meur­tri­er
était tou­jours
l’un d’eux

mais à l’église
mal­gré la grande cul­ture
de Miss Blow
et de Mrs Judd
il n’avait que Dieu
au-dessus de lui
et les grands com­pos­i­teurs
et les règles appris­es
dans son enfance
quand il chan­tait
en pro­fes­sion­nel
Morales
Clemens (non Papa)05
Beethoven en ut Majeur06

*
enfant de Lon­dres
il avait emmené
avec lui
à la cam­pagne
tous ceux de Cheyne Walk
et Rot­ten Row
qui don­naient des ordres à son père
devenus gen­tle­men
ou spécu­la­teurs en con­struc­tion
ban­quiers courtiers
hommes d’affaires ou voleurs

tan­dis que valets de ferme
ou employés munic­i­paux
s’amenaient tran­quilles
et de leurs bras robustes
tenaient bon
deux douzaines d’overs07
et que Major Virtue
tou­jours en pads à fentes
genre Grace ou Trumper08
pour recevoir en trois
som­no­lait
der­rière le bat­teur
ou s’agitait dans la même ligne
mon père rat­tra­pait
où ça ne se voit pas
des deux côtés du ter­rain
encour­ageant le lanceur

il n’avait pas de chevrons
à ses couleurs
sur son pullover
tri­coté main
au point tor­sade
par ma mère
por­tait la cas­quette du club
offerte aux mem­bres
et n’a jamais com­pris
le mys­tère des class­es

Je ne traversais jamais la rue

les enfants incon­nus
et dan­gereux
de l’autre côté
et ce qui se pas­sait
der­rière la rangée de maisons
je ne l’ai jamais décou­vert

mais sur ma bicy­clette
j’escaladais la colline
et au-dessus
je tour­nais à droite
et pas­sais la grille du domaine

où j’attendais
Celia
une place à Leeds assurée
un gin ton­ic
comme un trophée
entre les doigts

pour être inter­rogé
par son père
par­don­nez mon igno­rance
je vous prie
mais Leeds
c’est Oxford
ou Cam­bridge

Tout comme nous

ce brave homme
le Dr John­son
don­nait à son domes­tique noir09
une livrée
ain­si on savait
que l’attaquer
avait peu de chance
de ne pas être
remar­qué
juste comme nos Hawks
Mete­ors
et Vam­pires10
pro­tè­gent pachas
princes arabes
et respecta­bles dirigeants
face à la pop­u­lace
bruyante et vul­gaire
qui pour­rait les ren­vers­er
pour moins que rien
tout comme nous

La Loi et l’Ordre

Gün­ter Podola11
pen­du par le cou
jusqu’à ce que mort s’ensuive
à la prison de Wandsworth

et les foules assoif­fées de sang
là dehors
en silence
qui voudraient voir

capu­chon noir
et sen­tence
hor­loge et glas
les signes de l’ordre

toutes les his­toires de mon père
sur les rues de Lon­dres
et les assas­sins célèbres
tour­naient à l’aigre

*
les mon­stres Mau Mau12
façon­nés de cauchemars
nos pau­vres sol­dats
qui sauvaient des fer­miers isolés

les tor­tion­naires
c’étaient tou­jours eux
nos hommes envoyés
pour met­tre de l’ordre

pro­pre­ment les ramen­er
dans le droit chemin
leur appren­dre
la Loi et l’Ordre

et la cagoule
et la chute
que je mesurais
dans l’espoir

que le nœud
soit placé
avec une pré­ci­sion
mis­éri­cordieuse

notre Pier­re­point13
cham­pi­on du monde
des exé­cu­tions
indo­lores

il a fal­lu des années
pour que ça sorte
comme des secrets
sor­tis d’un tiroir

comme si le classeur
près du lit de mon père
prou­vait qu’il était
un adepte de Crip­pen14

ou que le sol de la remise
où je jouais au pilote
au chimiste à
l’explorateur dar­winien

excavé révélait
une his­toire
comme cette mai­son
à Glouces­ter15

et que la matraque
pen­due der­rière la porte
chez grand-maman
héritée de son mari

aux­il­i­aire de police
avant la pre­mière
guerre mon­di­ale
avait servi

Reich

mes condis­ci­ples de bonne famille
dans les Col­lèges d’Oxbridge
ont con­tin­ué à admin­istr­er l’empire
quand j’arrivais pour le thé
des domes­tiques
pour la pre­mière fois
noirs
et entendais
comme on les rudoy­ait
telle­ment pire
que ceux de chez nous
qui ser­vaient
tout comme ma mère
dans les restau­rants
et les mag­a­sins

les bouch­es grossières
de ces tantes anglais­es
en Afrique
et même des enfants
don­nant des ordres
comme une peste
en pleine fig­ure
comme si rien
d’important
ne s’était pro­duit

pas de prob­lème ici
la vieille énigme
résolue
que serait-il arrivé
aux Anglais
sous Hitler

Post colonial

qu’est-il advenu
de ‘Lon­don’
garçon de salle à l’université
qui net­toy­ait aus­si en fait
chez moi

ou de la Bonne
instal­lée
dans un appen­tis
à côté des rési­dences
pas plus grand
que la cabane
où je jouais
à com­bat­tre Hitler

six livres par mois
et la nour­ri­t­ure des boys
et tant de repas de gru­au
– j’en gag­nais env­i­ron cent –
avec son tout jeune enfant
sur les épaules
à sur­veiller les miens

nous leur avons don­né
tout ce qui est arrivé
à Mugabe

*
qu’est-il advenu
de ‘Moses’
à Free­town
qui venait tous les jours
de neuf à six
et était déçu
de ne pas m’appeler
maître
ni servir à table
en grand uni­forme

et la vendeuse de cac­ahuètes
qui louchait
à peine douze ans
à qui je don­nais une pièce
chaque fois que je par­quais l’auto

nous leur avons lais­sé
Rio Tin­to
et notre amour des dia­mants

Monsieur

bien qu’à la mai­son
ce fût beau­coup mieux
j’étais encore
‘Mon­sieur le Pro­fesseur’
jusque dans les années qua­tre-vingt-dix
dîn­er
à la Table Haute
et d’autres
prenant les com­man­des
comme c’était naïf
de croire
que Thatch­er n’avait détru­it
que les mineurs
elle avait ouvert
la porte de der­rière
ajouté
des trafi­quants dou­teux
des courtiers cri­ards
à la racaille de tou­jours
et ils se sont fort bien
enten­dus

nous lais­sant
à nous con­tem­pler
le nom­bril

Rentrer chez soi

oh vertes cam­pagnes
et cot­tages
anglais
allées envahies
de carotte sauvage

où ros­es trémières
et pieds d’alouette
et bor­dures brodées
le long des pavés irréguliers
sur la carte
envoyée de Bar­row
et accueil­lie
par les ‘Man­ches­ters’
dans la boue des tranchées
de 1916
pho­tographié
bras en écharpe
près de la grille du cot­tage

souri­ant

‘No Place
Like Home’

La grand’rue

où le chif­fon­nier
avec bidet et char­rette chargée
agi­tait sa cloche
où ma mère
ver­sait du thé
aux Yan­kees
arrêtés
sur Portsmouth Road
en con­vois
ils me jetaient
de petites boites de bon­bons
au pas­sage

Récupération

je me tenais à côté
de la ‘récupéra­tion’
cinq sacs
sus­pendus
comme cinq grâces
pour redis­tribuer
la richesse du pays
fadais­es
pour les ban­quiers
pâte à papi­er
pour la presse
vieux fer
pour l’armement
vieux vête­ments
pour se cou­vrir
et pour le reste
des os
pour notre colle
sociale

Le Nord

Nous ne dépas­sions jamais
Wat­ford
et quand nous y arriv­ions
nous étions effrayés
un peu
et soulagés
de le trou­ver
presque nor­mal

le Nord
quand nous en par­lions
c’était Waltham Abbey
où mon arrière grand père
sculp­ta de nou­veaux bancs
et fit ce miroir
dans le vieux bois
qu’il choisit
comme payement

notre famille
dans des fer­mes
qui leur apparte­naient
autour de Northamp­ton
était une espèce bizarre
ne con­nais­sant pas les raids aériens
protes­tants
qui avaient leurs prob­lèmes

cou­sine Phyl­lis
dans le Grail
que j’entendais
grille de prison
tante Lou aux cartes
à Monte Car­lo

et le souf­fle
venant de l’arrière-cuisine
un lièvre mort dis­aient-ils
ou la mort par poi­son
dans la salle de bain
juste à côté

l’escalier de der­rière
qui grinçait toute la nuit
l’obscurité
à l’intérieur
comme à l’extérieur
prou­vait que c’était la cam­pagne

et au plus loin au nord
que nous nous risquions
les gaz d’échappement
s’élevaient der­rière nous
comme les gestes d’adieux
au départ d’un paque­bot

voguant vers un endroit
où se réfugi­er
dans notre cas
deux heures plus tard
chez nous

Remise des diplômes

Mes par­ents
venus pour
la remise des diplômes
le mien
trou­vaient Leeds
une ville crasseuse
les gens cor­rects
tout compte fait
et même sym­pa­thiques

la ville les fai­sait se sen­tir
encore plus déplacés
que chez eux
où ils étaient à peine
nor­maux
mais avaient leur place
et con­ser­vaient
leurs sou­venirs
de Lon­dres

comme une fan­fare
une fois passée
dont le bruit
ne peut quit­ter
les rues ani­mées
qu’elle a tra­ver­sées

dont le pas cadencé
ne serait jamais
en désac­cord
avec le vôtre
même si partout
c’était le silence

Classes

en fait
c’est comme une son­ner­ie
ringarde dans
une mai­son vide
qui teste
le genre de per­son­ne
qui va répon­dre
et les Anglais
sou­vent
ont cette son­ner­ie
dans l’oreille
peu importe s’ils
n’écoutent pas

la classe
c’est comme un
courant d’air
qui va vous
soulever
tout douce­ment
par­fois
ou bru­tale­ment
en garder d’autres
en bas

*
la classe c’est un jeu
où les let­tres
se réarrangent
pour for­mer une phrase
qui vous apprend
où vous êtes exacte­ment

et vous vous acharnez
tous les soirs
à arranger les let­tres
en vous deman­dant
si avec ce que vous avez
reçu il n’est pas pos­si­ble
de for­mer au moins
un mot

*
et classe bien sûr
c’est un autre mot
pour l’arsenal
sco­laire
le râte­lier à fusils
du fer­mi­er
le chien du pau­vre
flic

Qui possède

Pur­cell
qui pos­sède Byrd
qui pos­sède
le pla­fond
de la Chapelle de King’s Col­lege
le toit en blo­chet
de West­min­ster Hall
le vieux chêne impos­si­ble
de Win­ches­ter –
la nation

qui pos­sède la nation

Cobham

com­ment ai-je pu
pen­dant des années
me sen­tir si hon­teux
d’être né à Cob­ham
Sur­rey
trou­vant tou­jours
que les gens d’emblée
me trou­vaient sym­pa
ou pas
sur de fauss­es hypothès­es

seule­ment dans la soix­an­taine
le tra­jet vers l’école
sur mon vélo flam­bant neuf
– le prix de la bourse –
s’est trans­for­mé
d’un ter­rain golf
refuge pour les Bea­t­les
et espace
impos­si­ble­ment
enc­los
en ce lieu où Win­stan­ley
et ses Bêcheux16
‘True Lev­ellers’
comme ils s’appelaient
ont décrété
l’égalité
pour tous

quelle plaque
mar­que cet endroit
‘Ici a vécu
Ringo Starr’
‘Sol­dat
de St George’
ou ‘Ici
avant tant d’autres
et presque tous
a été proclamé
en Angleterre
le droit
d’être humain’

j’y ai vécu
vingt ans
y suis allé à l’école
dans un ray­on de cinq milles
et per­son­ne
n’a pen­sé que cela valait
d’être men­tion­né

Newcastle

John Lil­burne17
‘Niveleur’ dis­ait-on
lui préférait
porte-parole
‘Agi­ta­teur’

étu­dia à New­cas­tle
‘Roy­al Free Gram­mar School’
fut traîné par les mains
attachées à une char­rette
jusqu’à West­min­ster
mis au pilori
bâil­lon­né
per­sista
sa vie durant
à réclamer
des ‘droits égaux
pour tout humain’

Un bon nombre

La Roy­al Gram­mar School
de New­cas­tle
est fière
en ses pro­pres ter­mes18
que des jeunes gens
de toute con­di­tion
béné­fi­cient
des pos­si­bil­ités
offertes
par son enseigne­ment

aux dernières nou­velles
cent d’entre eux
reçoivent une aide
‘un bon nom­bre’
comme ils dis­ent

les autres
peu­vent acheter
ce qu’ils offrent
pour vingt livres
par jour

Clôture

instal­lé
pour une fois
ou seule­ment pour un jour
ou deux
à Worces­ter
après Cor­pus Christi
juste l’année d’avant
et Mag­dalen
de l’intérieur

con­nais­sant pareille splen­deur
en vis­i­teur
hon­oré
je demandai
à la femme de ménage
quel effet cela fai­sait
de vivre
dans tant
de beauté

j’en viens
répon­dit-elle
mais c’est presque tout
fer­mé

Le glaneur

John Clare
précurseur
res­ta de la cam­pagne
sans son éti­quette
poète paysan
pas très utile

mais là où ses oiseaux
trou­vaient refuge
dans les haies

du Northamp­ton­shire
d’immenses
moisson­neuses-bat­teuses
aspirent

jusqu’au dernier
grain
du glaneur

Les poètes anglais

Le cock­ney Keats
célèbre pour sa con­somp­tion
et son goût atroce
selon les jour­naux

pas vrai­ment à la hau­teur
de Shel­ley
qui l’a remis
à sa place

ou de Byron
qui fai­sait savoir
que Wordsworth
c’était la honte

au moins lui
avait enduré
Cam­bridge
par­mi le ‘bavardage

de fre­lu­quets’
écrivait-il –
mais Keats
qui étu­dia la médecine

d’après nos critères
guère classe ouvrière
lisait Homère
en tra­duc­tion

Vir­gile
par lui-même
éduqué
comme la mère

de Shake­speare –
un tal­ent à laiss­er
aux femmes de l’avis
du père du dra­maturge

à lui l’art plus noble
de ven­dre
des gants
aux plus hauts placés

Travail

Ma tante était
modiste ses cha­peaux
d’une telle per­fec­tion
que Cecil B. de Mille
ou un autre de la même eau
l’invita à aller
de Lon­dres
à Hol­ly­wood
sa mère
s’y opposa
à la place
elle tra­vail­la plus tard
chez Batey’s
four­nisseurs
de gin­ger beer
et limon­ades
pour la haute

mon autre tante
on l’aurait appelée
compt­able
si elle avait été un homme
elle équili­brait les comptes
pour toute L’Association
comme Pierre
avec sa bal­ance

c’était Lon­dres
et pour ma mère
de l’autre côté de la rue
chez Fort­nums
il y eut des années
de for­ma­tion
à com­ment au mieux
servir les rich­es
sans les froiss­er

et leur jeune frère
pre­mier jour comme employé
ren­tra à la mai­son
la mère scan­dal­isée –
‘tes mains
sont sales
aucun de mes fils
ne fait tra­vail pareil’
il n’y est pas retourné
le lende­main

Piscine

nous avions une piscine
der­rière le pavil­lon de l’école
où ceux qui s’étaient dis­tin­gués
pou­vaient aller plonger
par les jours de canicule
notre priv­ilège
nous balad­er libre­ment
côte à côte
comme dans un domaine
privé
où il fai­sait frais

nous prou­vions
que nous étions
au dessus de tout ça
à rien d’autre
que le bruit
de nos brass­es
jusqu’à ce qu’un
ennui
se creuse
nous sub­merge

et que nous sor­tions
sur le bord
et nous tenions là
comme un chien mouil­lé
sur la rive
cher­chant quelqu’un
mais pas une âme en vue

Service militaire

les plus âgés
dans la famille
comme mon frère
ont décou­vert
com­ment nos pères
s’entraînaient au com­bat

cheveux rasés
vis­age tan­né
par l’hiver
marchant
aux ordres

je les voy­ais défil­er
dans l’Essex
sur quelque chose comme
des instruc­tions de danse

voyelles
mal­menées
ni mots ni syn­taxe
juste une sorte
d’aboiement
ponc­tué

The Lit and Phil19

com­bi­en de Jacobins
aujourd’hui
s’en vont par West­gate Road

ils ont ven­du l’ouvrier
social­iste
en aval

et des pro­fesseurs âgés
résis­tent encore à la marée
de mérule

plâtre écail­lé
étagères affais­sées
là où leurs prédécesseurs

aus­si la plu­part bour­geois
votèrent la révo­lu­tion
con­tre leur roi

Geordies
des années dix-sept cent
soix­ante

non moins que
ceux aujourd’hui
qui don­nent leur vie

pour sauver l’empire
des pères de leurs pères
à com­bi­en de milles de dis­tance
*
Yeats demandait
‘qui han­tait
la Grand Poste’20
et répondait
aus­sitôt
‘Cuchu­laínn’

oh c’est facile ici
où Stephen­son
allumait sa lanterne mag­ique21

pas besoin
de chas­s­er le fan­tôme
jour après jour

il suf­fit d’aller à Eas­ing­ton
de rechercher tous ceux
qui ont dû par­tir22

Thomas Bewick23

juste en aval sur la Tyne
Oving­ham
son cimetière
Cher­ry­burn
sa mai­son natale
notre Rem­brandt
des fleuves tra­ver­sés
sur des échas­s­es
saut à la perche
presque raté
blagues de gamins
singes
au miroir
tout le monde
en train de piss­er

défenseur
du vieux canas­son
du chat à moitié étran­glé
du chien mal­traité
et du berg­er tran­si
ami du vagabond
vétéran
qui a per­du une jambe
de retour des guer­res

il savait
qu’un cheval pou­vait
aus­si aisé­ment
bal­ancer son cav­a­lier
dans la riv­ière
qu’attendre
un maître ivre
mais lui avait fait
enfon­cer ses sabots
juste sous la potence
refu­sant de tir­er
le tombereau

Le Duc

où la Mer du Nord
éclabousse les galets
entassés pour l’hiver
où l’eider à duvet
tel du soufre lent
rase l’eau calme

une vue par­faite
de la mer der­rière elle
elle est assise con­tre
le mur
dans la panique
le chateau par ici
a encore des per­son­nages de Kaf­ka
son mari
jar­dinier
mort
leur cot­tage
ils en avaient besoin
elle a été déplacée
plus facile­ment
que les meubles

là où aucun bruit de la mer
ne pou­vait emplir l’espace
épargné
par l’épine noire de la ville
les jardins du chateau
et les dernières nou­velles
des saisons

L’Embankment

Turn­er
dans son petit bateau
avec du rhum
et un rameur
le dos tourné à Lon­dres
pas­sa ses dernières années
à Chelsea Reach

on y a con­stru­it
la mai­son de l’espion
à la splen­deur osten­ta­toire
où Car­lyle se débat­tait
avec la révo­lu­tion
– française –
où les mil­lion­naires
tex­ans
peu­vent à nou­veau
con­tem­pler
sat­is­faits
de leur per­ron vert
un bout de jardin
pro­tégé
la mai­son de Thomas More
qui trou­va l’Utopie
ici
avant
un peu plus loin
le bour­reau
+
le traf­ic rugit
ses adieux émus
à Lon­dres
par delà une cour de récréa­tion
gril­lagée plus haut
qu’une cour de prison

sur le quai du fleuve
où la jeune Irlandaise
ruinée de Sick­ert
se ter­rait
comme des cen­taines d’autres
essayant de se décider

et main­tenant à marée basse
la boue
où mes ancêtres
pou­vaient libre­ment chercher
quelque objet
aban­don­né

les mou­ettes impri­ment
leurs motifs
d’empreintes rayées
bien con­nues
des uni­formes
portés par les forçats

Dans le noir

où le ciel de la nuit
n’était pas ciel
et le nuage pas nuage
mais fumée
de cig­a­rettes
aspirées à fond
cou­vrant les pre­mières
rangées du stade
où nous enten­dions
la plainte
d’abord
mise en garde
puis gron­de­ment étouf­fé
de rame de métro
entrant en gare
quand la foule
repre­nait
le rugisse­ment
que des mots isolés
se détachaient
comme des noms
et des vis­ages
et la pho­to
flashait
l’arrivée
et des chif­fons
étaient jetés
au pre­mier
chien
des parieurs
com­para­ient
leurs résul­tats
une main ser­rant
leur Bovril
l’autre
l’œuvre d’art des book­ies
hardi­ment illus­trée
d’un nom exo­tique
et d’un numéro
désor­mais
sans valeur
sauf pour des goss­es
comme moi
qui avec leur père
appre­naient le plaisir
de la foule
le brouil­lard de la nuit
et le bril­lant
et fugi­tif
répit
de tit­iller
la chance

Courses

Sandown
Kemp­ton
Good­wood
et Prince Monolu­lu24
comme une estampe
du Douanier Rousseau
coiffe en plumes d’autruche
gilet mag­ique
culotte ori­en­tale
sug­gérant le gag­nant
‘j’ai un cheval
j’ai un cheval’

Stam­ford Bridge
où ils me soule­vaient
sur leurs épaules
comme d’autres
trop petits
ou me fai­saient pass­er
de l’autre côté de la clô­ture
pour m’installer
par­mi des rangées de transat
sous la toile cirée
qui aurait du cou­vrir
les jambes d’un invalide de guerre

Bleus

j’étais bleu pour Oxford
mon frère bleu
pour Cam­bridge25
comme s’ils entendaient
nos clameurs
même d’à côté
de Put­ney Bridge

les loge­ments soci­aux
où le déver­soir
puait
refoulait
le souf­fle
de tout ce qui
ne ser­vait plus

les escaliers en pierre
il fal­lait les mon­ter
dix volées
peu importe si
les jambes
protes­taient
ou étaient vieilles
+
ma rose était rouge
celle de mon frère blanche
Plan­ta­genet
et York­shire
CCC26
la mienne rouge
Lan­cast­er
autant que Wash­brook
notre lignée
un bom­bardier
au long cours
une his­toire de célébrités
achetées avec des cig­a­rettes
Richard le Bossu
Hen­ry Tudor
et les Edouard
tous les mêmes
+
nous étions des cav­a­liers
pas des têtes ron­des27
Chelsea pas Arse­nal28
Churchill con­tre Attlee29
nos cir­con­scrip­tions
toutes de couleur
bleue

com­bi­en plus col­orée
une cause
pour laque­lle mourir
même du mau­vais côté
des grilles
tou­jours du bon côté
de la rue

Clapham Junction

où le nord
était tou­jours là
tout prêt
en attente
mais invis­i­ble
une seule couleur
moutarde Cole­mann
seule dis­trac­tion
peint sur une façade
un cube Oxo

la brique grise
en manque de pein­ture
argen­tée shrap­nel
brûlée
sur les bor­ds

fenêtres impos­si­bles
cassées noir­cies
bien pires que tout
ce qu’ils imag­i­naient
en dis­ant le nord

et tout ceci
invis­i­ble
de la fenêtre
de leur wag­on
en route pour Lon­dres

où se pos­er
pour la journée
à Man­sion House
au Strand
Corn­hill Hol­born

toutes les rues
chas de l’aiguille
où les rich­es pas­saient
plus facile­ment qu’un chameau30

Les églises de Wren

Je les aimais –
dépouil­lées
chêne mas­sif noir­ci
qui garde la réflex­ion
pour soi

faites pour être vues
en toute dis­cré­tion
pour enseign­er
ce qu’est la per­spec­tive

et si le grand orgue
fai­sait ton­ner ses tuyaux
et que la coupole répé­tait
dans le creux du pla­fond
en con­tre-point

vous com­pre­niez
que dieu avait été
sor­ti de sa machine
con­ver­ti en pro­por­tion
équili­bre, échelle

que la mesure pre­nait le relais
angle et levi­er
struc­ture pro­fondeur poids
comme les phras­es
de Pope

répè­tent dévelop­pent vari­ent
sus­pendent éten­dent
s’opposent
retour­nent et réaf­fir­ment
puis con­clu­ent

*
et au coin de la rue
comme le craig­nait le poète31
le papi­er mon­naie
cir­cu­lait
si peu matériel

bien avant le pre­mier
ordi­na­teur
toute la richesse du monde
est passée par ici
comme farine en un enton­noir

embal­lée entre­posée
expédiée au delà des mers
puis ren­voyée
mul­ti­pliée
par mil­lions

les Amérin­di­ens
les cap­tifs de la Gold Coast
quelques nobles sauvages
là près de Tahi­ti
en ont payé le prix

on l’entend presque
en ten­dant l’oreille
qui cir­cule dans
le dôme de St Paul
en un mur­mure

La surprise

Haydn
mon­tait jouer
en haut d’escaliers som­bres
près de Covent Gar­den
un petit salon
et une foule
d’amis
bouch­ers
maîtres de musique

une sur­prise
en Europe
habituée à des hordes
de nobli­aux
som­nolant du début
à la fin
jusqu’à ce qu’il les éveille
de son fameux
Pauken­schlag

aujourd’hui
l’Albert Hall
comme un col­isée
romain
entasse
de pareilles foules
d’intellectuels en voy­age
de ban­quiers
au rabais
d’amateurs en tout genre
et d’amoureux
jusqu’à ce qu’ils doivent
céder la place
à des dra­peaux
déployés
des vis­ages rougeauds
pas doués pour le silence
sauf s’ils en reçoivent l’ordre
pour deux min­utes
en novem­bre

mais explosant
pour les gars de la Marine
orchestrés par
Hen­ry Wood32
et l’instant solen­nel
du triste Elgar
Orgueil Pompe
Cir­con­stance
et Guerre

Albert Dock

chamar­rés
comme une pochette
de sergeant pep­per33
la zig­gourat
irako-aztèque
le Fort Rouge
ramené
en minia­ture
d’Agra
une sorte de dome de St-Pierre
avec une touche Tudor
et le Liv­er Build­ing
un clas­sique Walt Dis­ney
mais ce n’est pas sa faute

un amour dingue
pour le côté
fouil­li
trucs ramenés à la mai­son
étalés
comme dans un B&B
sur le buf­fet de famille
deux agneaux
et des castag­nettes

une esthé­tique
par­faite
pour les Anglais
comme le goût
des bon­bons à la réglisse
les couleurs acides
trop sucrés
un assor­ti­ment lim­ité
tous avec des lanières de cuir
qui tien­nent tout ensem­ble
à peine remar­quées
juste comme le com­merce
per­du
noté ici
pour que nous n’oublions pas
dans le nou­veau musée
qui recon­naît
enfin
l’esclavage

Douvres

les fan­ions en plas­tique
col­lés au mur
comme des feuilles mouil­lées
fixées là
par le vent la pluie
proclame
que c’est la Saint George34

en petite toque de
bouch­er et enruban­nés
de dra­peaux anglais
ils cri­aient haro
par les rues
surtout
à Dou­vres

où Gloster
ne fut pas aveuglé
par les blanch­es falais­es
et le Roi Lear
attendait l’aide
de sa fille
et des Français

et les col­lec­tion­neurs
de perce-pier­res
s’accrochaient
comme ils pou­vaient
à ce que les pan­neaux appel­lent
les falais­es
de Shake­speare

*
et au Eight Bells
comme le lunch du dimanche
dérive à nou­veau
vers le soir
ils dis­ent bon­jour à maman
sur le portable
la meilleure maman du monde

pas encore tout à fait givrés
mais bien­tôt
comme les hommes
qui geignent
au bar à expli­quer
que c’était pas
ce qu’ils voulaient dire

rien de per­son­nel
et la High Street
Oxfam Save the
Chil­dren Mind
The Heart Foun­da­tion
RSPCA35
rap­pel­lent qu’ici
c’est l’Angleterre

et les pen­sions palis­sadées
où jadis Wordsworth
attendait tran­si d’amour36
où Matthew Arnold
venait écouter
le lent gron­de­ment
du ressac

sur les galets quit­tant la rive
pour y être ramenés
à la marée suiv­ante37
où les sil­lons des vagues
offrent peu de récon­fort
dépas­sant tout
ce qui passe

et la mou­ette
plonge
dans les déchets
s’élève
telle un phénix lour­daud
ajuste ses ailes
et s’ébroue

lance
le même cri perçant
que les noces
pour la mar­iée
et le mar­ié
pour l’Angleterre
et Saint George

tapageurs
sen­ti­men­taux
et comme l’a remar­qué
tout vis­i­teur
depuis l’époque
de Shake­speare
portés sur la bagarre

Champs élyséens38

tous les pau­vres de Ben­well
changèrent
de forme
et de couleur
en une nuit

les feux aux car­refours
lais­sèrent pass­er
la ruti­lence
de saris
de shal­war kameez

des mag­a­sins aban­don­nés
envoyèrent
des mes­sages triv­i­aux
d’ici à tous les coins
d’un empire bien dis­paru

Jim­my le bouch­er
pré­parait des têtes de porc
pour les fes­tiv­ités philip­pines
accom­modait des pieds de porc
pour les Ango­lais

toute la journée son employé
découpait assez de bass­es-côtes
pour con­stru­ire en minia­ture
un nou­veau chemin de fer
du Paci­fique

Fri­t­ure Halal
Cui­sine de la Mama
Fou de Piz­za
Vieux Teheran
comme les Fauves en France
apportèrent la couleur

et les pau­vres aux joues pâles
illu­minés de sourires
comme on n’avait pas vu
depuis que les Tom­mies
étaient ren­trés au pays

ce n’était pas un rêve
juste un coup d’œil
sur un matin ensoleil­lé
où la Mai­son des Infir­mières
deve­nait un nou­v­el Asile

et où les pro­fesseurs de langues
après des aprés-midis à expli­quer
ter­mes juridiques
arrêts des tri­bunaux
inter­dic­tions

regar­daient par
des fenêtres aux rideaux en filet
bien au-delà de l’épuisement
un petit com­mon­wealth
de pos­si­bil­ités

sans savoir
où il allait
ni s’il aurait le temps
de rester

Paru dans…
The Scale of Change (2011)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | tra­duc­trice : Chris­tine Pag­noulle et Annette Gérard | crédits illus­tra­tions : © DR.

BAUDELAIRE, Charles (1821–1867) : "A une passante" (1855)

La rue assour­dis­sante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme pas­sa, d’une main fastueuse
Soule­vant, bal­ançant le fes­ton et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de stat­ue.
Moi, je buvais, crispé comme un extrav­a­gant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugi­tive beauté
Dont le regard m’a fait soudaine­ment renaître,
Ne te ver­rai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Extrait de…
Les fleurs du mal (1855)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Les fleurs du mal (1855)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Hlaing Ko Myint.

BLAKE, William (1757–1827) : "Eternity" (trad. Patrick Thonart)

Celui qui veut s’attacher une joie
Brise la vie ailée qu’il voit
Celui qui l’embrasse quand elle passe
Com­mence chaque jour l’éternité…

He who binds to him­self a joy
Does the winged life destroy
He who kiss­es the joy as it flies
Lives in eternity’s sunrise​…

Paru dans…
Note­book (c. 1787–1847)

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | source : Note­book of William Blake (c. 1787 – c. 1847) | tra­duc­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © British Library.

GOMZE, Corneil (1829–1900) : "Barcarolle vervîtwesse" (1872, trad. Marianne Rathmès et Christine Pagnoulle)

Oh ! Por mi, dju so fir
Quand sj’so-st‑à l’étrandjir
D’aveur sutu hos­si
En on trô come à Vervî !

1. So nos­te air qu’on ros­inêye
Tos lès djous qu’on s’atavelêye,
Dj’à sèyî bèle cupag­nêye,
Du mete ci refrain-voci :

2. Nos n’avans rin èl makète.
Vèrvî c’noh quu l’plokète.
Mais, foûs d’one pê d’bèrbisète,
Quu n’faît‑i donc nin mous­si ?

3. Inte lès bruts du nos fab­riques,
-Tchèstês pleins du mécaniques
Hoûtez donc quêne bèle musique…
C’est Vieux­temps qui d’jowe ain­si !

4. Totes lès fleurs du nosse valêye,
-Sêpes ou dobes, bèles ou djolêyes,-
Qu’a print­imps on veût florêyes,
A l’djeûne n’ont rin catchi

5. A mitant d’on grand car­nad­je,
-Qwans lès canons fint ravad­je-
Djar­don, came on vrai savad­je,
Sabréve a brès’ rutrossîs.

6. Nos polans bin lèver l’tièsse,
Câ lu Lib­erté qu’on c’tchèsse,
A s’grand mar­tyr so nosse plèce :
Adju­ni­ans nos d’vant Cha­puis !

7. Nos avans, sins qu’on n’i pinse,
On tereû quu l’providince
A cov­rou d’one bone sum­ince ;
Biol­ley n’est nin co roûvi !

8. N’acontans nin lès marotes
Qui tchafetet hâr ou bin hot’.
Lu dra­pa dèl Poly­glotte
Nu pout nin èsse mi tchûzi

Oh ! Pour moi, je suis fier,
Quand je suis à l’étranger,
D’avoir été bercé
Dans un trou comme Verviers !

  1. Sur cet air que l’on fre­donne,
    Chaque fois que l’on s’attable,
    J’ai essayé, belle com­pag­nie,
    De met­tre le refrain que voici :
  2. Nous n’avons rien dans la tête.
    Verviers ne con­naît que les plo­quettes*.
    Mais d’un seul pis de bre­bis,
    Que n’avons nous barat­té** ?
  3. Entre les bruits des fab­riques
    -Châteaux pleins de mécaniques-
    Ecoutez donc quelle belle musique…
    C’est Vieux­temps qui joue ain­si !
  4. Toutes les fleurs de notre val­lée,
    -Sim­ples ou dou­bles, belles ou jolies-
    Qu’au print­emps on voit fleurir,
    Au matin n’ont rien caché.
  5. Au milieu d’un grand car­nage,
    -Quand les canons fai­saient rav­age-
    Jar­don, comme un vrai sauvage,
    Sabrait à bras rac­cour­cis.
  6. Nous pou­vons bien relever la tête,
    Car la lib­erté qu’on chas­se,
    A son grand mar­tyr sur notre place :
    Age­nouil­lons-nous devant Cha­puis !
  7. Nous avons, sans qu’on y pense,
    Un ter­reau que la Prov­i­dence
    A cou­vert d’une bonne semence ;
    Biol­ley n’est pas oublié !
  8. N’accomptons pas les com­mères
    Qui jacassent à hue ou à dia.
    Le dra­peau de la Poly­glotte
    Ne peut pas être mon choix.

* plo­quettes : déchets de laine.
** barat­ter : bat­tre le beurre dans une barat­te.

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non pub­lié

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | tra­duc­tri­ces : Mar­i­anne Rath­mès et Chris­tine Pag­noulle | crédits illus­tra­tions : cd de Jean-François MALJEAN (2012) © ESSEM Music.

LIBERT, Béatrice (née en 1952) : "Passage du laitier" (2010)

Deux haies de sagesse par où s’en vont chats et renards, fouines et mulots. Si vous emprun­tez le rac­cour­ci, ne hâtez pas le pas. Écoutez plutôt les trilles des oise­lets et, sous leurs notes, les cruch­es de lait qui s’entrechoquent loin, très loin dans un temps qu’on dit ancien. C’était hier, mais le sen­tier n’a pas per­du l’écho de leur tra­ver­sée ni la fraîcheur de la pré­cieuse livrai­son. L’écume du lait a chu sur les pétales, à moins qu’elle ne soit mon­tée à la tête des arbres et de l’avril en pâmoi­son.

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Pas­sage du laiti­er (2010)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Pas­sage du laiti­er (2010) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Jean Kat­tus ; Philippe Vienne ; Béa­trice Lib­ert.

NERUDA, Pablo (1904–1973) : "Je ne t’aime pas comme rose de sel, ni topaze…" (1959)

Je ne t’aime pas comme rose de sel, ni topaze
Ni comme flèche d’oeillets propageant le feu :
Je t’aime comme l’on aime cer­taines choses obscures,
De façon secrète, entre l’ombre et l’âme.

Je t’aime comme la plante qui ne fleu­rit pas
Et porte en soi, cachée, la lumière de ces fleurs,
Et grâce à ton amour dans mon corps vit l’arôme
Obscur et con­cen­tré mon­tant de la terre.

Je t’aime sans savoir com­ment, ni quand, ni d’où,
Je t’aime directe­ment sans prob­lèmes ni orgueil :
Je t’aime ain­si car je ne sais aimer autrement,

Si ce n’est de cette façon sans être ni toi ni moi,
Aus­si près que ta main sur ma poitrine est la mienne,
Aus­si près que tes yeux se fer­ment sur mon rêve.

Extrait de…
La cen­taine d'amour (1959)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil La cen­taine d’Amour (1959)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © La Razón.

DESNOS, Robert (1900–1945) : "A la mystérieuse" (1926)

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réal­ité.
Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant
Et de bais­er sur cette bouche la nais­sance
De la voix qui m’est chère?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
En étreignant ton ombre
A se crois­er sur ma poitrine ne se pli­eraient pas
Au con­tour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante
Et me gou­verne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.
O bal­ances sen­ti­men­tales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps
Sans doute que je m’éveille.
Je dors debout, le corps exposé
A toutes les apparences de la vie
Et de l’amour et toi, la seule
qui compte aujourd’hui pour moi,
Je pour­rais moins touch­er ton front
Et tes lèvres que les pre­mières lèvres
et le pre­mier front venu.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, par­lé,
Couché avec ton fan­tôme
Qu’il ne me reste plus peut-être,
Et pour­tant, qu’a être fan­tôme
Par­mi les fan­tômes et plus ombre
Cent fois que l’ombre qui se promène
Et se promèn­era allè­gre­ment
Sur le cad­ran solaire de ta vie.

Extrait de…
​poème de 1926, paru dans Corps et biens (1930)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Le fou d’Elsa (1963)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Elsa et Louis © radiofrance.fr/franceculture.

HUGO, Victor (1802–1885) : "Demain, dès l’aube…" (1856)

Demain, dès l’aube, à l’heure où blan­chit la cam­pagne,
Je par­ti­rai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la mon­tagne.
Je ne puis demeur­er loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pen­sées,
Sans rien voir au dehors, sans enten­dre aucun bruit,
Seul, incon­nu, le dos cour­bé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descen­dant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je met­trai sur ta tombe
Un bou­quet de houx vert et de bruyère en fleur.

Extrait de…
Les con­tem­pla­tions (1856)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Les con­tem­pla­tions (1856)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Lee / Leemage.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Tu es ma rive" (2019)

THONART, Patrick (né en 1961) : "Tous deux se regardaient…" (2019)

THONART, Patrick (né en 1961) : "Tu es là, vivante à mon cœur comme l’épousée" (2019)

Je ne met­trai pas genou en terre,
Que seul ou… devant toi.
Je ne pleur­erai pas l’amertume de mes entrailles,
Que seul ou… devant toi.
Je ne lèverai pas le poing au ciel
pour maudire le des­tin,
Que seul ou… devant toi.

Ils ne sauront rien de mon trou­ble,
Ils ne com­pren­dront pas pourquoi je par­le seul,
Pourquoi j’offre l’échine, moi qui ne fuyais pas le regard.

Mais tous soupireront d’aise
Quand je souri­rai,
Devant toi,
Enfin trou­vée…

Paru dans…
non pub­lié (2014)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : DOTREMONT, Chris­t­ian : L’ours du sens (ca. 1976) © MRBAB.

THONART, Patrick (né en 1961) : "Hier est loin" (2019)

Hier est loin,
C’est déjà demain.

Un jour, la Terre
A inven­té l’Amour
En embras­sant le Feu.
Son ven­tre mouil­lé d’Eau,
Elle l’a con­fié au Ciel
Pour qu’il forge chaque jour,
Le matin de nous deux,
L’eau mar­iée de nos yeux,
Le feu sauvage de nos ven­tres,
La terre con­fi­ante sous nos pas
Et le vent qui nous porte.

Je t’aime à jamais…
Plus un jour

Paru dans…
non pub­lié (2014)

Infos qual­ité…
Statut : validé | mode d’édition : rédac­tion, édi­tion et icono­gra­phie | auteur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : André Mas­son, Terre éro­tique (1955) © leshardis.com.

DESBORDES-VALMORE, Marceline (1786–1859) : "Les séparés" (posth. 1860)

N’écris pas, je suis triste et je voudrais m’éteindre.
Les beaux étés, sans toi, c’est l’amour sans flam­beau.
J’ai refer­mé mes bras qui ne peu­vent t’atteindre
Et frap­per à mon cœur, c’est frap­per au tombeau.

N’écris pas, n’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu’à Dieu, qu’à toi si je t’aimais.
Au fond de ton silence, écouter que tu m’aimes,
C’est enten­dre le ciel sans y mon­ter jamais.

N’écris pas, je te crains, j’ai peur de ma mémoire.
Elle a gardé ta voix qui m’appelle sou­vent.
Ne mon­tre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écri­t­ure est un por­trait vivant.

N’écris pas ces deux mots que je n’ose plus lire.
Il sem­ble que ta voix les répand sur mon cœur,
Que je les vois briller à tra­vers ton sourire.
Il sem­ble qu’un bais­er les empreint sur mon cœur.

N’écris pas, n’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu’à Dieu, qu’à toi si je t’aimais.
Au fond de ton silence, écouter que tu m’aimes,
C’est enten­dre le ciel sans y mon­ter jamais.

N’écris pas !

Extrait de…
Poésies inédites (posthume, 1860)

Et dans wallonica.org…

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Poésies inédites (posthume, 1860) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Douai, Musée de la Char­treuse. Pho­tographe : Daniel Lefeb­vre.

RICHEPIN, Jean (1849–1926) : "Première gelée" (1881)

Voici venir l’Hiver, tueur des pau­vres gens.

Ain­si qu’un dur baron précédé de ser­gents,
Il fait, pour l’annoncer, courir le long des rues
La gelée aux doigts blancs et les bis­es bour­rues.
On entend haleter le souf­fle des gamins
Qui se sauvent, col­lant leurs lèvres à leurs mains,
Et tapent forte­ment du pied la terre sèche.
Le chien, sans rien flair­er, file ain­si qu’une flèche.
Les messieurs en cha­peau, raides et bou­ton­nés,
Font le dos rond, et dans leur col plon­gent leur nez.
Les femmes, comme des coureurs dans la car­rière,
Ont la gorge en avant, les coudes en arrière,
Les reins cam­brés. Leur pas, d’un mou­ve­ment coquin,
Fait ond­uler sur leur croupe leur trousse­quin.

Oh ! comme c’est joli, la pre­mière gelée !
La vit­re, par le froid du dehors fla­gel­lée,
Étin­celle, au dedans, de cristaux déli­cats,
Et papil­lote sous la nacre des micas
Dont le dessin fleu­rit en volutes d’acanthe.
Les arbres sont vêtus d’une faille craquante.
Le ciel a la pâleur fine des vieux argents.

Voici venir l’Hiver, tueur des pau­vres gens.

Voici venir l’Hiver dans son man­teau de glace.
Place au Roi qui s’avance en gron­dant, place, place !
Et la bise, à grands coups de fou­et sur les mol­lets,
Fait courir le gamin. Le vent dans les col­lets
Des messieurs bou­ton­nés fourre des cents d’épingles.
Les chiens au bout du dos sem­blent traîn­er des tringles.
Et les femmes, sen­tant des petits doigts fripons
Grimper sournoise­ment sous leurs derniers jupons,
Se cog­nent les genoux pour mieux ser­rer les cuiss­es.
Les maisons dans le ciel fument comme des Suiss­es.
Près des chenets joyeux les messieurs en cha­peau
Vont s’asseoir ; la chaleur leur déten­dra la peau.
Les femmes, rel­e­vant leurs jupes à mi-jambe,
Pour garan­tir leur teint de la bûche qui flambe
Éten­dront leurs deux mains longues aux doigts rosés,
Qu’un ten­dre amant fera mol­lir sous les bais­ers.
Heureux ceux-là qu’attend la bonne cham­bre chaude !
Mais le gamin qui court, mais le vieux chien qui rôde,
Mais les gueux, les petits, le tas des indi­gents…

Voici venir l’Hiver, tueur des pau­vres gens.

Extrait de…
La Chan­son des gueux (1881)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil La Chan­son des Gueux, Les qua­tre saisons, XIV (1881)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © Le Devoir.

REGNIER, Mathurin (1573–1613) : "J’ai vescu sans nul pensement…" (s.d.)

J’ai ves­cu sans nul pense­ment,
Me lais­sant aller douce­ment
A la bonne loy naturelle,
Et si m’estonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi
Qui ne songeay jamais à elle.

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : [GALLICA.BNF.FR] REGNIER M., Œuvres com­plètes précédées de L’histoire de la satire en France par Mon­sieur Vio­l­let-le-Duc (Paris, Jan­net, 1853).  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Tombe d'Emery © Amaroth.

Devotions: The Selected Poems of Mary Oliver (recueil, 2017)

[PENGUINRANDOMHOUSE.COM] Ce recueil est un Best-Sell­er du New York Times et a été désigné “Livre qui m’a aidé.e à tenir bon” par le Oprah’s Book Club.

« Quel que soit l’endroit où vous com­mencez à lire, Devo­tions est incroy­able­ment atti­rant, qu’il s’agisse des exubérants poèmes au chien d’Oliver ou des poèmes sélec­tion­nés dans Amer­i­can Prim­i­tive (prix Pulitzer) et dans Dream Work, un de ses recueils les plus excep­tion­nels. Peut-être que le plus impor­tant, c’est cette écri­t­ure lumineuse qui nous apaise face à un monde fou et qui démon­tre com­bi­en une con­science plus aigüe peut pro­fil­er et trans­former une vie, instant après instant, poème après poème. » —The Wash­ing­ton Post

C’est un peu comme si la poétesse s’était assise à côté de nous et nous indi­quait quels poèmes elle con­sid­ère comme les plus impor­tants.” — Chica­go Tri­bune

La poétesse Mary Oliv­er a reçu le prix Pulitzer et elle présente ici une sélec­tion per­son­nelle de son tra­vail, ce qui en fait prob­a­ble­ment le recueil défini­tif de ses poèmes, écrits pen­dant plus de cinq décen­nies de sa mag­nifique car­rière lit­téraire.

A tra­vers les années, Mary Oliv­er a su touch­er un nom­bre impres­sion­nant de lecteurs avec des vers bril­la­ment ciselés, exp­ri­mant son amour pour le monde naturel et les liens puis­sants qui  unis­sent tous les vivants. Iden­ti­fiée par Dwight Gar­ner comme « de loin la poétesse la plus ven­due du pays », elle nous revient avec ce recueil éton­nant et défini­tif de ses poèmes des cinquante dernières années.

Edités avec soin, ce sont plus de 200 poèmes par­mi les meilleurs qu’Oliver a écrits, depuis son tout pre­mier recueil, No Voy­age and Oth­er Poems, pub­lié en 1963 (elle avait 28 ans), jusqu’à son tout dernier recueil, Felic­i­ty, paru en 2015. Cet ouvrage est fait pour dur­er et il a été conçu par Mary Oliv­er en per­son­ne : elle y offre le meilleur d’elle-même. Dans ces pages, elle nous pro­pose un recueil extra­or­di­naire, ines­timable, de ses obser­va­tions à la fois déli­cates, pas­sion­nées et pré­cis­es de la Nature authen­tique.

(trad. Patrick Thonart)

OLIVER Mary, Devo­tions: The Select­ed Poems of Mary Oliv­er (Pen­guin Press, 2017)
480 pages – ISBN‎ 0399563245 – Eng­lish

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Statut : validé | mode d’édition : tra­duc­tion, édi­tion et icono­gra­phie | tra­duc­teur : Patrick Thonart.

Mary OLIVER dans la poet­i­ca

FOIX, J.V. (1893–1987) : "Oh puissais-je accorder la Raison, la Folie,…" (publié en 1987)

Oh puis­sais-je accorder la Rai­son, la Folie,
Qu’un clair matin, non loin de la mer claire,
Cet esprit mien, de plaisir trop avare,
Me fasse l’Éternel présent. Et par la fan­taisie

- Qui le cœur embrase et détourne l’ennui -
Que les mots, les sons, les tim­bres, quelque­fois
Per­pétuent l’aujourd’hui, et que l’ombre rare
Qui me con­tre­fait au mur, me soit sage et guide

En mon errance par­mi tamaris et dalles ;
- Oh douceurs dans la bouche ! les douces pen­sées ! -
Qu’elles fassent vrai l’Abscons, qu’à l’abri de calan­ques,

Les images du songe par les yeux éveil­lés,
Vivent ; que le Temps ne soit plus; mais l’espérance
En d’Immortels Absents, la lumière et la danse !

Paru dans…
Poésie. Prose, recueil posthume (1987)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : Poésie. Prose, recueil posthume (1987) | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © reusdigital.cat.

APOLLINAIRE, Guillaume (1880–1918) : "Mon ptit Lou adoré…" (1915)

Mon ptit Lou adoré
Je voudrais mourir un jour que tu m’aimes
Je voudrais être beau pour que tu m’aimes
Je voudrais être fort pour que tu m’aimes
Je voudrais être jeune jeune pour que tu m’aimes
Je voudrais que la guerre recom­mençât pour que tu m’aimes
Je voudrais te pren­dre pour que tu m’aimes
Je voudrais te fess­er pour que tu m’aimes
Je voudrais te faire mal pour que tu m’aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans une cham­bre d’hôtel à Grasse pour que tu m’aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans mon petit bureau près de la ter­rasse couchés sur le lit de fumerie pour que tu m’aimes
Je voudrais que tu sois ma sœur pour t’aimer inces­tueuse­ment
Je voudrais que tu euss­es été ma cou­sine pour qu’on se soit aimés très jeunes
Je voudrais que tu sois mon cheval pour te chevauch­er longtemps longtemps

Je voudrais que tu sois mon cœur pour te sen­tir tou­jours en moi
Je voudrais que tu sois le par­adis ou l’enfer selon le lieu où j’aille
Je voudrais que tu sois un petit garçon pour être ton pré­cep­teur
Je voudrais que tu sois la nuit pour nous aimer dans les ténèbres
Je voudrais que tu sois ma vie pour être par toi seule
Je voudrais que tu sois un obus boche pour me tuer d’un soudain amour.

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Poèmes à Lou (1947)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Poèmes à Lou (1947)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : Guil­laume Apol­li­naire et sa femme Jacque­line Kolb en 1918 sur la ter­rasse de leur apparte­ment du 202 boule­vard Saint-Ger­main © Bib­lio­thèque his­torique de la Ville de Paris

RONSARD, Pierre de – (1524–1585) : "Bonjour mon cœur…" (ca. 1564)

Bon­jour mon cœur, bon­jour ma douce vie
Bon­jour mon œil, bon­jour ma chère amie !
Hé ! Bon­jour ma toute belle,
Ma mignardise, bon­jour
Mes délices, mon amour,
Mon doux print­emps, ma douce fleur nou­velle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle !
Bon­jour ma douce rebelle.

Hé, fau­dra-t-il que quelqu’un me reproche,
Que j’ai vers toi le cœur plus dur que roche,
De t’avoir lais­sée, maîtresse,
Pour aller suiv­re le Roi,
Men­di­ant je ne sais quoi,
Que le vul­gaire appelle une largesse ?
Plutôt périsse hon­neur, court et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle déesse.

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Les amours (1584)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil Les amours (1584)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DP.

REVERDY, Pierre (1889–1960) : "Tard dans la vie" (1960)

Je suis dur
Je suis ten­dre
Et j’ai per­du mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j’ai passé
J’ai trou­vé mon absence
Je ne suis nulle part
Excep­té le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place où la foudre a frap­pé trop sou­vent
Un cœur où chaque mot a lais­sé son entaille
Et d’où ma vie s’égoutte au moin­dre mou­ve­ment

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La lib­erté des mers (​1960)

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Statut : validé | mode d’édition : partage, édi­tion et icono­gra­phie | source : recueil La lib­erté des mers (1960)  | con­tribu­teur : Patrick Thonart | crédits illus­tra­tions : © DP.